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Rowan Atkinson : Agent Bean double zéro

Rowan Atkinson © DR

Né en 1955, Rowan Atkinson est plus connu sous son nom d’emprunt de Mister Bean, adopté en 1989, entre ces autres personnages récurrents que sont Blackadder et Mr. Fowler. Un personnage d’une irrésistible drôlerie qui n’a pas besoin de mots pour s’exprimer, mais transforme son visage en arme de déraison massive. Remarqué en pasteur gaffeur dans Quatre mariages et un enterrement (1994) de Mike Newell et entrevu dans Love Actually (2003) de Richard Curtis, il est la vedette à part entière de Bean (1997) de Mel Smith, Johnny English (2002) de Peter Howitt, Les vacances de Mr. Bean (2007) de Steve Bendelack et Johnny English, le retour (2011) d’Oliver Parker. Au naturel, cet inconditionnel pince-sans-rire de Jacques Tati pressenti pour tenir le rôle du commissaire Maigret est un passionné de grosses cylindrées d’une distinction typiquement British.


Pourquoi s’est-il écoulé autant de temps entre Bean, le film, et Johnny English ?
Rowan Atkinson Tout simplement parce que le scénario nous a donné du fil à retordre. Je me souviens avoir assisté à la première séance d’écriture, en 1999. Entre-temps, il s’est passé trois ans et demi au cours desquels j’ai fait autre chose, et notamment la postsynchronisation une série d’animation qui met en scène Mister Bean dans vingt-six épisodes d’une demi-heure qui est diffusée cet été à la télévision anglaise.

Comment le personnage de Johnny English est-il né ?
En fait, il a vu le jour dans le cadre d’une série de spots publicitaires pour la Barclay’s Card réalisés par John Lloyd, un homme qui a produit la plupart des émissions que j’ai tournées pour la télévision depuis The Black Adder. Nous avons donc travaillé à partir des deux personnages qu’il avait imaginés, Johnny English et son assistant, en nous demandant comment construire un film. Le problème était de donner une véritable épaisseur à ces gens qui faisaient rire l’espace d’une minute. Il fallait donc trouver une structure narrative suffisamment solide pour tenir le coup pendant une heure et demie. On a donc élaboré une intrigue qui reposait pour une bonne part sur le terrorisme international. Les attentats du 11 septembre 2001 nous ont conduit à modifier profondément cette histoire. À l’origine, il était question du vol de la dépouille mortelle de Lénine dans son mausolée de la Place Rouge. Nous avons finalement recentré l’histoire autour de la Grande-Bretagne, notre méchant convoitant le Trône et faisant les efforts les plus sournois pour parvenir à ses fins.

Pourquoi avez-vous choisi un Français comme méchant ?
À l’origine, c’était un Écossais. Et puis, nous avons décidé d’un commun accord de le transformer en Français [rires].

Drôle d’idée d’engager John Malkovich pour incarner un Français !
Nous avons d’abord passé en revue un certain nombre de comédiens français pour tenir ce rôle, mais aucun d’entre eux n’était disponible, et ceux qui l’étaient redoutaient de ne pas être dans le ton du film. Il nous fallait en effet quelqu’un qui possède non seulement de l’humour, mais aussi le charme et la légèreté de Gert Fröbe dans Goldfinger. En fait, nous avions besoin d’un subtil compromis entre un méchant qui soit convaincant et possède un charme inné. La façon dont John Malkovich parle anglais avec un accent français nous a semblé irrésistible.

Bande annonce de Johnny English, le retour d’Oliver Parker (2011)

Qu’est ce qui vous a donné le plus de mal : l’histoire ou les personnages ?
Le mélange des deux. C’est l’histoire qui confère sa raison d’être à Johnny English. L’idée était de construire une intrigue qui se tienne, pas de réaliser une parodie. Il y en a déjà eu assez et je suis personnellement un fan d’Austin Powers, une série où le personnage hilarant interprété par Mike Myers est finalement plus important que l’histoire proprement dite. À l’inverse, Johnny English est un personnage qui se prend très au sérieux et considère sa mission comme un véritable sacerdoce. Il se prend systématiquement pour meilleur qu’il n’est, ce qui ne va pas sans lui poser des problèmes.

Est-ce là la différence fondamentale entre Johnny English et Mister Bean ?
Bean savait très exactement ce qu’il valait, alors que Johnny English est nettement moins bon que ce qu’il croit. En revanche, il est plus généreux que cet égoïste de Bean. Il a sincèrement envie de faire du bien autour de lui. C’était d’ailleurs la seule façon pour que l’intrigue réussisse à fonctionner.

