Viet Linh © DR
Née en 1952, Viet Linh est considérée comme une pionnière du cinéma vietnamien, malgré une œuvre modeste d’où émerge L’immeuble (1999), distingué au festival de Namur, le premier long métrage de fiction tourné dans son pays depuis la fin de la guerre à avoir été distribué commercialement en France. Elle est également l’auteur de Troupe de cirque ambulant (1988), primé à Fribourg, et Mê Thao - Il fut un temps (2002), couronné à Bergame.
L’immeuble
est le premier film de nationalité vietnamienne distribué commercialement en France. Quel enjeu cela représente-t-il pour vous et pour le studio ?
Viet
Linh L’un de mes films
précédents, Troupe de cirque ambulant, a été
distribué en Suisse. Du côté vietnamien, lorsqu’un film obtient son
autorisation de diffusion, il est mentionné qu’il peut être également distribué
à l’étranger. Pour moi, c’est le principal, quelles que puissent être les
réactions du public.
Dans quelles conditions L’immeuble a-t-il pu être produit ?
La production vietnamienne est composée à
cent pour cent de films étatiques basés sur des scénarios qui ont dû passer la
censure. La politique de production du gouvernement consiste à privilégier les
films qui évoquent la tradition révolutionnaire ou qui sont politiques dans le
sens éducatif du terme. En conséquence, les réalisateurs ne peuvent pas tourner
les scénarios et les films qu’ils veulent. L’immeuble
a donc dû passer par une censure du scénario. Sur cette base là, il a obtenu un
financement de soixante-dix pour cent de la part de l’État, les trente pour
cent restant correspondant à une aide de l’agence de la francophonie.
Comment avez-vous travaillé sur le
scénario de L’immeuble ?
Sur un total d’une quarantaine de projets
de scénarios, il y a en moyenne chaque année huit films qui arrivent à passer
la censure et qui sont financés par l’État. Si le scénario ne rencontre pas de
problème, il peut être mis en œuvre en l’espace d’un an. Sinon il doit être réécrit
et ça peut durer plus longtemps. J’ai actuellement plusieurs scénarios qui sont
actuellement rade et que je n’arrive pas à faire passer depuis trois ou quatre
ans.
L’immeuble
a-t-il été un projet difficile à faire aboutir ?
Je suis salariée des studios d’Hô Chi
Minh Ville et en tant que telle, je dois faire des films. Or ça faisait
longtemps que je n’en avais pas tourné et on m’a donc demandé de faire mon
choix parmi les scénarios disponibles. Mais aucun de ces sujets ne me plaisait
et comme j’avais sous la main une nouvelle, je l’ai adaptée.
Le film est-il proche de la
nouvelle ?
Ce n’était qu’un point de départ. La
nouvelle constitue simplement un fil rouge. Ensuite c’est moi qui ai construit
les différents personnages. Par exemple, à l’origine, il n’y avait aucun
enfant. D’une manière générale, le propos de la nouvelle était beaucoup plus
dur et le scénario ne serait certainement pas passé si on l’avait adapté et
soumis tel quel. Le propos était politiquement trop direct. Paradoxalement,
l’auteur de la nouvelle n’a rencontré aucun problème avec les autorités car la
littérature est soumise à un traitement différent du cinéma. La censure
littéraire est très localisée puisque ce sont en fait les directeurs des
maisons d’édition qui décident et qui prennent ça sous leur responsabilité
politique. Il n’y a pas de commission de censure proprement dite. Au cinéma, au
contraire, il y a une commission de censure nationale donc l’emprise est plus
forte. Dans le cas de L’immeuble, au
moment où j’ai décidé d’adapter cette nouvelle, son auteur qui est également
scénariste n’y croyait pas lui-même car ce texte très mince avait été publié
dans un journal. Lorsque le film a finalement été réalisé, l’écrivain ainsi que
mes collègues cinéastes m’ont dit que c’était le traitement approfondi du
contenu de la nouvelle qui lui avait permis de passer la censure. Par ailleurs,
ma propre histoire personnelle m’a facilité les choses. Lorsque je suis revenue
du maquis, à la Libération, je suis arrivée dans un camion et j’ai habité dans
un immeuble du même type qui a finalement été revendu à son ancien propriétaire
qui était parti à l’étranger, qui est revenu à l’occasion de l’ouverture
économique et qui a dédommagé les habitants.
