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Otar Iosseliani : Minimalisme burlesque

Otar Iosseliani © DR

Né en Géorgie en 1934, Otar Iosseliani s’est fait connaître dans son pays avec des films comme le moyen métrage Avril (1961), La chute des feuilles (1966), Il était une fois un merle chanteur (1970) et Pastorale (1976) avant d’émigrer pour la France. Son style dépouillé et son humour pince sans rire s’avérant universels, il y poursuit son œuvre à travers une dizaine de longs métrages (dont deux documentaires) parmi lesquels Les favoris de la lune (1984) et Et la lumière fut (1989),  qui lui valent à deux reprises le Grand Prix spécial du jury à VeniseLa chasse aux papillons (1992), Brigands, chapitre VII (1996), Grand Prix spécial du jury à Venise, Adieu, plancher des vaches ! (1999), qui remporte le Prix Louis Delluc, Lundi matin (2001), Prix de la mise en scène à Berlin, Jardins en automne (2006), Chantrapas (2010) et Chant d’hiver (2015).


Près de quarante ans après sa réalisation, on découvre enfin votre premier film, Avril. Y reconnaissez-vous le débutant que vous étiez à l’époque ?
Otar Iosseliani C'est une aventure très bizarre. Ce film, je l'ai tourné juste après la fin de mes études de cinéma. Je l'avais fait nonchalamment mais la censure soviétique l'a interdit à la demande des industriels du meuble qui se sont sentis insultés par les images de cette forêt aux arbres coupés. Ils ont agi par obligation mais ils pressentaient sans doute déjà que le régime totalitaire finirait par s'effondrer et ne pouvaient accepter le romantisme de cette parabole sur l'embourgeoisement où l'on coupe tout ce qui est beau à la souche. Alors, ce film réalisé en 1962, j'y reconnais surtout le jeune homme que j'étais à l'époque qui redoutait comme un malheur de devenir un petit bourgeois tout en craignant de devenir esclave du bonheur. Après son interdiction, j'ai décidé de partir vivre ma vie. Alors je suis devenu marin puis ouvrier dans la métallurgie.

Aujourd'hui, vous vivez en France depuis des années. Vous sentez-vous toujours géorgien ?
On ne se débarrasse pas comme ça de son passé. Je me sens toujours profondément géorgien, mais je suis très reconnaissant aux Français de l'accueil qu'ils m'ont réservé. C'est la richesse de votre pays que d'enrichir sa culture en accueillant ainsi les étrangers.

On dit volontiers que vous êtes un cinéaste inclassable. Pourtant votre style évoque parfois par son pointillisme celui de Jacques Tati. Acceptez-vous cette comparaison ?
Tati s'appelait en fait Tatischeff. Pour en avoir parlé avec sa fille, Sophie, il semblerait qu'il ait pu avoir de lointaines origines géorgiennes qui remonteraient au début du dix-neuvième siècle. Dans ce cas, son nom serait en fait la russification de Tatichvili.

Bande annonce des Favoris de la lune (1984)

Comment expliquez-vous que le cinéma géorgien ait toujours manifesté une identité aussi forte ?
L'école géorgienne est très distincte. Son point commun consiste à parler nonchalamment de choses très sérieuses. Ce détachement est ancré au plus profond de notre mentalité. L'idée, c'est que la vie est si courte qu'il n'y a pas de raison de s'accrocher à des valeurs insignifiantes. Il faut jouir de la vie en évitant de déranger les autres qui doivent faire face à leur existence. La culture géorgienne est très ancienne et possède l'un des quatorze alphabets du monde. Les textes qui datent de l'Antiquité restent compréhensibles aujourd'hui tant la langue a peu évolué. Elle établit un pont avec le passé.

Comment avez-vous réagi au Prix Louis Delluc qui vous a été attribué pour Adieu, plancher des vaches ! ?
J'y ai vu un signe assez optimiste : celui d'une fidélité à un langage formé par les générations précédentes.

Vous faites partie du jury de la Caméra d'Or. Est-ce une fonction qui vous plaît de juger les films des autres ?
Oui, même si je sais que chacun a ses goûts propres et que le palmarès final sera le résultat d'une série de compromis. En plus des films concourant à la Caméra d’or, je suis allé voir Lost Killers de Dito Tsintsadze dans le cadre d’Un Certain Regard, le deuxième long métrage d'un de mes anciens élèves dans lequel il évoque la cohabitation de différentes communautés dans l'Allemagne d'aujourd'hui. Je n'ai pas été déçu.
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand

en mai 2000


Bande annonce d’Adieu, plancher des vaches ! (1999)

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