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“À cœur battant” de Keren Ben Rafael



The End of Love Film franco-israélien de Keren Ben Rafael (2019), avec Judith Chemla, Arieh Worthalter, Noémie Lvovsky… 1h30. Sortie le 30 septembre 2020.


Judith Chemla

Voici l’un de ces films dont l’intrigue conditionne un dispositif narratif qui confine au défi. Le point de départ en est élémentaire : Julie est française, Yuval israélien. Obligé de repartir dans son pays pour refaire ses papiers, ce dernier se trouve contraint de dialoguer avec son épouse et leur fils par écrans interposés, alors même que son séjour se prolonge pour des raisons administratives indépendantes de sa volonté. L’éloignement attise le désir autant qu’il exacerbe le moindre fait anodin. Keren Ben Rafael exploite habilement les ressources des moyens de communication modernes que sont Skype et autres Facetime. Elle pointe au passage l’intrusion dans notre intimité de toutes ces caméras miniaturisées qui abolissent les tabous et incitent l’individu à se donner constamment en spectacle, y compris dans les situations qui s’y prêtent le moins. Cette surenchère artificielle de voyeurisme n’empêche toutefois ni les cachotteries ni les mensonges dont l’accumulation conduit à des malentendus et des disputes qui n’ont rien à envier aux bonnes vieilles scènes de ménage d’antan.

Arieh Worthalter

À partir de ce postulat fragile, À cœur battant exploite habilement un scénario qui donne la primauté au dialogue et dont s’emparent avec gourmandise ses deux interprètes principaux : la toujours si juste Judith Chemla, qui joue sur un registre particulièrement étendu, et le comédien belge Arieh Worthalter, lauréat des deux derniers Magritte du meilleur second rôle masculin pour Girl et Duelles. Ce tête-à-tête à distance distille un charme assez pervers qui fait du spectateur le témoin d’une conversation à bâtons rompus que l’éloignement saupoudre de non-dits et de silences lourds de signification. Une sensation d’abord sourde que contribue à renforcer le jeu des acteurs, d’autant plus remarquable qu’ils doivent jouer comme derrière un mur, sans pouvoir se toucher ni même se frôler. Chronique d’un amour que la mise en scène de Keren Ben Rafael transcende à merveille, en prenant soin de glisser aussi dans son récit ces moments anodins qu’un dramaturge écarterait d’une intrigue classique, de crainte que leur banalité rebute son public. Cette mécanique de précision parfaitement huilée touche autant par sa simplicité que par sa pureté.
Jean-Philippe Guerand


Judith Chemla

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