Cécile de France © DR
Cédric Klapisch, c’est le
porte-bonheur de Cécile de France : le cinéaste qui lui a valu le César du
meilleur espoir pour L’auberge espagnole
en 2003, puis celui du meilleur second rôle féminin, pour Les poupées russes, trois ans plus tard. Avec Casse-tête chinois (2013),
le réalisateur et la comédienne bouclent en quelque sorte la boucle d’un cercle
vertueux qui reflète aussi ce qu’ils étaient et ce qu’ils sont devenus.
Derrière l’actrice, se cache également une voix : celle qui chante dans Anna, la comédie musicale de Serge
Gainsbourg, qu’elle a jouée en tournée, mais aussi celle qui raconte de belles
histoires aux enfants sur le livre-CD Les
cygnes sauvages, édité fin 2013. Née en Wallonie en 1975 et couronnée du Prix Romy Schneider en 2005, Cécile de France a une cinquantaine de rôles à son actif dans des films aussi différents que Toutes les nuits (2001) d’Eugène Green, Irène (2002) d’Ivan Calbérac, Haute tension (2003) d’Alexandre Aja, qui lui a valu le Prix d'interprétation féminine du festival de Sitges, Fauteuils d'orchestre de Danièle Thompson, Quand j’étais chanteur (2006) de Xavier Giannoli, Un secret (2007) de Claude Miller, qui lui a valu un Globe de cristal, Au-delà (2010) de Clint Eastwood, Le gamin au vélo (2011) de Luc et Jean-Pierre Dardenne, pour lequel elle a été nommée à l’European Film Award de la meilleure actrice, Möbius (2013) d’Eric Rochant, La belle saison (2015) de Catherine Corsini, la série The Young Pope (2016) de Paolo Sorrentino, Django d’Etienne Comar et Ôtez-moi d’un doute (2017) de Carine Tardieu.
Dans quel état d’esprit avez-vous retrouvé ce personnage d’Isabelle que
vous incarnez pour la troisième fois dans Casse-tête
chinois ?
Cécile de France Ça faisait longtemps que je réclamais un troisième film à Cédric [Klapisch] et je crois que je
continuerai toute ma vie à attendre un nouvel épisode [rires]. Quand j’ai appris qu’il avait décidé de s’y remettre, j’ai
été très heureuse. Il nous a convoqués pour nous demander si l’on était
d’accord, Romain Duris, Audrey Tautou, Kelly Reilly et moi. Personnellement,
j’avais tellement été heureuse des deux précédents films, aussi bien
humainement qu’artistiquement, que j’ai sauté de joie à l’idée de revoir des partenaires
qui sont aussi devenus des copains. Il avait régné une telle ambiance de
camaraderie collective sur L’auberge
espagnole et Les poupées russes
que c’était forcément un bonheur de se retrouver à nouveau. J’étais d’autant
plus enchantée que mon personnage est sympathique et qu’il me fait rire. Et
puis, j’ai été aussi bouleversée par le scénario de Casse-tête chinois que j’ai trouvé à la fois drôle et émouvant. Il
s’agissait en quelque sorte de réussir une recette différente en utilisant les
mêmes ingrédients.
Comment avez-vous vécu ce tournage à New York ?
C. F.
Comme je ne tournais pas tous les jours, j’ai pu vraiment profiter de la ville,
contrairement à Romain [Duris] qui
est de toutes les scènes…
Votre personnage a-t-il vieilli comme vous l’auriez imaginé ?
C. F.
Je n’ai pas été vraiment surprise, car on en avait parlé à plusieurs reprises
avec Cédric et on savait que le problème de la maternité se poserait forcément
à un moment donné. Quand il écrit, il n’est pas tout seul dans son coin et
c’est sans doute pour cela qu’il est aussi juste. Ce film est un puzzle dont je
ne suis qu’un morceau parmi d’autres, mais il propose aussi un questionnement
sur la société actuelle.
Bande annonce de Casse-tête chinois (2013) de Cédric Klapisch
Avez-vous revu les deux volets précédents pour vous préparer à celui-ci ?
