Todd Haynes ©DR
Lauréat du Prix de la meilleure contribution artistique pour Velvet Goldmine, au Festival de Cannes 1998,
Todd Haynes figure parmi les chefs de file du cinéma d’auteur américain. Dès
son premier long métrage, Poison, un
kaléidoscope inspiré par Jean Genet qui obtient le Teddy du meilleur film à
Berlin en 1991, il pose les bases de son œuvre, en se penchant sur les névroses
de l’Amérique profonde. Il enfonce le clou avec Safe (1995), en décrivant l’aliénation d’une ménagère de banlieue campée
par Julianne Moore, comédienne à qui il vaudra deux Prix d’interprétation à la
Mostra de Venise pour Loin du paradis
(2002), un mélodrame à la façon de Douglas Sirk. Rebelote avec I’m Not There, Biopic fantasmé de Bob
Dylan qui permet à son tour à Cate Blanchett (Oscarisée pour Aviator de Martin Scorsese, en 2005, et Blue Jasmine de Woody Allen, en 2014)
d’obtenir la Coupe Volpi sur la Lagune en 2007 où Haynes est doublement
récompensé pour sa part. Il associe aujourd’hui cette dernière à Rooney Mara, dans Carol, l’adaptation des
Eaux dérobées, un roman à thématique
lesbienne publié (et censuré) en 1952 sous le pseudonyme de Claire Morgan par
Patricia Highsmith. Bien lui en a prix car la comédienne a obtenu le Prix d'interprétation féminine à Cannes pour ce rôle tout en nuances.
Dans quelles conditions Carol a-t-il
été tourné ?
La première mouture du
scénario de Carol était déjà écrite
quand on m’a proposé ce projet, explique Todd Haynes, mais la scénariste
Phyllis Nagy et moi avons travaillé ensemble sur les versions suivantes du
script pendant l’automne 2013. Le tournage a débuté en mars de l’année suivante
à Cincinnati, dans l’Ohio, où a été reconstitué le Manhattan de 1952. La post-production
s’est déroulée de mai à novembre à New York.
Quelle
est la principale difficulté que vous ayez rencontrée au cours de cette
aventure ?
Notre défi principal était
d’ordre budgétaire : comment reconstituer correctement cette époque et
mettre en évidence les différents marqueurs économiques qui caractérisent les
personnages aux ressources les plus faibles ? Comme toujours, il nous a
fallu faire preuve d’une attention et d’une invention de tous les instants.
Cincinnati fournissait des possibilités assez exceptionnelles en raison de ces
blocs d’immeuble d’habitation populaire préservés et de son architecture. Nous
avons aussi fait appel à des acteurs de la région et à des figurants
non-syndiqués dont j’ai particulièrement apprécié l’enthousiasme. Ces derniers
n’étaient pas obligés contractuellement de se comporter comme des robots
silencieux et ils ont fini par apporter spontanément un précieux supplément
d’âme et d’humanité aux scènes de groupes du film. Au stade de la post-production,
les contraintes financières ont surtout affecté notre travail sur les effets
numériques et notre liberté en ce qui concerne le choix des musiques d’époque
qu’on entend dans le film. Mais dans un cas comme dans l’autre, nous nous
sommes organisés pour que le film dispose de tout ce qui semblait indispensable
à mes yeux pour refléter fidèlement l’époque spécifique de l’histoire
américaine à laquelle il se déroule.
Quel
est le stade de la réalisation qui vous tient le plus à cœur ?
J’ai une prédilection pour
le stade du montage parce que je considère ce moment comme l’occasion de
redécouvrir ce qui s’est passé sur le plateau et de s’immerger totalement dans
ce qui constitue la grammaire du cinéma. Je suis persuadé que la puissance de
ce moyen d’expression et ses immenses possibilités ne peuvent être pleinement
appréciées que lorsqu’on découvre la façon dont les plans et les scènes
fonctionnent les uns par rapport aux autres afin de fabriquer du sens et de
susciter une identification et une réponse sur le plan émotionnel de la part du
spectateur.
Bande annonce de Carol
Pensez-vous
que la vulgarisation des nouvelles technologies soit de nature à faire évoluer
votre conception du cinéma ?
J’ai tourné tous mes films
sur support argentique, ce qui prouve ma passion pour l’histoire du cinéma
analogique. Mes deux derniers films ont même été tournés en 16mm, dans le but
de garder le grain que la pellicule 35mm ultra-sensible et les nouveaux
objectifs ne cessent de perfectionner. Cela dit, la plupart des films
d’aujourd’hui sont montés, mixés, étalonnés, livrés et projetés en numérique et
je suis le premier à m’extasier sur l’ingéniosité et de la sophistication de
ces technologies et de ces outils. J’ai commencé à monter en numérique à
l’époque de mon troisième film, mais je me considère comme extrêmement chanceux
d’avoir commencé à trouver mes racines en montant sur pellicule.
Quels
sont vos projets ?
Parmi les différents projets
sur lesquels je travaille figure notamment une adaptation du roman Black Out de Brian Selznick, le créateur
de L’invention de Hugo Cabret, un
autre hommage à l’enfance et à l’époque du cinéma muet, entre autres, qui a
totalement stimulé mon imagination.
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand
en mai 2015
Critique de Carol
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