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“Cris et chuchotements” de Hai Wen, Jinyan Zeng et Trish McAdam


Hanjiao yu Eryu Documentaire chinois de Hai Wen, Jinyan Zeng et Trish McAdam (2020) 1h41.

39e Festival international Jean Rouch cinéma et anthropologie






C’est de la condition féminine et non du féminisme que parle ce film autoproduit. Sujet tabou s’il en est en Chine où huit années ont été nécessaires pour venir à bout de cette entreprise évidemment clandestine qui s’ouvre sur le portrait d’une femme tondue en train de scarifier méthodiquement son visage, verticalement puis horizontalement, en signe de révolte. Une image saisissante à laquelle fera écho plus tard celle de deux activistes de Hong Kong se livrant à un happening en public, visage masqué. Comme une déclaration de guerre à la société qui l’opprime. Ce dazibao filmé est constitué d’entretiens avec des combattantes de l’intérieur : activistes, leaders syndicales, victimes de harcèlement seuel. Des propos mis en scène graphiquement par l’animateur Tao Hong, comme si ses protagonistes étaient des personnages de bande dessinée. Leurs propos sont accablants pas la description qu’ils tissent d’une société orwellienne où le pouvoir central exerce son pouvoir sur chacun de ses citoyens en mobilisant tous les moyens à sa disposition. Surveiller s’avère alors plus efficace que réprimer. L’une des intervenantes l’explique : la dépression est l’arme absolue car elle ne laisse aucune trace extérieure et peut mener au suicide donc à l’oubli. Et l’acharnement est la plus pernicieuse des humiliations pour une employée modèle.






Diviser pour mieux régner : telle semble être la doxa du pouvoir qui exerce un pouvoir absolu sur la classe ouvrière en l’empêchant par tous les moyens de constituer une force cohérente et organisée. Notamment, en humiliant ceux qui sont issus du milieu agricole et en essayant de monter citadins contre ruraux. Des intervenantes dénoncent aussi les collusions entre les patrons et les forces de l’ordre qu’on voit procéder à des interpellations qui n’ont rien à envier à certaines de nos violences policières. À cette nuance près qu’en Chine, le fait de manifester est illégal en soi. D’où cette image d’une cohorte d’ouvriers déambulant dans un corridor obscur en exigeant le respect et en criant leur colère pour que leur patron acquitte leurs charges sociales. Jamais l’expression de révolution de couloir n’a semblé plus judicieuse. Reste que les sanctions pécuniaires constituent la mesure de rétorsion la plus efficace pour ces opprimés qui n’ont pas besoin de grand-chose pour sombrer dans cette misère qui mène au silence et à l’oubli. La pire des infamies.






Le paradoxe veut que le combat crucial qui agite la société chinoise oppose les riches et les pauvres dans une dérive pour le moins ironique de la doctrine communiste dont le peuple insoumis reste le bouc émissaire. Des ouvrières en doudoune évoquent ainsi une police en possession de listes de noms établies par leurs usines. Dès lors, couper les têtes qui dépassent n’est plus qu’une simple formalité. Et les femmes sont une fois de plus en première ligne. Comme lors de la Longue Marche de Mao. Mais cette fois du côté obscur de la force, du moins aux yeux d’un pouvoir sans pitié. Ce documentaire délibérément polémique s’avère surtout révolutionnaire par la façon dont il est parvenu à se tourner en catimini, puis à se frayer un chemin jusqu’aux écrans. La colère gronde et ces images arrachées à l’oubli en témoignent. Avec la colère médiatisée de Hong Kong en guise de show-room. Comme un évier qui déborde… au point de noyer parfois certaines révoltes sous le harcèlement des réseaux sociaux.

Jean-Philippe Guerand







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