Steven Spielberg ©DR
Le
cinéma, Steven Spielberg est tombé dedans quand il était petit. Surgi dans le
cinéma américain à l’occasion d’une folle poursuite entre un camion et une
voiture filmée pour le petit écran (Duel),
cet autodidacte du Nouvel Hollywood né en 1946 a obtenu son premier prix à
l’âge de treize ans grâce à un film de guerre d’une quarantaine de minutes.
Considéré avec un certain dédain comme un aimable marchand de rêves jusqu’à Jurassic Park (1993), malgré le succès
planétaire des Dents de la mer
(1975), de Rencontres du troisième type
(1977) et des Aventuriers de l’Arche
perdue (1981), le réalisateur d’E.T.,
l’extra-terrestre (1982) n’a réellement conquis l’estime de ses pairs qu’au
bout de vingt ans de carrière… grâce à La
liste de Schindler (1993), son tribut personnel à la Shoah. Bardé de sept
Oscar dont celui du meilleur réalisateur (qu’il recevra à nouveau cinq ans plus
tard pour Il faut sauver le soldat Ryan),
ce juif né en 1946 décide dès lors de consacrer une partie de sa fortune à
dépêcher des émissaires autour du monde afin de recueillir le témoignage des
survivants de la Shoah à l’usage des générations futures. Cinéaste comblé et
auteur reconnu, en 1996, Spielberg décide de s’associer avec David Geffen et
Jeffrey Katzenberg, le producteur du Roi
lion, pour créer un nouveau studio hollywoodien, Dreamworks, dont ses
propres films constitueront logiquement le fer de lance. C’est dans la foulée
du Pont des espions (2015) que Steven
Spielberg a signé Le BGG (Le bon gros géant) (2016), sa nouvelle
contribution au cinéma familial pour laquelle il a mis en scène l’adaptation
par la scénariste d’E.T., Melissa
Mathison (décédée en novembre dernier), d’un classique de Roald Dahl, écrivain
britannique souvent adapté au cinéma, notamment par Tim Burton dans Charlie et la chocolaterie (2005) et Wes
Anderson avec Fantastic Mr. Fox
(2009).
Quelle est la principale difficulté que vous ayez
rencontrée au cours du tournage du BGG ?
Steven Spielberg Croyez-le ou non, c’est
la fin du tournage qui s’est révélée la plus pénible pour moi. Sur le plan
émotionnel. Devoir quitter ce plateau pour la dernière fois m’a entraîné dans
une sorte de dépression qui m’était jusqu’alors inconnue. Mais j’ai réalisé
qu’en fait, il ne s’agissait pas du tout d’une dépression. Je m’en suis rendu
compte dès le lendemain du dernier jour de tournage. Il s’agissait plutôt d’une
sorte de mal du pays, à vrai dire. Nous avions été immergés dans cette histoire
à un point tel, dans nos moindres gestes de la vie quotidienne que je ne
m’étais pas rendu compte que cet univers était devenu mon nouveau chez moi. Je
ne sais pas exactement ce que j’ai appris de cette expérience. Je sais
seulement qu’elle m’a brisé le cœur.
Quelle conception vous faites-vous de votre double
casquette de réalisateur et de producteur ?
S. S. Si j’excepte mon épouse, ma
famille et mes amis, la réalisation reste plus que jamais le grand amour de ma
vie. C’est merveilleux d’être en mesure de produire vous-même ce que vous
réalisez, mais je n’en aurais jamais été capable si j’avais été tout seul. Je
n’y serais jamais parvenu sans le soutien de mes partenaires de production. J’ai
autant besoin de sentir leur passion que la mienne m’est nécessaire.
Quel est le stade de la production qui vous tient
le plus à cœur et pourquoi ?
