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“Black Hole” d’Emmanuel Grimaud et Arnaud Deshayes


Black Hole. Pourquoi je n’ai jamais été une rose Documentaire français d’Emmanuel Grimaud et Arnaud Deshayes (2019) 1h10.

39e Festival international Jean Rouch cinéma et anthropologie






Une rumeur devenue une légende tenace affirme que le 20 juillet 1756, 143 soldats britanniques périrent d’étouffement après avoir été condamnés à la détention par le Nawab du Bengale dans une petite prison de Calcutta nommée le Trou Noir. En représailles de quoi l’Inde fut soumise à deux siècles de colonisation… Aujourd’hui encore, des gens sont assaillis de pensées dont ils ignorent si elles proviennent du passé, du présent voire de l’avenir. Des thérapeutes les aident à surmonter cette épreuve mentale parfois insoutenable qui les empêche de vivre normalement en venant perturber leurs songes. Telle est l’origine de ce film étrange qui sonde les âmes pour esquisser un portrait de groupe avec drames, à travers une tentative audacieuse de psychanalyse collective. Leurs sensations sont répertoriées, leurs réactions étudiées au plus près. Comme si ce phénomène constituait l’exutoire d’un peuple tout entier dont chaque citoyen porterait le fardeau à tour de rôle, dans le but d’expier un péché originel empreint d’un fort sentiment de culpabilité. L’enjeu est de soulager l’inconscient des individus pour aider une nation à se mettre en paix avec elle-même grâce à ces voix venues d’ailleurs. L’épreuve s’avère pourtant parfois douloureuse pour ces rêveurs déchirés par la faute qui s’inventent ainsi d’autres vies.






Aux confins des phénomènes extra-sensoriels, se trouve une autre vérité qui rejoint la pratique des tables tournantes chère à Victor Hugo et tant d’autres. Black Hole nous entraîne dans un autre monde où le temps est aplani et où l’espace devient infini. Des individus y rendent compte de voyages qui les dépassent dans un ailleurs aux contours flous. Le faisceau de ces témoignages y reconstitue les fragments d’une mémoire collective en miettes, sous la houlette de la doctoresse Trupti Jayin qui guide et oriente ces confessions parfois douloureuses. La parole de ces témoins en proie à des phénomènes occultes est d’autant plus fascinante qu’elle met en évidence des ressemblances troublantes entre les uns et les autres. Comme si, sous l’effet de l’hypnose, ils se retrouvaient téléportés psychiquement dans un même monde à part où la réincarnation est la norme en vigueur. En parallèle, des émules de SOS Fantômes aussi fantaisistes que ceux qu’on croise dans certaines productions hollywoodiennes explorent des maisons abandonnées et réputées hantées (dont un sulfureux refuge occupé par les “Freedom Fighters”), équipés de boîtiers à diodes destinés à apprivoiser l’irrationnel, mais aussi à dialoguer en direct avec… l’Au-Delà. Et là encore, les plus folles des fictions n’ont qu’à bien se tenir face à cette réalité qui confine parfois à la poésie dadaïste. Surtout quand ils prennent la peine de remercier leurs interlocuteurs en quittant les lieux.







Par sa quête d’un autre monde sur un continent où l’ésotérisme est intimement lié au quotidien, Black Hole est un projet fascinant mené de concert par l’anthropologue Emmanuel Grimaud et le cinéaste Arnaud Deshayes qui a l’habitude d’œuvrer en liaison avec des scientifiques en s’appuyant à la fois sur les médias numériques et sur les outils analogiques. Ils parviennent dans Black Hole à aborder sur un plan purement clinique des phénomènes qui ont abondamment nourri notre imaginaire et revêtent d’un coup une toute autre dimension. Nous ne regarderons plus jamais avec la même insouciance Amityville, Paranormal Activity, L’histoire d’Adèle H ou Personal Shopper. Voici un voyage particulièrement dépaysant, dans la mesure où il reste intérieur et ne se risque jamais à l’interprétation ni même à une illustration trop littérale. Jusqu’à cet homme qui se décrit en… lotus (plutôt qu’en rose), il y a des millions d’années. L’expérience s’avère intense. Âmes sensibles et trop cartésiennes s’abstenir.

Jean-Philippe Guerand






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