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Alejandro Fadel : Dans la forêt profonde


 
Alejandro Fadel © DR

 
Né le 1er janvier 1981, à Tunuyán, en Argentine, Alejandro Fadel, a étudié le scénario à l’université de cinéma de Buenos Aires. C’est Los salvajes, présenté lors la Semaine de la critique et Prix de l’Acid 2012, qui a valu sa première reconnaissance personnelle au coscénariste de Leonera (2008), Carancho (2010) et Elefante Blanco (2012) de Pablo Trapero. Il était essentiellement connu jusqu’alors pour une demi-douzaine de courts métrages et la comédie romantique El amor - primera parte (2004) coréalisée avec Martín Mauregui, Santiago Mitre et Juan Schnitman, et montrée à la Semaine de la critique… de Venise. Il a aussi signé avec la cinéaste sud-africaine Zamo Mkhwanazi le court Gallo Rojo, sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs en 2016. Pur film de genre référentiel, Meurs, monstre, meurs a été montré dans le cadre de la section Un certain regard à Cannes en 2018.



Dans quelles conditions techniques et économiques Meurs, monstre, meurs a-t-il été tourné ?
Alejandro Fadel Le seul moyen de produire étaient de trouver les bons alliés. Dès le début ; il s’est agi de réunir des forces et des volontés qui croient au film autant que nous. Des entreprises, des fonds, des institutions publiques et privées, dans différents pays du monde. Le générique du film les cite. Ce film a été possible car, dès la première version de son traitement, en mars 2013, il a été soutenu par le Hubert Bals Fund, puis la résidence de la Cinéfondation a permis d’achever la première version du scénario et le projet a été ensuite été présenté au marché de coproduction de la Berlinale, avec ces soutiens, et quatre années de développement et de recherche de financement, nous avons pu au début 2017, fixer la date de début du tournage. Il a été vital de parcourir ce chemin en compagnie de nos courageux coproducteurs Rouge International et Uproduction en France et les amis de Cinestación au Chili. Avec beaucoup de travail, et la part de chance nécessaire, nous avons réussi à intéresser d’autres personnes au projet et elles nous ont rejoints, la liste est longue, mais chacune a été indispensable. Le tournage a été difficile, 7 semaines dans la province de Mendoza, en haute montagne et en plein hiver. Un tournage tout terrain. Toute l’équipe technique et les acteurs ont été stoïques face aux conditions de tournage et les ont supportées avec zèle et bonne humeur. En fin de compte, nous sommes revenus de la montagne avec des heures et des heures d’images et de sons. Nous avons monté le film à Buenos Aires, en même temps que nous travaillions les effets spéciaux entre la France et l’Argentine. Finalement, nous avons terminé les images à San Pablo (Brésil) et Bordeaux, le son entre le Chili et l’Argentine et le mixage en France. Mystérieusement, il semble que toutes ces parties se sont emboîtées ; et nous n’avons pas eu un assemblage d’éléments nationaux mais bien un film. Le processus a demandé un gros travail de chacun en cherchant dans chaque situation comment traquer le monstre. Terminer le film marque la fin d’une étape, et le commencement d’une autre qui va aussi demander du travail et de la confiance, le faire connaître dans monde.

Quelle est la principale difficulté que vous ayez rencontrée au cours de cette aventure ?
A. F. Lors du tournage, jour après jour, les difficultés se sont succédées. Mais je ne le vois pas comme ça, comprendre qu’il en serait ainsi fait aussi parti du processus. Personnellement j’ai pris plaisir au tournage et à un certain sentiment de chaos. Il s’agit d’être préparé pour accueillir l’énergie de l’inattendu par rapport au plan de travail. Le film devait être au service de ce que nous ne pouvions pas prévoir et pas l’inverse. J’aime travailler de cette manière, avec suffisamment de marge d’erreur et de hasard, qui mettent en danger le scénario et provoque notre surprise devant l’image en train de naître. La relation au réel, sous ses diverses acceptions, traverse ce film. Le revers de cette recherche de liberté et ce que nous a enseigné cette expérience, c’est que les films peuvent toujours être plus chers que ce qui était prévu.

 
Meurs, monstre, meurs (2018) d’Alejandro Fadel


Quelle conception vous faites-vous de votre double casquette de producteur et de réalisateur ?
A. F. J’admire les réalisateurs qui sont aussi producteurs de leurs films. C’est ce que j’essaye de faire, c’est à dire que des choix formels, esthétiques soient accompagnés par un mode de production qui renforce la puissance du film à venir. À mon sens, chaque film mérite d’être pensé de manière spécifique et je crois que l’on commet une erreur quand on impose des modèles de production à des films différents. A ce compte-là, les films commerciaux et les films d’auteur connaissent le même sort. Je le dis de ma place de modeste producteur, car depuis mon premier film je suis accompagné par Agustina Llambi-Campbell, la véritable productrice de ce film.