C. F.
Oui, mais à l’accéléré… C’était surtout pour me remettre en situation et
vérifier certains détails concernant mon personnage, mais je l’ai encore en
moi. J’ai éprouvé la même sensation que le spectateur, quand on voit défiler
des images des films précédents pendant le générique de Casse-tête chinois. C’est un peu comme de feuilleter un vieil album
photo : chacun avance dans la vie, les visages changent et c’est assez
émouvant. Grandir avec son personnage est un privilège rare et plutôt
savoureux.
Depuis le premier film, le statut des homosexuels au sein de la société
française a pas mal évolué. Comment avez-vous pris en compte ce paramètre ?
C. F.
Comme le film se passe à New York, c’est assez particulier. Mon personnage est
mariée, elle a un enfant et cela ne pose aucun problème particulier, même si le
hasard a fait qu’entre-temps, la question du Mariage pour tous a fait beaucoup
évoluer les choses en France.
Est-il exact que vous ayez rencontré votre vocation de comédienne à
l’âge de six ans ?
C. F.
Comme tous les écoliers, je suivais des cours de poésie en classe et j’adorais
ça. Je préparais ces séances avec beaucoup d’amour et un goût pour le
spectaculaire. Au lieu de me contenter de réciter, je me déguisais et je
prenais des voix différentes. La première fois où je l’ai fait, j’ai ressenti
dans les yeux de mes camarades de classe que ça leur faisait du bien et
constituait un moment de détente dans leur journée d’école, même si ce n’était
que pendant un court instant. Du coup, j’ai assumé ce rôle et j’y ai pris goût.
À partir de là, je me suis dit que si je n’en faisais pas mon métier, j’y
consacrerais toute ma vie, car ça me faisait beaucoup de bien de faire du bien
aux autres.
Bande annonce de L’auberge espagnole (2002) de Cédric Klapisch
Est-ce pour cette raison que vous avez enregistré récemment le livre-CD
pour enfants des Cygnes sauvages ?
C. F.
Complètement, car je me souviens que la maîtresse me demandait souvent de lire,
parce qu’elle savait que ça me passionnait. On peut dire que toute petite,
j’étais déjà narratrice.
C’est ce même plaisir que j’ai retrouvé en enregistrant Les cygnes sauvages, mais aussi en faisant des voix off pour le
documentaire Les animaux amoureux et
les deux Cars. J’adore la liberté
qu’on a quand on est devant un micro et qu’on éprouve la sensation d’être
invisible en travaillant sa voix.
Racontez-vous aussi des histoires à vos enfants ?
C. F.
Oui, énormément. Tous les jours, tout le temps, mais aussi tout et n’importe
quoi, du moment que j’aime les dessins qui illustrent le texte. Je ne suis ni
une inventrice, ni une auteure, juste une interprète motivée par le plaisir de
faire passer des histoires écrites par d’autres. En plus, je suis une mère très
présente à la maison et j’emmène ma famille avec moi partout où je vais.
Vous avez joué dans deux Biopics : Mesrine et Sœur Sourire.
Comment avez-vous vécu ces confrontations avec des personnages réels ?
C. F.
C’était à la fois une grosse responsabilité et un grand plaisir, car nous disposions
de beaucoup de documentation. Mais, en définitive, j’étais d’abord conditionnée
par la vision que souhaite exprimer le metteur en scène.
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’interpréter sur scène Anna, la comédie musicale de Serge
Gainsbourg immortalisée par Anna Karina ?
C. F.
Ce téléfilm n’a pas vraiment marché, quand il a été diffusé à la télévision, en
1967, donc il est moins connu qu’on ne pourrait le penser. Du coup, c’était l’occasion
de lui donner plus de retentissement. J’avais beaucoup aimé cette comédie
musicale, mais j’avoue qu’au départ, j’ai surtout essayé de pratiquer un
certain mimétisme par rapport à Anna Karina qui manifestait une fantaisie
fantastique dans ce rôle. Ce n’est qu’au fur et à mesure que je me suis
approprié ce personnage en en faisant mon Anna à moi.
Comment avez-vous appréhendée la partie chantée ?
C. F.
J’ai travaillé mentalement et vocalement, afin de me mettre en confiance avec
moi-même, et j’ai beaucoup répété, mais je n’ai en aucun cas la prétention
d’être une grande chanteuse, comme Brigitte Bardot, Catherine Deneuve ou Anna
Karina qui avaient chacune leur univers et apportaient leur émotion. Je suis
plus dans l’interprétation des mots que dans une démonstration vocale.
