Valeria Bruni-Tedeschi © DR
Née en 1964 à Turin, en Italie, Valeria Bruni Tedeschi vit depuis 1975 en France où sa famille s'est réfugiée après avoir été menacée par les Brigades Rouges. Sœur aînée de la chanteuse Carla Bruni, elle a effectué son apprentissage de comédienne sous la direction de Patrice Chéreau à l'éphémère Ecole des Amandiers où elle a noué de solides relations amicales et professionnelles. Elle a tenu plus de quatre-vingt rôles au cinéma et à la télévision, en France comme en Italie. Son interprétation dans Les gens normaux n’ont rien d’exceptionnel de Laurence Ferreira Barbosa lui a valu le César du meilleur espoir féminin en 1994. Lauréate à deux reprises du Prix Pasinetti à la Mostra de Venise pour Rien à faire (1999) de Marion Vernoux et 5x2 (2004) de François Ozon, elle a par ailleurs obtenu à trois reprises le David di Donatello de la meilleure actrice, pour La seconda volta et Mots d'amour de Mimmo Calopresti, en 1996 et 1998, et pour Les opportunistes de Paolo Virzi, en 2013. Son premier film en tant que réalisatrice, Il est plus facile pour un chameau… (2003) lui a notamment valu le Prix Louis Delluc. Il a été suivi d’Actrices (2007) et d’Un château en Italie (2013) dans lequel elle rend
hommage à son frère, mais prend soin de ponctuer de saynètes franchement
burlesques ce qui pourrait être une tragédie. Un film qui lui ressemble, elle
toujours à cheval entre la France et l’Italie, entre l’écriture, la mise en
scène et sa vie d’artiste. Elle a signé depuis une adaptation des Trois sœurs (2015) d'Anton Tchekhov pour Arte et un documentaire intitulé Une jeune fille de 90 ans (2016).
Vos films relèvent de ce qu’on appelle l’auto-fiction en littérature.
L’assumez-vous ?
Valeria Bruni Tedeschi À force de faire l’actrice, j’ai eu envie d’écrire
et d’interpréter ma propre chanson, sans savoir s’il s’agirait d’un film ou
d’autre chose. On peut parler d’auto-fiction parce que je pars d’un matériel
qui est proche de moi, mais le travail que je fais sur le scénario avec Noémie
Lvovsky et Agnès de Sacy m’éloigne peu à peu de ce point de départ. Ensuite, il
faut des années pour construire l’histoire, créer des personnages cohérents et,
bizarrement, on arrive à des choses proches de moi, mais seulement à la
fin ! Par exemple, Louise, mon personnage, a longtemps été écrivaine et
n’est devenue actrice qu’au terme de quatre ans de travail. Quant à Nathan,
qu’incarne Louis Garrel, il était libraire et n’est lui aussi devenu acteur…
que deux mois avant le tournage. Donc, si auto-fiction il y a, elle est le
fruit de quatre ans de travail…
Et si mes trois films ont des points communs, c’est inconscient, car on essaie
toujours de creuser davantage les différences que les similitudes.
Pourquoi avez-vous besoin d’autant de temps pour écrire ?
V. B. T. On travaille à l’envers : je commence à écrire des scènes, des
dialogues et peu à peu on voit surgir une histoire, ce qui est beaucoup plus
long et moins efficace que la méthode traditionnelle. On se retrouve avec plein
de scènes dans tous les sens et on doit trouver le lien souterrain qui les
rattache entre elles, en évitant qu’elles s’entrechoquent.
Comment arrivez-vous à travailler à trois sur des thèmes aussi
personnels ?
V. B. T. Avec Noémie [Lvovsky, la
réalisatrice de Camille redouble], on se connaît parfaitement et on partage
la même fantaisie, au point qu’on finit par ne plus savoir qui a apporté quoi,
tant on se ressemble, et on s’autorise toutes les trois la drôlerie, la
tristesse et la mélancolie, même si l’on est parfois intimidé par les
situations tragiques de la vie. Mais le plus important, c’est que Noémie
m’autorise à être moi-même, ce qui constitue à mes yeux le plus beau cadeau
qu’on puisse faire à quelqu’un. En tant que mère, j’aimerais pouvoir offrir un
tel présent à ma fille.
