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Larissa Sadilova : Quand on n'a que l'amour


Larissa Sadilova ©DR


Née le 22 octobre 1963 en URSS, Larissa Sadilova a étudié la comédie à la célèbre VGIK de Moscou, sous la houlette du cinéaste Sergueï Guerassimov dont elle est l’interprète dans Léon Tolstoï (1984). Parmi ses autres rôles fameux figure celui qu’elle a tenu dans le court métrage La nuit (1989) de son réalisateur de mari, Guennadi Sidorov, décédé en 2011 à l’âge de 48 ans. Elle passe à son tour à la réalisation avec Longue vie ! (1998), un projet de court métrage documentaire devenu un long et couronné en tant que tel du Grand Prix du festival international du film de femmes de Créteil. Elle signe par la suite Amoureusement, Lilia (2002), qui est notamment primé au festival de Rotterdam, On demande une nounou (2005), Rien de personnel (2007), Fiston (2009), Elle (2013) et Il était une fois dans l’Est, sélectionné dans le cadre de la section officielle cannoise Un certain regard en 2019. Cette chronique sardonique et minimaliste est distribuée le 11 juin 2020 sur les plateformes  Canal VOD, Filmo TV, Google Play, iTunes, Orange, UniversCiné et Wuaki.

Dans quelles conditions techniques et économiques Il était une fois dans l’Est a-t-il été tourné ?
Larissa Sadilova Il était une fois dans l’Est est un film à petit budget, ce que j’ai gardé à l’esprit dès le début, de façon à ce que le scénario tienne compte de ce cahier des charges. Les conditions dans lesquelles j’ai travaillé se sont adaptées parfaitement à ces contingences. Nous n’avons eu aucun dépassement, que ce soit en ce qui concerne les salaires de l’équipe technique, les cachets des acteurs ou le matériel de tournage. Ce projet était à l’origine un court métrage, mais il s’est avéré rapidement qu’il était plus judicieux de réaliser un long. Ma coproductrice Larissa Schneiderman a soutenu elle aussi cette idée. La difficulté était que le film devait se tourner à trois saisons différentes -l’automne, l’hiver et l’été-, ce qui impliquait de prévoir de diviser notre plan de travail de 21 jours en trois périodes distinctes. La ville de Troubtchevsk qui est notre décor principal, se situe à plus de 400 kilomètres au sud-ouest de Moscou. Cela impliquait des déplacements très longs. J’ai défini avec mon chef opérateur Anatoly Petriga des principes qui soient cohérents avec notre petit budget. Nous avons ainsi réduit au strict minimum les sources de lumière artificielles, avons opté pour la caméra Canon C300 Mark 2, en limitant les mouvements d’appareil et en adoptant une méthode qui se rapproche de celle qu’on utilise dans le domaine du documentaire. L’intégralité du montage a été réalisé dans un petit studio, de même que l’habillage graphique et l’étalonnage. Le son direct enregistré sur le plateau a été conservé tel quel. Le monteur son et ingénieur du son chargé du mixage Roustam Akhadov a travaillé quant à lui dans un studio son professionnel qui dépend du département de production de Mosfilm.


Il était une fois dans l’Est de Larissa Sadilova

Quelle est la principale difficulté que vous ayez rencontrée au cours de cette aventure ?
L. S. La difficulté principale était inhérente au budget modeste dont nous avons disposé pour mener à bien cette production, car il nous a contraint à renoncer à beaucoup de suggestions intéressantes. En revanche, cette contrainte m’a enseigné qu’il ne faut avoir peur de travailler dans une stricte économie de moyens. Je veux dire par là que la qualité d’un film n’est pas nécessairement tributaire de son budget, mais qu’elle est liée davantage au fait que l’organisation du travail en équipe soit impeccable et aussi à Dieu qui est resté constamment bienveillant à notre égard.

Comment avez-vous choisi Kristina Shnaider, l’interprète principale de votre nouveau film, Il était une fois dans l’Est ?
L. S. Elle possédait à mes yeux un profil idéal dont peu de comédiennes d’aujourd’hui sont dotées en Russie. Elle pouvait être crédible dans un rôle de femme provinciale ordinaire.

Votre 1er film, Longue vie, a obtenu le Grand Prix du festival de films de femmes de Créteil il y a 20 ans. Pourquoi avez-vous tourné si peu depuis ?
L. S. La politique de la Russie en matière de cinéma a beaucoup changé. L’État ne soutient plus que les grosses productions commerciales et au même titre que beaucoup d’autres auteurs, j’ai été rayée des listes en ce qui concerne les subventions éventuelles, par ailleurs de plus en plus limitées. Le profit est devenu capital et le nouveau ministre de la Culture a mis un terme aux rares aides encore existantes. Nikita Mikhalkov a eu beau intervenir personnellement en ma faveur, j’ai dû me débrouiller par moi-même avec mon mari, Roustam Akhadov, qui est à la fois mon producteur et mon ingénieur du son au sein de la petite société indépendante que nous avons créée.