Bande annonce de Quand j’étais chanteur (2006) de Xavier Giannoli
Il y a longtemps que vous aviez envie de chanter ?
C. F.
Pas du tout ! D’ailleurs, au début, j’ai refusé parce que j’étais paniquée.
Ensuite j’ai vu le film et j’en suis tombée amoureuse, tant il est joyeux et
barré.
Personnellement, quelle musique écoutez-vous ?
C. F.
Je suis restée bloquée dans les années 90 : Rage Against the Machine, les
Pixies…, mais il n’y a pas tellement de Français, même si j’adore Gainsbourg,
évidemment. Je suis nostalgique de mon adolescence. Et puis, quand on est belge,
on est toujours un peu rock, mais je n’écoute pas beaucoup de musique, en fait.
À vos débuts, vous avez joué dans Haute
tension, un pur film de genre réalisé par Alexandre Aja. Quel souvenir gardez-vous de
cette expérience ?
C. F.
Personnellement, dans la vie, je suis une grande spectatrice de films d’horreur.
J’adore me faire peur, mais je ne vais pas beaucoup au cinéma, car j’habite à
la campagne et que les films n’y passent jamais en VO. Mais quand je vivais à
Paris, j’allais voir tous les films d’horreur qui sortaient [rires].
Pourquoi avez-vous choisi de partir vivre à la campagne ?
C. F.
Je suis originaire de la campagne et je ne suis pas du tout parisienne. Je
n’aime pas les grandes villes et j’ai besoin de vivre dans la nature et de voir
tous les jours des arbres et de l’herbe bien grasse. En fait, je me sens profondément belge, dans ma nature
comme dans ma manière d’être…
Bande annonce de La belle saison (2015) de Catherine Corsini
Qu’appelez-vous être belge ?
C. F.
C’est difficile à réduire en quelques phrases, mais, même si chacun à sa propre
manière de travailler, ce qui nous rapproche, c’est un humour commun et une
même façon de voir les choses. Les gens sont plus spontanés et n’essaient pas
de montrer qu’ils sont plus cultivés, plus intelligents ou qu’ils ont tout
compris. Ils ne font pas de chichis et disent ce qu’ils pensent. À Paris, qui
est différent du reste de la France, il y a toujours une certaine réserve et on
a toujours peur d’être jugé. Ce qui est sûr, c’est que les Belges éprouvent un
complexe d’infériorité par rapport aux Français. On se sent un peu comme, dans
une famille, le petit cousin bigleux dont les grands se moquent gentiment, même
si ça a changé depuis C’est arrivé près
de chez vous et Benoît Poelvoorde, mais on a toujours ça en nous.
Être belge et se nommer Cécile de France, c’est paradoxal, non ?
C. F.
C’est mon véritable nom et j’ai toujours revendiqué ma nationalité,
Aujourd’hui, les Belges n’aiment pas que les Français s’approprient leurs Belges,
alors qu’ils ont longtemps eu honte d’avouer leur nationalité. J’ai toujours
trouvé ça d’autant plus rigolo pour une Belge de s’appeler de France que
certaines personnes sont parfois persuadées que je suis noble, à cause de la
particule. D’ailleurs, personne ne m’a jamais suggéré de changer de nom.
Y a-t-il des metteurs en scène avec qui vous rêvez plus particulièrement de travailler ?
C. F.
Oui et non. La liste est longue, mais je n’ai pas envie de citer de noms, car
je ne suis pas quelqu’un qui calcule ou qui sollicite. J’ai toujours eu la
chance d’avoir des propositions qui me faisaient rêver, donc je n’ai jamais
éprouvé ce besoin.
Quand vous étiez petite, vous aviez un modèle d’actrice ?
C. F.
Là, c’est l’inverse. Je n’ai jamais été fan de qui que ce soit. Idolâtrer ou
ressembler à quelqu’un ne m’a jamais particulièrement intéressée. Ce qui m’a
toujours motivée, c’est d’être heureuse en racontant des histoires.
Propos recueillis
par Jean-Philippe Guerand
en novembre 2013
Bande annonce des Poupées russes (2005) de Cédric Klapisch
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