David Mackenzie ©DR
De nationalité écossaise, David Mackenzie est né en 1966 en Angleterre. Il appartient à cette nouvelle génération de cinéastes britanniques qui a su garder ses distances avec Hollywood, tout en abordant tous les genres, comme pour mieux brouiller les pistes en démontrant son savoir-faire. Comancheria (2016) est son premier film américain après une demi-dizaine de courts métrages, dont Marcie’s Dowry qui lui a valu le Prix du public au festival de Brest 1999, et des longs tels que Young Adam, présenté à Un Certain Regard
en 2003, Asylum (2005), My Name is Hallam Foe, Hitchcock d’or à Dinard en
2007, Toy Boy (2009), Perfect Sense et Rock’N’Love (2011) et surtout Les poings contre les murs,
qui a obtenu trois Baftas écossais en 2014. Il y met en scène avec virtuosité un scénario concocté par le comédien Taylor Sheridan, déjà remarqué comme auteur pour la série Sons of Anarchy (2008-2012) et Sicario (2015) de Denis Villeneuve, lequel vient de passer lui-même à la réalisation avec Wind River (2017).
Dans quelles conditions techniques et économiques Comancheria a-t-il été
tourné ?
David Mackenzie J’ai tellement aimé le
scénario de Taylor Sheridan que j’ai tenu à le filmer sans procéder à la
moindre réécriture du script. Nous nous sommes contentés de procéder à quelques
ajustements pour des raisons pratiques et à quelques improvisations en fonction
des circonstances, mais grosso modo, c’est le scénario initial qui a été
réalisé. Alors que l’action du film se déroule à l’ouest du Texas, nous avons
été contraints de tourner au Nouveau Mexique pour des raisons budgétaires. Il
était déterminant que le film ait l’air aussi texan que possible, car il est
nourri de l’esprit qui règne dans cet état. C’est pourquoi nous avons choisi
des lieux de tournage qui se trouvaient pour la plupart à quelques kilomètres à
peine de la frontière ouest du Texas. Nous avons tourné pendant plus de sept
semaines du milieu de l’été 2015, intégralement en extérieurs dans des décors
qui semblaient aussi authentiques que possible. Comancheria s’est monté très
rapidement et nous avons disposé d’un temps de préparation très court, en
raison des disponibilités de Chris Pine. La pré-production a été intense, en
raison des liaisons à effectuer en voiture pour repérer des lieux de tournage
parfois très éloignés les uns des autres, tout en préparant le casting et en
s’assurant que tout le reste soit prêt. Ensuite, pendant les trois premières
semaines de tournage -qui s’est déroulé pour l’essentiel sous forme de
plans-séquences-, il nous a fallu nous mettre dans l’état d’esprit des
hors-la-loi, avec Chris Pine et Ben Foster dans le rôle des frères mauvais
garçons. Il régnait une énergie créative fantastique et je me suis senti comme
un poisson dans l’eau au pays des cow-boys. Par la suite, Chris nous a
abandonnés au moment où Jeff Bridges et Gil Birmingham ont rejoint l’équipe,
Ben [Foster] étant chargé d’assurer la transition. Nous sommes parvenus à maintenir la
même vibration d’énergie, mais la pression due aux impératifs d’emploi du temps
s’est quelque peu relâchée, au moment où nous avons viré de bord pour nous
défouler avec les forces de l’ordre. Durant tout ce temps, nous avons tourné
avec de nombreux acteurs formidables qui ont contribué à donner leur substance
aux scènes et nous avons découvert à leur contact l’itinéraire de nos
personnages principaux qui a contribué à constituer l’univers du film. Le
tournage a constitué un moment magique, grâce à une distribution superbe et à
une équipe technique solide qui en ont fait l’une des expériences les plus
positives que j’aie jamais vécues au cours de ma carrière. Je suis
particulièrement redevable au talent de chacun et au travail parfois pénible
qui a rendu possible ce film. Par la suite, Jake Roberts, le monteur, et moi
sommes rentrés à Glasgow afin de peaufiner le montage pendant trois mois. Nous
nous sommes ensuite rendus à Los Angeles pour poursuivre ce travail et
entreprendre les finitions -ce qui consiste à soumettre une première version à
un public recruté pour cela afin d’obtenir ses réactions-, de façon à pouvoir
affiner par la suite le montage en conséquence. Cette nouvelle phase s’est
prolongée pendant quelques mois, tandis que nous menions de front tous les
autres éléments de la post-production, y compris le travail sur la bande
originale avec Nick Cave and Warren Ellis. Voici un bref aperçu d’une année
particulièrement intense.
Quelle est la principale difficulté que vous ayez
rencontrée au cours de cette aventure ?
D. M. En tant que cinéaste écossais,
je suis accoutumé à voir tous mes plans bouleversés par les conditions
météorologiques, c’est pourquoi l’un de mes espoirs en allant tourner en plein
désert était de bénéficier de conditions climatiques stables. Mais, en fait, le
Nouveau Mexique a enduré l’été le plus arrosé de toute son histoire. C’était
magnifique, avec ces fleurs pourpres, jaunes et roses qui poussaient sur les
cactus, mais nous avons dû nous battre pour parvenir à donner l’impression de
sécheresse que nous cherchions. Et nous avons perdu un temps considérable en
raison des orages. Lorsque les éclairs étaient trop proches, nous étions
obligés de débrancher les câbles électriques et il fallait que l’équipe se
réfugie à l’abri, ce qui nous a fait perdre beaucoup de temps. Mais j’ai
découvert à cette occasion qu’aucun règlement ne pouvait nous empêcher de
continuer à tourner de l’intérieur sans utiliser l’électricité. Certains de mes
plans préférés du film ont été tournés dans ces conditions. L’épreuve des
projections tests m’a été d’autant plus pénible que j’ai tourné mes huit films
précédents sans y avoir recours. Les retours qu’on obtient sont profitables,
mais ils font intervenir parfois trop de voix différentes. Je comprends bien
pourquoi certaines personnes aiment ça, dans la mesure où ça leur donne un
aperçu de la façon dont fonctionne le film et que ça permet de repérer les
moments où quelque chose cloche.
