Film américain d’Eliza Hittman (2020), avec Sidney Flanigan, Talia Ryder, Théodore Pellerin… 1h35. Sortie le 19 août 2020.
C’est une histoire d’une terrible banalité. Une jeune fille se retrouve enceinte sans l’avoir désiré. Face à l’insouciance irresponsable de son séducteur et au conservatisme buté de sa famille, elle décide de quitter sa bourgade rétrograde du fin fond de la Pennsylvanie pour New York où elle pourra se faire avorter dans la clandestinité. Au cours de cette expédition en compagnie de sa cousine, elle va prendre conscience de la cruauté du monde et de la lâcheté de certains hommes. “Jamais, rarement parfois toujours” : les quatre hypothèses standards d’un questionnaire impersonnel censé cerner les habitudes sexuelles des jeunes femmes confrontées à des grossesses non désirées. Grand Prix du jury lors de la dernière Berlinale et Prix spécial du jury à Sundance, Never Rarely Sometimes Always nous invite à une plongée au cœur de l’Amérique de Trump en proie à une régression des mœurs qui renvoie à un obscurantisme qu’on croyait dépassé où le planning familial ne parvient plus à remplir sa mission.
Eliza Hittman se garde bien de juger ou de dénoncer quoi que ce soit. Elle se contente de dresser en quelques saynètes l’état des lieux accablant d’un pays victime d’une lame de fond puritaniste. Son film comporte un minimum de dialogues et préfère aux mots les visages cadrés en gros plan. À commencer par ceux de ses deux protagonistes interprétées par Sidney Flanigan et Talia Ryder, projetées malgré elles dans une mégapole verticale, elles qui ont grandi dans une contrée avec l’horizon à perte de vue. Suprême paradoxe d’une Amérique qui jongle avec les extrêmes mais ne maîtrise pas tous ses paradoxes. Loin de là. D’un sujet au fond plutôt anodin, ce film bouleversant tire une morale universelle qui démontre que rien n’est jamais acquis. En filigrane affleure une société fracturée qui a laissé filer ses droits fondamentaux et se trouve en quelque sorte à une nouvelle croisée des chemins qui la renvoie quelques décennies en arrière. Aussi curieux cela puisse-t-il paraître, Never Rarely Sometimes Always se démarque du cinéma indépendant américain contemporain pour évoquer par sa thématique des œuvres comme ont pu en signer Ken Loach avec Family Life (1971) ou plus récemment le roumain Cristian Mungiu dans 4 mois, 3 semaines, 2 jours (2007).
Jean-Philippe Guerand
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