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"Effacer l’historique" de Gustave Kervern et Benoît Delépine



Film franco-belge de Benoît Delépine et  Gustave Kervern (2019), avec Blanche Gardin, Denis Podalydès, Corinne Masiero, Vincent Lacoste… 1h46. Sortie le 26 août 2020.


Corinne Masiero, Denis Podalydès et Blanche Gardin

Comme Quentin Dupieux, le tandem Kervern-Delépine creuse son propre sillon au sein d’un genre aux codes établis : la comédie. Avec Effacer l’historique, les deux compères s’attaquent aux nouveaux croquemitaines de l’ère Internet : ces Gafa qui ont soumis des prolétaires traditionnels à un nouveau mode d’esclavagisme contre lequel ils sont bien décidés à lutter. Lorsqu’une femme victime d’un chantage à la sextape, le père d’une élève soumise au harcèlement et une chauffeuse VTC sous-exploitée s’unissent pour demander des comptes aux grands manitous des nouvelles technologies et des réseaux sociaux, c’est dans une véritable croisade que se lancent ces damnés de la terre unis contre des forces occultes. Plus narquois que jamais, les auteurs du Grand soir (2011) et d’I Feel Good (2017) traitent sous la forme de fable ce phénomène moderne qui a réduit la fracture numérique par une paupérisation accrue des laissés-pour-compte de la société de consommation. Sous la comédie, affleure toutefois une attaque en règle qui cible le pouvoir redoutable des apprentis sorciers de la Silicon Valley en opposant à la puissance des multinationales américaines le bon sens rassurant des fameux Gaulois réfractaires.


Blanche Gardin et Vincent Lacoste

Le résultat est souvent savoureux, parfois outrancier, mais témoigne constamment d’une salubre pugnacité qui a valu au film l’Ours d’argent du 70e anniversaire lors de la dernière Berlinale. Une consécration flatteuse qui a pu hérisser certains puristes, la comédie demeurant toujours un genre snobé par les festivals. Ce serait faire bien peu de cas de l’originalité de ce constat impitoyable qui joue à dessein la carte de la poésie pour aborder plus efficacement un sujet ô combien abstrait. Effacer l’historique possède au moins deux qualités indiscutables : son audace narrative et la singularité de sa distribution menée par deux personnalités féminines au summum de leur popularité, la fantaisiste Blanche Gardin (déjà confrontée au poison des réseaux sociaux dans la comédie à sketches Selfie) et l’actrice engagée Corinne Masiero. Cette comédie grinçante est sans doute la première à rendre en compte le phénomène des Gilets Jaunes.
Jean-Philippe Guerand



Corinne Masiero et Blanche Gardin

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