S. S. C’est une question un peu
tordue. Je ne suis pas certain de pouvoir en choisir une en particulier, mais
voici ce que je peux en dire. J’adore la phase de développement d’un film parce
qu’elle me donne l’occasion de partager un moment d’intimité avec le scénariste
qui me semble particulièrement important. Melissa [Mathison, décédée le 4 novembre dernier] et moi avons toujours été
très proches, donc le temps que nous avons passé ensemble a représenté quelque
chose de tout à fait particulier à mes yeux. Et lorsque nous avons tourné le
film, je suis carrément tombé amoureux des relations qui se sont nouées entre
Mark [Rylance] and Ruby [Barnhill]. Être témoin d’une telle
empathie s’est avéré une expérience extraordinaire. C’était un peu comme quand
on réussit à enfermer un rayon de soleil dans une bouteille, ou en l’occurrence
dans un bocal de rêve ! Et j’ai toujours considéré le montage comme un
sanctuaire. Je me réfugie dans l’obscurité de cette pièce avec Mike [Kahn] et je réalise à quel point cela a
été un grand privilège de voir les mots de Melissa prendre vie grâce aux
prestations de Mark et Ruby, en mesurant la chance que j’ai d’assembler tout
cela avec la complicité de Mike.
Vous sentez-vous des affinités particulières avec
d’autres cinéastes et quels sont vos points communs éventuels ?
S. S. Je pense que quand j’étais
plus jeune, Marty [Scorsese], George [Lucas] et moi étions considérés en
quelque sorte comme des renégats. Parce que nous menacions un peu
l’Establishment en place. Et même aujourd’hui, bien que nous ayons vieilli et
représentions à notre tour ce même Establishment, je ne sais toujours pas. J’ignore
de quoi il s’agit exactement. Pour avoir réussi à en faire mon métier de tous
les jours, j’éprouve toujours le même sentiment qu’à cette époque. Chaque fois
que j’entreprends un nouveau film, je ressens la même chose que lorsque j’ai
tenu ma première caméra quand j’avais 12 ans. Il n’existe rien de comparable de
près ou de loin.
Pensez-vous que la vulgarisation des nouvelles
technologies ait contribué à faire évoluer votre conception du cinéma ?
S. S. Il faut être disposé à
s’adapter aux changements, que ce soit dans votre vie, dans votre travail, et
il est certain qu’à l’époque actuelle, il faut être disposé à admettre que
cette obsolescence évolue beaucoup plus vite que ce n’était le cas auparavant. Or,
je suis un enfant du cinéma. Et je l’ai toujours été. Et pour rester fidèle à
cet art sous sa forme analogique, tout étant capable de continuer à explorer la
frontière du numérique, pour avoir poursuivi une carrière qui a couvert les
deux extrémités de ce spectre, je me considère comme quelqu’un de
particulièrement chanceux. Les nouvelles technologies ne font que m’offrir de
nouvelles perspectives concernant la façon de raconter mes histoires, de
nouvelles opportunités qui me permettent de continuer à faire ce que j’ai
toujours aimé faire. Mais la façon de raconter une histoire est étroitement
liée à la substantifique moelle de la mise en scène de cinéma, quels que soient
les outils que nous utilisons pour parvenir à nos fins.
Fort de votre expérience, qu’attendiez-vous le
plus de la présentation du BGG (Bon Gros
Géant) au Festival de Cannes ?
S. S. C’est la quatrième fois que je
viens à Cannes. Avec E.T., La couleur pourpre et Indiana Jones et le royaume du crâne de
cristal, j’ai beaucoup apprécié de pouvoir partager mon expérience avec mes
confrères sur ces films. Et lorsque j’ai été président du jury, je ne possède
que des souvenirs mémorables du temps passé avec les autres jurés. C’est
pourquoi je place beaucoup d’espoir sur les moments que je vais pouvoir passer
en compagnie de Ruby, Mark et toute la famille du BGG. Mais Melissa me manque beaucoup. À Cannes, toutes nos pensées
iront vers elle à chaque instant pendant tout le temps que nous y passerons.
Quels sont vos projets ?
S. S. La prochaine étape est Ready Player One dont le tournage
débutera à la fin de l’été. Ensuite, l’année prochaine, je tournerai The Kidnapping of Edgardo Mortara. Pour
parler à nouveau de “quatrième fois”, ces deux prochains films se feront avec
Mark Rylance avec lequel je collaborerai ainsi pour la quatrième fois. Ça
m’excite beaucoup.
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand
en mai 2016
Bande annonce du Pont des espions (2015) de Steven Spielberg
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