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"A Dark, Dark Man" d’Adilkhan Yerzhanov


Film kazakho-français d’Adilkhan Yerzhanov (2019), avec Daniar Ashinov, Dinara Baktybaeva, Teoman Khos… 1h50. Sortie le 14 octobre 2020.



Daniar Ashinov


Un policier désabusé par la corruption généralisée est chargé d’étouffer une sombre affaire de pédophilie au fin fond de la steppe kazakhe, lorsque ses certitudes sont mises à mal par une journaliste inquisitrice nullement décidée à tolérer ces compromissions. Il y a tout juste deux ans, La tendre indifférence du monde révélait en Adilkhan Yerzhanov un trentenaire prometteur qui se démarquait par son ton pince-sans-rire et sa verve des quelques réalisateurs d’Asie centrale à s’être frayé un chemin jusqu’aux plus grands festivals internationaux en exaltant des traditions séculaires et des paysages exotiques. On retrouve ce même esprit narquois dans A Dark, Dark Man (son septième long métrage !) qui aurait plutôt tendance à s’inscrire dans la veine d’un genre universel, le film noir, en lui appliquant un traitement de choc. Chaque plan de cette enquête ressemble à une miniature dont le moindre détail a fait l’objet d’un soin particulier. Ce voyage au bout de la nuit nihiliste est baigné en permanence d’une ironie pince sans rire désarmante dont le traitement stylisé n’est pas sans évoquer la manière d’un Tati des steppes qui noierait l’insoutenable dans la dérision, mais aussi de certains crypto-polars de la nouvelle vague sud-coréenne par son ton désabusé.



Dinara Baktybaeva


Dès sa première image, A Dark, Dark Man impose un ton différent et nous entraîne dans un monde à part où le folklore et le pittoresque n’ont pas leur place. Ses protagonistes sont des êtres peu diserts sinon mutiques qui observent le monde sans l’once d’un soupçon d’émerveillement. Comme s’ils s’étaient peu à peu coupés du reste des vivants pour résister au spectacle de ses horreurs et de ses turpitudes. Adilkhan Yerzhanov n’est pourtant jamais dupe de son sujet et choisit de le transcender par l’ironie et la poésie afin de rendre tolérable l’insoutenable. Il convient de souligner ici la contribution exceptionnelle du chef opérateur Aydar Sharipov, transfuge surdoué de la pub qui a donné un élan visionnaire déterminant à son cinéma depuis son film précédent et semble désormais promis à une carrière internationale. Il émane de cette étude de mœurs tirée au cordeau une portée universelle qui est celle des plus grandes tragédies. Quand le désespoir s’exprime à travers le burlesque, il arrive fatalement qu’on se prenne à rire jaune.

Jean-Philippe Guerand




Dinara Baktybaeva et Daniar Ashinov

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