En avez-vous terminé définitivement avec le personnage de Mister Bean ?
Je l’ai simplement mis en sommeil. Johnny English m’a donné l’occasion d’essayer un autre personnage. Je n’ai nullement l’intention de passer le reste de ma vie dans la peau de Mister Bean, mais je serais ravi de lui redonner vie. Je suis curieux d’explorer de nouveaux horizons et d’entreprendre de nouvelles expériences. Mais, en même temps, je suis soucieux que les choses que je fais soient reconnues. Pour que le personnage de Johnny English s’impose définitivement, il faudra sans doute qu’il soit le héros d’un deuxième film et celui-ci ne pourra être que meilleur que le précédent. C’est ce que m’a enseigné mon expérience.

Envisagez-vous de revenir à la télévision ?
Le problème est de savoir trouver un équilibre. Lorsqu’on fait des films, on se coupe de la télévision et vice versa. Le cinéma exige davantage de perfectionnisme. Si je refais de la télévision, il faudra que j’invente un nouveau personnage ou que je reprenne celui de Black Adder et que je lui fasse visiter d’autres époques que celles qu’il a déjà traversées. Ce personnage reflète toutefois beaucoup ce que nous étions dans les années 80, les auteurs Richard Curtis et Ben Elton, les acteurs Stephen Fry, Tony Robinson, Hugh Laurie, les producteurs et moi-même. Réunir à nouveau tous ces gens aujourd’hui ne produirait pas nécessairement le même résultat. Nous avons tous évolué sur le plan créatif : Ben Elton écrit des livrets de comédies musicales à succès et Richard Curtis vient de passer à la réalisation.

Quel rôle jouez-vous dans son premier film, Love Actually ?
J’interprète un ange gardien, mais je n’ai tourné que pendant deux jours.


Bande annonce de Love Actually de Richard Curtis (2003)

Contrairement à Mister Bean, Johnny English parle beaucoup. De quelle manière avez-vous géré ce nouveau paramètre ?
Je parlais déjà beaucoup dans Black Adder. J’adorais Mister Bean, parce que je n’avais aucun texte à apprendre et que j’arrivais sur le plateau les mains dans les poches [rires]. C’était très reposant. Mais il faut être honnête, Johnny English ressemble davantage à ce que je suis vraiment.

Est-il exact que vous étiez un étudiant particulièrement timide ?
Sans doute. À vrai dire, c’est le succès qui m’a fait changer. Jouer m’a donné confiance en moi.

Préférez-vous qu’on vous appelle Rowan Atkinson ou Mister Bean ?
À vrai dire… Mister Bean ! Ou Johnny English… En tant qu’espion, j’adore changer d’identité et me faire passer pour un autre. Je préfère être reconnu à travers les personnages que j’incarne plutôt qu’en tant que Rowan Atkinson. Celui que je suis vraiment n’appartient qu’à moi-même.

Vous êtes amateur de voitures anciennes et vous possédez une Aston Martin. Est-ce lié à votre admiration pour James Bond ?
Sans doute. Mon admiration pour James Bond vient d’un film en particulier, Goldfinger, dans lequel 007 conduit la fameuse Aston Martin OD5. Celle que je possède date de 1986. C’est un modèle V8 conçu par le carrossier italien Zagato que je ne pilote que sur des circuits. Récemment, j’ai d’ailleurs participé à un championnat d’Aston Martin dans une course à laquelle participaient quatre voitures construites entre 1980 et l’an 2000. Mais je ne gagne jamais. Je ne me considère que comme un modeste amateur. Je suis trop gentil pour battre les autres. Gagner nécessite d’être agressif et capable de jouer de mauvais tours aux autres concurrents.

Vous rappelez-vous la première fois où vous avez fait rire les autres ?
Je me souviens être monté sur un banc et avoir fait le pitre devant mes camarades en cours de gymnastique, lorsque j’avais dix ou onze ans. Le prof lui-même était fasciné. Ces occasions étaient assez rares, mais très vite j’ai eu envie de monter sur scène pour me produire devant des gens et je n’ai plus cessé depuis. En revanche, je n’aime pas faire le pitre pour mes amis.

Quels sont les comiques qui vous faisaient rire ?
Jusqu’à l’âge de quinze ans, surtout des Américains comme Bob Hope, Walter Matthau, Jack Lemmon, Peter Cook et Dudley Moore. Et puis, John Cleese. C’est sans doute lui qui a décidé de ma vocation avec la série Faulty Towers et les Monty Python. Tout petit, j’adorais aussi Laurel et Hardy.

Lequel préfériez-vous : Laurel ou Hardy ?
Laurel, parce que c’est un enfant dans un corps d’adulte et que c’est lui qui est drôle. De ce point de vue là, Mister Bean lui doit beaucoup. Plus tard, à dix-sept ans, j’ai eu une révélation en découvrant Jacques Tati. J’ai regardé Les vacances de monsieur Hulot cinq fois de suite pendant le même week-end. Je m’identifiais à cet homme ordinaire qui semait le chaos sur son passage en toute innocence. Il est cependant nettement moins agressif et moins égoïste que Mister Bean, mais la méchanceté me fait rire.
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand

en juillet 2003


Bande annonce de Bean de Mel Smith (1997)

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