Comment gérez-vous l’équilibre entre tragédie et comédie ?
V. B. T. Je me contente de donner parfois un petit coup de pouce à la réalité
en poussant une scène jusqu’à ses extrêmes limites. J’adore les personnages inadaptés,
car je les comprends. Les gens qui se sentent à l’aise me semblent venus d’une
autre planète, mais ils me fascinent parce que je les trouve différents. À mes
débuts, j’ai passé trois mois dans le cours de théâtre de Jacques Lecoq :
on nous mettait debout sur nos deux pieds, il ne se passait rien, puis on nous
demandait de lever une jambe et un bras, et là on commençait à faire des
mouvements. Ça veut dire que c’est dans le déséquilibre qu’il se passe quelque
chose, ce que j’ai vérifié par la suite avec Patrice Chéreau. Quand j’ai dû
interpréter une femme heureuse dans Nénette
et Boni de Claire Denis, je me suis demandée ce qu’il y avait d’intéressant
à raconter dans le bonheur et je me suis dit que c’était… de le perdre !
J’ai trouvé le déséquilibre de ce personnage dans cette fragilité. Natalia
Ginzburg a écrit à ce propos que « les gens heureux sont des gens
fragiles » et que « les gens satisfaits sont des gens assis et
bourgeois ». Ce sont les failles qui m’intéressent chez les gens
satisfaits et j’adore les personnages enfermés dans leur carapace qui ont des
choses honteuses à cacher.
Bande annonce d’Un château en Italie (2013) de Valeria Bruni Tedeschi
Pourquoi avez-vous choisi d’évoquer la mort de votre frère Virginio, victime du sida en 2006, dans Un château en Italie ?
V. B. T. Je ressens le besoin de parler de la mort et des gens qui sont
partis : il n’y a pas du bruit ici et du silence en haut. Il faut que ça
circule et je suis convaincue que la force de mon frère a accompagné ce film.
Faire revivre les morts m’aide à supporter leur disparition. Je l’avais
d’ailleurs déjà fait dans mes deux premiers films.
Comment avez-vous convaincu votre mère, Marisa Borini, de jouer dans vos films ?
V. B. T. C’est Noémie Lvovsky qui m’avait suggérée de lui faire passer des
essais et elle a été immédiatement parfaite. C’est un mélange de
perfectionnisme absolu et de je-m’en-foutisme complet. Pourtant, hormis La petite chartreuse de Jean-Pierre Denis et La boîte noire de Richard Berry, on ne lui a rien proposé d’autre, alors qu’elle adore ça et
que ça lui donne l’occasion de s’exprimer en tant qu’artiste. Elle est
pianiste, mais souffre d’arthrose, ce qui la prive de jouer autant qu’elle
l’aimerait.
L’évocation de la mort de son fils ne l’a-t-elle pas gênée ?
V. B. T. Non, parce que, pour elle, le métier d’actrice est une distraction et
que la souffrance d’une scène est dérisoire par rapport à celle de la vie. Qu’y
a-t-il de pire au monde que la mort d’un enfant ? Et puis, comme je suis
obsédée par les problèmes familiaux, que le rapport à la mère m’intéresse et
que j’ai besoin d’une actrice bilingue, ça me semblerait dommage de me priver
de sa présence.
Quels sont vos projets immédiats ?
V. B. T. J’ai tourné deux films italiens : Vive la liberté de Roberto Andò, avec Toni Servillo
dans les rôles de deux jumeaux, et Les opportunistes de
Paolo Virzi, qui est en cours de post-production. Actuellement, je collabore au
scénario du prochain film de Yossi Aviram, un réalisateur israélien qui m’avait
proposé un rôle dans son premier long métrage, La dune, au moment où je préparais Un château en Italie. Et puis, j’essaie aussi d’écrire pour moi.
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand
en octobre 2013
Bande annonce d’Actrices (2007) de Valeria Bruni Tedeschi
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