Quelle conception vous faites vous de votre métier
de réalisateur ?
D. M. Je suis réalisateur depuis si
longtemps que je serais disposé à me battre pour faire autre chose, mais je ne
crois pas être capable de faire quoi que ce soit d’autre. En fait, ce métier
est devenu ma raison de vivre. Je me plains parfois que c’est stressant,
mais je suis cependant parfaitement conscient qu’il s’agit d’un métier
formidable et que je suis privilégié de le pratiquer, donc il me semble
difficile de se plaindre. Ça peut souvent être très gourmand en temps et si
c’est quelque chose qui vous gêne, il faut s’accrocher et se battre parfois
durement pour ce qu’on croit être le plus bénéfique pour le film. Il ne s’agit
pas de lâcher prise avant que tout soit terminé, ça devient obsessionnel.
Quel est le stade de la réalisation qui vous tient
le plus à cœur ?
D. M. Je ne réagis pas du tout en
ces termes. L’essentiel, c’est le tournage et tout particulièrement les moments
où la caméra est en train de tourner. Tout le reste n’est qu’une question de préparation
ou de finition. J’aime particulièrement la danse de l’intuition qui se déroule
au beau milieu de ce processus. C’est pourquoi j’aime aussi commencer le
montage dès le tournage et aussi vite que possible, de façon à ce que nous
puissions partager ce moment tous ensemble.
Vous sentez-vous des affinités particulières avec
d’autres cinéastes de votre pays ou de votre génération ?
D. M. J’appartiens à un petit groupe
de gens qui a la possibilité de faire des films au Royaume-Uni et en Écosse, où
je vis. Je me considère comme très favorisé de me trouver dans cette situation,
mais considère que rien n’est jamais acquis. Malheureusement, je n’entretiens
de relations qu’avec un nombre extrêmement réduit de réalisateurs, non pas
parce que je n’en ai pas envie, mais tout simplement parce que je rencontre
très peu de gens en dehors des festivals de cinéma. En ce moment, J’ai une
conception très variable de l’identité qui fait que je ne sais pas exactement
jusqu’à quel point je suis connecté à ma génération en particulier. À dire
vrai, je ne suis même pas sûr de savoir à quoi correspond vraiment ma génération
et à qui elle peut s’identifier : à Sonic Youth, peut-être ?
Pensez-vous que la vulgarisation des nouvelles
technologies soit de nature à faire évoluer votre conception du cinéma ?
D. M. J’ai eu la chance de naître
d’emblée dans le plus grand confort, en tournant avec des caméras numériques
que j’apprécie d’autant plus qu’il permet à la fois de gagner du temps en
répétitions d’une façon qui coûterait un prix prohibitif si on travaillait en
pellicule, tout en permettant simultanément de déroger aux processus
conventionnels. J’apprécie en outre d’être en mesure de monter instantanément, ce
qui fait désormais partie de mon mode de travail habituel de cinéaste. Je ne
pourrais pas envisager d’avoir à revenir à l’époque où nous étions totalement
dépendants des laboratoires. J’apprécie de pouvoir communiquer d’un continent à
l’autre et d’être en mesure d’échanger autant qu’il est nécessaire les diverses
versions, ce qui est devenu de plus en plus facile au cours des dernières
années. Concernant Comancheria en particulier, il m’a donné l’occasion de réaliser
ma première scène à plusieurs milliers de kilomètres de distance, en utilisant
mon téléphone portable. C’était incroyablement simple et je suis persuadé que
j’aurai à nouveau recours à un tel procédé dans l’avenir. J’ai l’impression que
le cinéma va continuer à évoluer sous ses aspects les plus expérimentaux afin
de donner une sensation de réalité de plus en plus importante au spectateur qui
finira par l’envelopper intégralement. Je pense que les films, les jeux vidéo,
la réalité virtuelle, la télévision, le théâtre, le sport et internet finiront
par se confondre d’une façon ou d’une autre au sein d’une forme de
divertissement monstrueuse qui encouragera la consommation de pop-corn et de boissons
gazeuses, tandis que dans une sorte de monde parallèle, des amateurs de passe-temps
dépasseront de nouvelles frontières depuis leur chambre à coucher, juste pour
le plaisir. À condition toutefois que notre monde ne s’effondre pas dans un
cataclysme qui renvoie la technologie à ses formes les plus élémentaires.
De votre expérience, qu’attendiez-vous le plus de
la présentation de Comancheria en sélection officielle, dans la section Un Certain
Regard du Festival de Cannes ?
D. M. J’étais ravi de revenir à Cannes
avec Comancheria car j’étais convaincu que c’était l’endroit rêvé pour présenter
notre nouveau né au monde. Le film était alors tout juste achevé et j’en étais plutôt
fier. Le public cannois et la critique ont bien réagi et lui ont réservé un
accueil à la mesure du voyage que nous avons dû accomplir pour le mener à son terme.
Quels sont vos projets ?
D. M. C’est la formule « Il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué » qui me vient
immédiatement à l’esprit !
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand
en avril 2016
Bande-annonce des Poings contre les murs (2013)
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