Na Hong-jin © Haut et Court
Na Hong-jin est né en 1974. Après deux courts métrages, Wanbyeoghan domiyoli (2005) et Han (2007), ce réalisateur sud-coréen a signé deux longs : The Chaser (2008), lauréat du Grand Prix Action Asia au festival du cinéma asiatique de Deauville, et The Murderer (2010), des thrillers spectaculaires sélectionnés l’un et l’autre au Festival de Cannes qui renouvellent l’art du film noir en mêlant ambiances crapoteuses et séquences spectaculaires.
The Chaser est un film noir.
Quels sont les réalisateurs qui vous ont influencé ?
Ils sont trop nombreux pour être cités.
Quant au genre, il s’est en fait imposé surtout de lui-même à travers l’écriture
du scénario.
Pourquoi dressez-vous un portrait aussi
négatif de la police sud-coréenne ?
Ce que je voulais montrer, c’était
surtout une réaction en chaîne. En l’occurrence, le comportement limite de la
police n'est que la conséquence d'une hiérarchie corrompue et plus largement
d'un système politique pourri. C'est pourquoi je montre le maire de Séoul
agressé par un homme qui lui jette des excréments au visage. Cette situation
est la conséquence de la période de rénovation qui a suivi la dictature.
Dans
quelles conditions The Chaser a-t-il été
tourné ?
Nous avons finalisé le casting et entrepris la
préproduction en 2006. En raison de la faible rentabilité inhérente aux films
coréens, les sources de financement se trouvaient réduites à une portion
particulièrement congrue à cette époque. Par ailleurs, The Chaser marquait mes débuts de réalisateur et c’était la première fois de leur
carrière que mes interprètes jouaient des rôles principaux, ce qui a rendu
encore plus compliqué la recherche d’investisseurs. Contrairement aux
principaux financiers qui se sont manifesté par leur grande passivité, la
maison de production Vantage Holdings qui venait de se créer s’est distinguée
par son agressivité. Vantage Holdings a misé avant tout sur la qualité du
scénario et le talent du réalisateur et des acteurs de The Chaser et a décidé de s’engager à nos côtés. Vu toutes les
décisions qu’il nous restait à prendre, le risque demeurait encore élevé, ce
qui nous a contraint à réduire le budget de 4,2 à 3,2 millions de dollars,
mais nous avons finalement réussi à le maintenir à 3,7 millions. Au moment de
finaliser le scénario, les principaux membres de l’équipe technique étaient
engagés et la pré-production a duré trois mois. Nous avons tourné pendant
quatre-vingt cinq jours répartis sur une période de cinq mois et la
post-production a nécessité deux mois, ce qui a porté la durée totale de cette
production à une dizaine de mois.
Bande annonce de The Chaser (2008)
Quelle est
la difficulté principale que vous ayez dû affronter au cours de cette
période ?
Comparativement à ce qui se pratique dans d’autres
pays, la phase de pré-production est particulièrement courte en Corée du Sud,
ce qui nous laisse peu de temps une fois qu’on a effectué le casting et qu’on a
réuni les financements nécessaires. La plupart des sociétés de production de
notre pays sont de petites structures, ce qui a nécessairement un impact au
moment de la pré-production. Une fois même que le choix des comédiens et le
bouclage financier sont achevés, on ne dispose plus de beaucoup de temps pour
la pré-production proprement dite, vu tous les paramètres qu’il faut prendre en
compte : le planning des acteurs, les conditions météorologiques et la
date de sortie envisagée. Les plantes ne poussent vraiment bien que quand les
graines sont de qualité et que le sol est fertile, bien irrigué et entretenu
soigneusement. Il faut leur prodiguer des soins intensifs, bien sûr, mais c’est
l’attention qu’on leur accorde au début qui détermine la suite de leur
croissance. Quelle que soit la qualité de départ des graines, la plante peut
malgré tout pousser sans un sol fertile, bien irrigué et entretenu
soigneusement. Il en est de même avec un film. C’est pourquoi la phase de pré-production
revêt une telle importance. Nous connaissions la date de sortie prévue pour The Chaser avant même que le tournage ne commence. Du coup, comme la période
consacrée à la production proprement dite s’est prolongée au-delà du nombre de
jours prévus initialement, il nous a fallu réduire d’autant le temps envisagé
pour la post-production. J’en conserve le regret de ne pas avoir eu
suffisamment de temps pour travailler de façon plus élaborée et plus détaillée
sur la post-production.
Au vu de
cette première expérience, quelle conception vous faites-vous de votre métier
de réalisateur ?
J’ai ressenti une énorme pression liée au budget
qui était trop serré depuis le début. C’est lorsqu’on a tourné les scènes de
poursuite entre Jung ho et Young Min que j’ai compris que ce film marcherait et
que j’ai pris la décision de jouer la carte de la qualité, quitte à dépasser le
budget prévu.
Quel est le
moment que vous avez préféré au fil de cette aventure ?
L’étape la plus déterminante est à mes yeux la
pré-production, mais il y a encore trop d’obstacles au sein de l’industrie
cinématographique sud-coréenne. C’est pourquoi je continue à préférer
par-dessus tout la phase de production proprement dite. Qu’importent les
difficultés qui la caractérisent, j’ai ressenti un frisson incomparable quand
il m’a été donné d’orchestrer petit à petit la collaboration des comédiens et
de l’équipe technique dans son ensemble.
Arrivez-vous
déjà à vous situer parmi la communauté des cinéastes coréens?
C’est trop tôt. Je me considère encore comme un
débutant qui n’a réalisé qu’un seul film.
Quel
fonction assignez-vous aux contingences techniques ?
En ce qui concerne la technique proprement dite,
je me concentre sur des éléments de base en m’efforçant de rester le plus
intègre possible vis à vis du public. Chaque cinéaste possède son style propre
et l’affine en acquérant de l’expérience. Ce n’est pas facile pour moi de me
distinguer de mes collègues, donc, pour l’instant, je préfère me laisser guider
par la considération que j’accorde aux spectateurs.
Que
représente à vos yeux le Festival de Cannes ?
Je considère le Festival de Cannes comme un lieu chargé d’histoire où les plus grands
maîtres du cinéma se retrouvent sous son auspice tous les ans. Cela dit, je
n’en attends rien à titre personnel. Je suis juste comblé que The Chaser se retrouve en sélection officielle
et ait ainsi la possibilité d’y côtoyer des créateurs aussi illustres.
Vu le succès de The Chaser en
Corée du Sud, savez-vous déjà quel sera le sujet de votre prochain film ?
Je n'ai pas encore commencé à l'écrire,
même si j'y ai déjà beaucoup réfléchi, mais je sais qu'il montrera ce qu'on se
cache et dont on détourne son regard dans notre vie de tous les jours. Comme je
le montre dans The Chaser, j’aspire à montrer le
danger tapi derrière les apparences les plus anodines qui sont souvent aussi les plus trompeuses.
Propos recueillis
par
Jean-Philippe
Guerand
en mai 2008
Bande annonce de The Murderer (2010)
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