Bande annonce de Mê Thao - Il fut un temps (2002)
Vous êtes-vous projetée plus particulièrement dans
l’un ou l’autre des divers personnages ?
Il n’y a aucun personnage qui reflète
directement ce que j’ai vécu mais chacun d’eux est inspiré de gens que j’ai
rencontrés au cours de cette période et qui habitaient dans mon immeuble. Il y a
toutefois trois personnages à travers lesquels je me suis plus particulièrement
impliquée afin de faire passer à travers eux un certain nombre de sentiments.
Il s’agit de Ba Tuan, le responsable, du gardien et de Minh Ly, la fille qui
est restée et qui est devenue médecin.
Comment
s’est déroulé le tournage ?
L’immeuble a été tourné en un mois pour un budget
de quatre-vingt mille dollars. Les conditions de réalisation d’un film au
Vietnam peuvent quelquefois paraître inimaginables pour un observateur
étranger. On doit tourner à l’aveugle sans écran de contrôle et on ne dispose
que de trois prises par plan, la durée des répétitions étant intégrée au temps
total de tournage. Quant aux décors, en fait, dans L’immeuble, c’est en changeant les murs, les accessoires et la
position de la caméra que j’ai créé l’impression qu’on passe d’une pièce à
l’autre alors qu’il n’y en a qu’une.
De quelle manière les autorités
vietnamiennes ont-elles accueilli ce projet ?
D’une manière générale, il y a eu deux
opinions. Selon certains, le film était salutaire, dans la mesure où il
revenait sur une période relativement sombre de l’histoire du Vietnam :
celle qui suit la libération du pays et qui précède l’ouverture économique.
Selon d’autres, il s’agissait d’un film anti-communiste dirigé contre le régime.
Globalement, L’immeuble a été très
apprécié dans les milieux intellectuels. Mais, d’une manière générale, la
production vietnamienne a une audience très limitée, les gens préférant la
vidéo. Quant à mes films en particulier, ils ont traditionnellement un public
relativement restreint parce que les gens sont habitués à aller voir des films
d’action, à suspense ou des mélodrames comme on en produit à Hong Kong ou à
Hollywood.
Quelles sont vos références
cinématographiques ?
J’ai effectué mon apprentissage technique
à l’institut de cinéma VGIK de Moscou. À partir de là, je me donne une large
attitude en ce qui concerne les sujets et le style. L’essentiel est de pouvoir
exprimer des émotions. Les deux étapes que je préfère dans le processus de
réalisation d’un film sont le découpage technique et le montage car c’est à ces
moments là que je me sens la plus libre et que je peux décider librement le
plus de choses possibles.
Comment la diaspora vietnamienne a-t-elle
réagi au film ?
Le film a été présenté dans plusieurs
festivals mais n’est pas encore sorti à l’étranger. Il se peut qu’il ne touche
pas les Vietnamiens en exil car c’est une période qu’ils n’ont pas vécue parce
qu’ils étaient déjà partis. La communauté qui risque de se sentir
particulièrement concernée est celle des Vietnamiens de Russie car ceux-ci sont
partis après l’ouverture économique et ont donc connu cette période des années
75 aux années 80. Mon film ressemble à une image en
trois dimensions. Selon le côté vers lequel on l’oriente, on voit telle ou
telle facette et je laisse le spectateur libre de l’incliner à sa guise afin
d’y voir ce qu’il veut. Il y a l’histoire individuelle de chacun des
protagonistes, la dimension sociale liée à la vie à l’intérieur de l’immeuble
et évidemment le discours politique qui concerne le régime. Et selon qu’on
appréhende telle ou telle dimension, le film peut paraître plus ou moins
profond.
Quels sont vos projets ?
Je prépare un film sur la guerre dont le
scénario se trouve entre les mains de la censure et un autre, plus ambitieux,
mais sur lequel les autorités vietnamiennes ne veulent pas investir. La seule
solution consiste donc maintenant à trouver un financement à l’étranger tout en
tournant au Vietnam. J’ai déjà réuni la moitié du budget entre la France et le
Canada. C’est un film qui coûterait plus cher que la moyenne des productions
vietnamiennes, c’est-à-dire 650 000 dollars.
Propos
recueillis par
Jean-Philippe
Guerand
en
octobre 1999
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