Quelle conception vous faites-vous de votre métier de réalisatrice et de productrice ?
L. S. Je cumule systématiquement les fonctions de productrice et de réalisatrice sur tous mes films. Telle est mon expérience. Du coup, j’écris toujours les scénarios en tenant compte de ces contraintes budgétaires. En tant que productrice, j’ai le droit de prendre des décisions qui concernent des changements éventuels de dialogues et de lieux de tournage, ainsi que le choix de mes interprètes. Cela implique une liberté totale dans le processus de production proprement dit. Cela rend le travail plus facile pour moi de cumuler ces deux fonctions car cela me permet d’exercer un contrôle accru.



Quelle est la situation des femmes réalisatrices en Russie ?
L. S. Quand j’ai débuté, nous étions peu nombreuses, la plus célèbre étant Kira Muratova, qui a eu le même professeur que moi à la VGIK, Sergueï Guerassimov. Aujourd’hui, la situation s’est considérablement améliorée, mais je ne me considère pas pour autant comme une pionnière dans ce domaine. Loin de là.

Quel est le stade de la réalisation qui vous tient le plus à cœur et pourquoi ?
L. S. C’est le tournage que je préfère car il m’arrive souvent de modifier le scénario au cours du tournage et même parfois d’ajouter des séquences additionnelles et de nouveaux personnages. Le tournage est pour moi un moment de vie, qu’il s’agisse de travailler avec les acteurs ou avec l’équipe technique, il s’agit de rester en mouvement permanent.

Vous sentez-vous des affinités particulières avec d’autres cinéastes russes ?
L. S. Mes collègues me respectent, et j’entretiens des relations amicales avec la plupart d’entre eux. Sinon je me sentirais bien seule. Je ne crois pas aux coalitions. Il n’y a rien que je fasse sans mon mari, Roustam Akhadov, qui est le producteur de tous mes films ainsi que le producteur de leur bande son. Les cinéastes de notre génération ne tournent pas si souvent que ça, certains d’entre eux ne sont pas parvenus à surnager. Cela tient pour une bonne part à la situation terrible qui a régné dans notre pays au cours des années 90. Alors que nous sommes pour la plupart diplômés de la VGIK, la plupart d’entre nous se sont retrouvés au chômage, en raison de l’arrêt quasi total de la production. La plupart d’entre nous ont quitté cette profession, pour la simple raison qu’ils avaient besoin de gagner leur vie.

Y a-t-il un film ou un cinéaste qui ait décidé de votre vocation ?
L. S. Mon réalisateur préféré est Sergueï Guerassimov que j’ai eu pour professeur à la VGIK. Il m’a tout donné dans ce métier, m’a permis d’élargir mon horizon et m’a permis de comprendre que la chose la plus importante dans notre profession relève de l’humain ! Il n’y a rien de plus important et de plus intéressant ! Il m’a appris à exprimer mes pensées clairement. Je considère son film Le Don paisible comme le plus grand chef d’œuvre du cinéma mondial.

Pensez-vous que la vulgarisation des nouvelles technologies soit de nature à faire évoluer votre conception du cinéma ?
L. S. La technologie ne constitue à mes yeux qu’un outil qui permet de simplifier mon travail et une façon de faire progresser la qualité technique, mais pas davantage. C’est le premier de mes films que je tourne à l’aide d’une caméra numérique, mais je m’apprête à réaliser le prochain sur pellicule. Je ne pense donc pas que la technologie influe de quelque façon que ce soit sur mes nouvelles idées.


Il était une fois dans l’Est de Larissa Sadilova

Que représente à vos yeux cette première sélection au festival de Cannes ?
L. S. Je pense que le festival de Cannes me permettra de monter plus facilement de nouveaux projets. Grâce à sa sélection au festival, Il était une fois dans l’Est bénéficiera d’une distribution à la fois en Russie et dans le reste du monde. Cette sélection me permet d’accéder à un nouveau statut au sein de l’industrie mondiale du cinéma, ce qui est également formidable !

Quels sont vos projets ?
L. S. J’ai l’idée de plusieurs projets. L’un d’eux concerne une femme de 70 ans extrêmement pauvre qui a appris comment survivre en cette période difficile avec le réconfort de son jardin. Il s’agit d’un drame qui se déroule de nos jours en Russie. Un autre projet a vu le jour récemment qui a trait à mes préparatifs pour mon séjour au festival de Cannes, où c’est la première fois que je suis invitée, et la façon dont tous mes amis me sont venus en aide pour que ce voyage soit réussi. Là, il s’agit plutôt d’une comédie qui se déroule elle aussi en Russie.
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand
en mai 2019




Bande annonce d'Il était une fois dans l'Est

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