Quel est le stade de la production qui vous tient le plus à cœur et pourquoi ?
A. F. Le tournage, je crois, pour la surprise quotidienne qu’apporte le travail sur les matériaux, sur le réel. Travailler avec l’erreur comme allié, avec la surprise comme vertu. J’aime être avec les gens, j’aime que surgissent des choses inattendues qui vont nourrir le film de nouveautés. L’objectif et le micro captent cette énergie, et en ce sens je suis croyant. Mais j’aime aussi le montage, images et son, c’est la partie plus matérielle, plus rigoureuse, plus intellectuelle. Ce moment de choix de ce qui va rester dans la scène, ou non, qu’est-ce qu’on montre au spectateur, qu’est-ce qui est laissé à l’imagination… en définitive, quel travail fait-on sur le hors-champ, cette part insaisissable que tout film porte parfois comme choix esthétique, d’autres fois comme malédiction.

Vous sentez-vous des affinités particulières avec d’autres cinéastes de votre pays ou de votre génération et quels sont vos points communs éventuels ?
A. F. Depuis la fin des années 90, le cinéma argentin a connu un renouveau générationnel, artistique et formel. Des réalisateurs qui vont changer l’histoire du cinéma argentin commencent alors à travailler. Si chacun d’entre eux a pris un chemin différent, je crois que cette vitalité nous a permis, à nous qui venions derrière, de penser que tout film était possible, qu’il n’y avait pas qu’une manière de produire, que toutes les images méritaient de naître libres. Le temps a passé et aujourd’hui l’Argentine produit beaucoup de films annuellement et certains sont vraiment bons. Le problème c’est que cette croissance de la production n’a pas coïncidé avec une augmentation des spectateurs que ces films méritent. Par conséquent, les films se perdent souvent face à la voracité du marché ou à l’incapacité -budgétaire dans la plupart des cas- de développer une stratégie de diffusion. L’autre grande inconnue aujourd’hui est l’impact qu’auront sur les films à petit et moyen budget les mesures que l’INCAA semble mettre en œuvre en misant surtout sur un cinéma plus industriel. C’est une question, nous devons rester vigilants et nous battre pour que la diversité des images que produit le cinéma argentin continue.

 
Meurs, monstre, meurs (2018) d’Alejandro Fadel
 

Pensez-vous que la vulgarisation des nouvelles technologies soit de nature à faire évoluer votre conception du cinéma ?
A. F. Je crois que le côté positif des nouvelles technologies qui permet d’accéder facilement aux technologies d’enregistrement de l’image et du son est indiscutable. Et c’est bien. Mais je crois que la grande question est comment lutter contre l’homogénéisation des images, comment faire des images nouvelles confronté à une technique qui semble vouloir imposer une standardisation du beau. Quand la technique s’impose (comme c’est le cas, je crois, dans la majeure partie des films) elle nous offre une multitude d’images normalisées, adaptées, captives. Je me souviens d’un texte de mon ami et maître, le réalisateur Mariano Llinas, il parlait de l’étalonnage, et disait que le cinéma, avec ce processus technique, avait anéanti ce qu’avait réussi la peinture impressionniste et était revenu à la peinture d’atelier où toute surprise lumineuse peut être évitée et où le fondement du processus est la domestication de l’image. Dans son texte plus que de correction de couleur, mon ami parlait « d’aberration de couleur !». Finalement la relation du cinéma avec la technologie et le développement industriel a toujours été une question qui polluait les films et elle devrait être centrale également pour les cinéastes.

Quelle importance accordez-vous au festival de Cannes, à la fois par rapport à votre statut dans votre propre pays et à votre renommée internationale ?
A. F. J’essaie pour ma santé et ma tranquillité d’esprit de ne pas avoir d’attentes précises. Bien sûr, si nous avions rêvé d’un lieu pour montrer notre travail pour la première fois, c’était celui-ci, et nous sommes reconnaissants et heureux que notre film ait été sélectionné. Cela aidera certainement à montrer le film dans d’autres territoires, à toucher d’autres spectateurs, à faire qu’il soit une expérience collective. J’ai aussi des espoirs pour la sortie dans notre pays. Mais ce sont seulement des espoirs, c’est mieux ainsi. Je n’aime pas penser un film comme une étape vers le suivant, chaque film doit d’abord naître en moi avec force, ensuite, je suppose, qu’il s’agit de communiquer cette énergie à d’autres personnes pour faire le film ensemble. Je préfère penser qu’il n’y a pas grand-chose qui m’attend hormis garder l’énergie de filmer un plan, puis un autre, et encore un autre qui ensuite vont s’assembler harmonieusement et faire un film.

Quels sont vos projets ?
A. F. Je ne le sais pas encore. En général, mon processus de travail est chaotique j’accumule idées, arguments, personnages, lectures. Lentement les choses commencent à prendre forme. Et là je m’assois pour travailler et je tente de voir s’il y a là un film. Ce qui implique aussi de penser à la manière dont il va être produit et à la manière dont l’argent sera géré. J’ai beaucoup de notes éparses à organiser afin de décider quel sera le chemin à suivre. Je pressens que cette fois le défi sera l’humour.
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand
en avril 2018


 
Meurs, monstre, meurs (2018) d’Alejandro Fadel

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