Peter Mullan (avec Paddy Considine) sur le tournage de Tyrannosaur (2011) © DR
Devenu malgré lui le symbole d’un cinéma
britannique engagé, l’Ecossais Peter Mullan tient le rôle d’un quinquagénaire
au chômage qui décide de se transcender en réalisant un exploit sportif, dans Une belle journée (2005) de Gaby Dellal. Malgré
un Prix d’interprétation masculine reçu à Cannes pour My Name is Joe (1998) de Ken Loach et un Lion d’or obtenu en tant que réalisateur
pour The Magdalene Sisters (2001), cet éternel outsider au caractère bien trempé, né en 1959, se
sent toujours dans la peau d’un empêcheur de filmer en rond. Parmi ses principaux films, comme interprète : Riff-Raff (1991) de Ken Loach, Petits meurtres entre amis (1994) et Trainspotting (1996) de Danny Boyle, Braveheart (1995) de Mel Gibson, Mademoiselle Julie (1999) de Mike Figgis, Young Adam (2003) de David Mackenzie, Les fils de l’homme (2006) d’Alfonso Cuaron, Boy A (2007) de John Crowley, The Red Riding Hood Trilogy (2009) d’Anand Tucker, James Marsh et Julian Jarrold, Tyrannosaur (2011) de Paddy Considine, pour lequel il a été distingué à Sundance, et Cheval de guerre (2011) de Steven Spielberg, ainsi que Sunset Song de Terence Davies (2015) et des séries telles que The Fear (2012) de Michael Samuels, qui lui a valu un Bafta, Top of the Lake (2013) de Jane Campion, qui lui a rapporté un Prix d’interprétation à Monaco, et Quarry (2016) de Greg Yaitanes. Outre trois courts métrages -dont Fridge (1995), qui a été triplement couronné à Clermont-Ferrand- et quelques épisodes de la série télévisée Cardiac Arrest (1996), il a par ailleurs également réalisé Orphans (1998), quatre fois primé à Venise et doublement sacré à Angers et aux Baftas, et Neds (2010), qui a remporté la Conque d’or du festival de San Sebastian.
Défi
« C’est le dénouement d’Une belle journée qui m’a décidé à
accepter ce rôle, mais j’ai également beaucoup apprécié son classicisme à
l’ancienne. Il m’a fait penser d’emblée à un film que j’ai adoré dans mon
enfance : La solitude du coureur de
fond de Tony Richardson. À l’époque, je me rappelle m’être identifié
immédiatement à ce sportif. En tant que comédien, j’ai apprécié la
vulnérabilité du personnage que j’incarne dans Une belle journée. C’est un pur qui a été victime de son innocence
et il a soif de prendre sa revanche en prouvant qu’il vaut toujours quelque
chose. Il possède une épaisseur humaine rare. Peut-être est-ce dû au fait que
ce film est l‘œuvre d’une réalisatrice qui s’exprime avec sa
sensibilité… »
Femmes
« Quatre de mes six derniers films
ont été réalisés par des femmes dont c’était le premier long métrage. Ce n’est
sans doute pas un hasard. De même, j’ai remarqué que les femmes excellent
particulièrement comme assistantes à la réalisation parce qu’elle ont davantage
le sens de la conciliation. C’est un métier très ingrat qui exige beaucoup de
diplomatie. En effet, vous êtes à la fois le représentant du producteur -et
qu’en tant que tel on vous demande de veiller à ce que le tournage ne prenne
pas de retard- mais aussi la personne la plus proche du metteur en scène que
vous devez protéger en permanence. »
Acteur
réalisateur
« Être acteur me comble parce qu’on
peut jouir de sa performance sans arrière-pensée. Il n’y a pas beaucoup de
métiers qui vous permettent de vous amuser pendant quelques minutes en donnant
le meilleur de vous-même aux quatre coins du monde, puis d’aller vous reposer
en attendant le plan suivant [rires].
Et puis quand on quitte le plateau, c’est terminé. Quand on est réalisateur, on
est sur le pont sept jours par semaine, vingt-quatre heures sur vingt-quatre,
et c’est une épreuve douloureuse. On vous sollicite à tout propos et il faut
avoir constamment réponse à tout. En revanche, c’est votre bébé pour lequel
vous vous démenez et ça n’a pas de prix. »
Théâtre
« Je n’ai pas joué au théâtre depuis
neuf ans, alors que c’est mon premier amour. En fait, j’ai toujours rêvé de
devenir réalisateur et au début des années 90, j’ai tourné des courts métrages.
Le problème, c’est que le théâtre paie extrêmement mal, du moins en Écosse.
