Samuel Benchetrit © DR
Né en 1973 dans la banlieue parisienne, Samuel Benchetrit se fait connaître comme écrivain avec Récit d’un branleur, en l’an 2000, avant de passer à la réalisation avec le court métrage Nouvelles de la tour L (2001), qui lui vaut plusieurs récompenses dont le Prix du public au festival d’Amiens, puis en dirigeant son épouse Marie Trintignant dans ce qui sera son antépénultième apparition à l'écran, Janis et John (2003). Il signe par la suite J'ai toujours rêvé d'être un gangster (2007), dont le scénario est primé au festival de Sundance et aux Lumières, Chez Gino (2011), puis change radicalement de registre avec Un voyage (2014), tourné en trois semaines et monté en deux ans, avant de puiser l’inspiration d’Asphalte (2015) et de Chien (2017) dans ses propres livres. Autodidacte, Benchetrit a par ailleurs tenu une dizaine de rôles dans des films tels que Backstage (2005) d’Emmanuelle Bercot, Un enfant de toi (2012) de Jacques Doillon et Les gazelles (2014) de Mona Achache.
Qu’y a-t-il exactement de vos recueils Chroniques de l’asphalte dans Asphalte ?
Samuel Benchetrit À vrai dire, très peu de choses. Ces trois volumes contiennent chacun
quinze à vingt nouvelles, mais je n’en ai retenu que deux. Celle qui met en
scène le handicapé interprété par Gustave Kervern qui est puni pour avoir
refusé de cotiser en faveur de l’installation d’un ascenseur dans son immeuble
et celle de l’astronaute qui se retrouve accidentellement hébergé par une
habitante de cette cité.
Quel était votre intention en réalisant ce film?
S. B.
J’avais surtout envie de décaler le fond et de soigner la forme. Le thème qui
sous-tend ce film, c’est la banlieue -en m’éloignant des clichés habituels
qu’elle véhicule au cinéma, parce que j’y ai grandi- et la chute décrites à
travers le destin de trois habitants qui se trouvent confrontés brusquement à
des étrangers. J’avais aussi le désir de traiter du problème du langage.
Pourquoi avez-vous choisi Isabelle Huppert pour incarner cette actrice
qui échoue dans cet immeuble
S. B.
À l’origine, j’avais pensé d’autres actrices pour ce rôle : j’ai même
rencontré Sophia Loren et discuté avec Faye Dunaway sur Skype, mais j’ai trouvé
que ça aurait fait trop d’étrangers dans le même immeuble, dans la mesure où il
y avait déjà l’astronaute campé par Michael Pitt [rires]. Et puis, Isabelle est plus jeune et n’a pas subi les
ravages de la vie.
Bande annonce d’Asphalte (2015) de Samuel Benchetrit
Comment avez-vous choisi l’extrait de film qui illustre son passé de
comédienne ?
S. B.
Je cherchais un film dans lequel on pourrait isoler son personnage et j’ai
porté mon choix sur La dentellière en
décidant de passer ses images en noir et blanc, mais les ayants-droit ne me
répondaient pas. Du coup, Isabelle m’a conseillé d’appeler directement le
réalisateur suisse Claude Goretta qui a été charmant et nous a donné
immédiatement son autorisation. Il m’a même confié qu’initialement il voulait
tourner son film en noir et blanc. Du coup, on s’est amusé à imaginer une autre
histoire autour de ces images.
Pourquoi avez-vous confié le rôle du jeune partenaire d’Isabelle
Huppert à votre fils, Jules Benchetrit ?
S. B.
À vrai dire, le rôle n’était pas écrit pour lui, mais il s’est imposé comme une
évidence. Du coup, j’ai vieilli ce personnage d’adolescent. En outre, il est
lui-même le fils d’une actrice, en l’occurrence Marie Trintignant, ce qui s’est
avéré précieux pour le rôle. Et puis, il a face à lui Huppert qui se dirige
peu. Sur le plateau, on se contentait de se regarder entre les prises pour
savoir s’il fallait en faire d’autres.
Comment jugez-vous cette expérience a posteriori ?
S. B.
Avec Asphalte, j’ai changé à la fois
de distributeur et de producteur. J’ai collaboré avec trois personnes
formidables : Julien Madon, qui a récemment produit L’affaire SK1, Ivan Taieb, qui a initié le premier film de Laure
Marsac, Le quatrième morceau de la femme
coupée en trois, et Marie Savare, qui a été récemment productrice déléguée
sur Still Alice, le film pour lequel
Julianne Moore a obtenu l’Oscar de la meilleure actrice.
Bande annonce d’Un voyage (2014) de Samuel Benchetrit
Comment considérez-vous votre carrière de réalisateur ?
S. B.
Avant mon film précédent, Un voyage,
je n’étais plus heureux. C’est pourquoi j’ai ressenti le besoin de me lancer
dans cette expérience radicale. J’ai écrit en mai 2013 et tourné en juillet
suivant avec une équipe de quatre personnes et Anna Mouglalis ce film
autoproduit pour 300 000 €.
Savez-vous déjà quel sera votre prochain film ?
S. B.
Je prépare l’adaptation de mon dernier roman, Chien, consacré au déclassement social, que je vais aller tourner à
New York. Désormais je ne pense plus qu’au cinéma : j’ai envie de
témoigner de l’état du monde en restant proche du réel. J’ai envie d’imprévus
et de saisir des moments sans m’enfermer dans le moindre système.
Avez-vous déjà été tenté par le documentaire ?
S. B.
Le doc m’intéresse quand il entre par des portes par lesquelles je ne passe
pas. Ce qu’il faut trouver, c’est des angles, un regard, mais pas du
sensationnel.
Avez-vous été sollicité pour réaliser des scénarios dont vous n’êtiez
pas l’auteur ?
S. B.
Oui, on m’a proposé de réaliser la série Marseille
pour Netflix et j’y ai finalement renoncé, bien que ce soit un très beau sujet.
Je suis tenté davantage par l’imprévu. J’aime jouer sur l’ambiguïté et être
dans l’instinct. J’ai aussi envie d’imprévu et d’être prêt à saisir le moment
sans m’enfermer. C’est en cela que le cinéma satisfait mon rapport à
l’intimité : on y subit des pressions incessantes, mais on reste
finalement seul parmi la foule. C’est aussi pour cela que je considère le
théâtre comme un entre-deux satisfaisant.
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand
en septembre 2015
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