Quand j’avais trente-cinq ans et que ma fille en avait cinq, nous habitions
dans une petite cité et on m’a proposé de tourner pour la télévision. Or,
chaque jour était payé davantage qu’une semaine au théâtre et je n’avais pas
envie d’être absent de chez moi tous les soirs. »
Désillusions
« Sur The Magdalene Sisters, j’ai été arnaqué sur le plan financier et ça
a mis un terme à mes velléités en tant que réalisateur. Le film a coûté deux
millions de livres et en a rapporté trente-sept, mais je n’ai toujours pas
touché un centime, alors qu’en plus j’ai consenti à l’époque soixante pour cent
de rabais par rapport à mon salaire habituel. Or pour faire ce film, j’ai dû
renoncer à jouer dans Gangs of New York, Sexy
Beast et Billy Elliot, soit
quelque neuf cent mille livres de cachet. Je ne le regrette pas, mais si
c’était à refaire, je crois que j’hésiterais. Du coup, en 2004, on m’a
proposé de réaliser deux films et j’ai refusé parce que je n’avais pas envie de
travailler pour rien. Mais chaque fois que je prends un papier et un crayon
pour commencer à écrire, j’ai un bloquage en pensant à ce qui s’est passé. Ça
s’est mieux passé pour mon premier film, Orphans,
bien que Channel Four ait refusé de distribuer le film comme ses responsables
s’y étaient pourtant engagés. »
Trophées
« La Mostra de Venise m’a sauvé à
deux reprises en sélectionnant mes films, Cannes ayant écarté The Magdalene Sisters de sa sélection,
comme par la suite Vera Drake de Mike Leigh, deux
lauréats du Lion d’or. En tant qu’acteur, je n’ai réalisé l’importance du prix
d’interprétation masculine remporté à Cannes pour My Name is Joe qu’en octobre suivant, lorsqu’on m’a proposé de
jouer un second rôle aux côtés de Kevin Spacey dans Ordinary Decent Criminal, un navet d’anthologie [rires]. D’un coup, mon cachet est passé
de vingt-cinq mille livres pour le film de Ken Loach -ce qui constituait déjà
pour moi une somme considérable- à cent mille livres ! Cette récompense
m’avait déjà comblé parce qu’elle m’avait été décernée à l’unanimité par un
jury que présidait Martin Scorsese. »
Jury
« Les critiques font un beau métier
dont je sais qu’il est nettement moins facile qu’il n’y paraît. Je l’ai compris
quand j’ai fait partie du jury de la Mostra de Venise. Quand on avait la chance
de voir un bon film, c’était un jour faste. Mais quand il nous arrivait d’en
voir un mauvais voire deux ou trois d’affilée, c’était carrément le cauchemar.
Ce n’est pas une sinécure ! Donc je compatis sincèrement aux épreuves que
vous pouvez endurer [rires] ! En
plus, quand on est membre d’un jury, on n’a pas d’échappatoire, car les gens
guettent votre réaction à la fin des projections pour savoir ce que vous avez
pensé du film. Personnellement, ça m’a conduit à mettre au point une stratégie
très efficace dès le deuxième jour : quand les gens se retournaient dans
ma direction et que je n’avais pas aimé ce que je venais de voir, je faisais
mine d’être très concentré et j’adoptais un air impénétrable. »
Ken
Loach
« C’est le réalisateur dont j’ai
appris le plus, non seulement dans ses relations avec les acteurs mais aussi
ses rapports avec l’ensemble de l’équipe. Il a une conception hors du commun
des relations humaines et cela se sent à l’écran. Sa façon de travailler est
absolument unique. Beaucoup de cinéastes aimeraient l’imiter, mais personne n’y
est vraiment parvenu. La caméra de Ken est à la hauteur de ses yeux car elle
filme ce qu’il voit. J’ai appris de lui qu’en tant que réalisateur, il faut
s’accrocher à ses rêves et savoir tenir tête aux producteurs pour imposer ses
vues. Des cinéastes tels que Danny Boyle, Mike Figgis ou Mel Gibson m’ont
également beaucoup appris, mais moins comme acteur que comme metteur en scène.
Personnellement, j’ai été trop influencé par Renoir, Bunuel et les surréalistes
pour parvenir à imiter Ken Loach. D’ailleurs, il est inimitable. »
Humour
« Je regrette qu’on ne me propose
pas davantage de rôles de comédie. J’ai une passion pour les Monty Python. Au
théâtre, j’ai joué Dario Fo, Shakespeare, Brecht et beaucoup de pièces
médiévales. Essentiellement des comédies, jusqu’au jour où j’ai interprété une
pièce sérieuse. Dès lors, on ne m’a plus proposé que ça. Au point que lorsque
j’ai enregistré le commentaire de The
Magdalene Sisters pour le DVD, un critique a écrit : « Cet homme
a-t-il jamais eu autre chose que de sombres pensées ? » Il m’était
difficile d’être plus joyeux en de pareilles circonstances, mais je ne me
reconnais vraiment pas dans ces jugements. Les gens ont souvent du mal à faire
la part entre l’acteur et ses rôles. »
Propos
recueillis par
Jean-Philippe
Guerand
en
novembre 2005
Bande annonce de My Name is Joe de Ken Loach (1998)
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