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Mélanie Laurent : Une femme douce


Mélanie Laurent © DR

Derrière son visage de madone, son sourire d’ange et ses bonnes manières, Mélanie Laurent a su attendre son heure et ne pas se perdre dans des rôles inutiles. Sa force de caractère a  enfin trouvé matière à s’exprimer dans l’adaptation par Philippe Lioret du roman d’Olivier Adam Je vais bien, ne t’en fais pas (2006). Elle y incarne une jeune fille dont le frère jumeau disparaît et qui ne trouve la force de survivre à cette absence douloureuse qu’en s’opposant à ses parents. Avec le César du meilleur espoir féminin à la clé. C’est Gérard Depardieu qui lui a donné sa première chance au cinéma avec Un pont entre deux rives (1999), puis un autre acteur, Michel Blanc, dans Embrassez qui vous voudrez (2002). Sur le plan international, tout bascule pour elle avec Inglourious Basterds (2009) de Quentin Tarantino. Suivront notamment Le concert (2009) de Radu Mihaileanu, La rafle (2010) de Rose Bosch,  Night Train to Lisbon de Bille August, Insaisissables de Louis Leterrier et Enemy (2013) de Denis Villeneuve, Boomerang de François Favrat, By the Sea d’Angelina Jolie et Eternité (2015) de Tran Anh Hung. Simultanément, elle se lance dans la réalisation et signe Les adoptés (2011), Respire (2014) et le Demain (2015) avec Cyril Dion, César du meilleur documentaire devenu un véritable phénomène de société..


 « Tout se relie facilement dans ce film, car c’est la justesse de ce personnage et des dialogues qui m’a bouleversée. Du coup, comme elle m’a paru très réaliste au niveau de ses réactions et de ce qu’elle peut dire. Chaque fois qu’il était écrit “ Lily pleure… ” je pleurais [rires]. Je me suis dit que ce personnage n’était pas si loin de moi. Pas dans son enfance ou son adolescence, car je viens d’un milieu social différent et que les relations que j’entretiens avec mes parents sont à l’opposé de celles décrites dans le film. Si j’avais vécu dans ce petit pavillon avec un frère jumeau et que j’avais eu un mal fou à dire à mes parents que je les aimais, j’aurais eu la même réaction que mon personnage. C’est pour cela que je n’ai pas effectué un travail énorme en amont pour me préparer à la difficulté du rôle. Le challenge était plus dans le mois où l’on a arrêté de tourner pour que je perde du poids. Je suis très gourmande et c’était un peu l’enfer de ne plus manger pour maigrir de huit kilos. »
« Je suis très content que les gens soient bluffés par les scènes de larmes, mais je considère que ça fait partie de mon métier de savoir jouer ça. À ce niveau-là, c’est un rôle en or tant les scènes sont bien écrites. Dans Je vais bien, ne t’en fais pas, il y a un vrai texte avant les scènes de pleurs et on est conditionné par la mise en scène et les autres acteurs. Quand je pète un câble dans la cuisine avec mes parents, on a tourné en plan séquence et j’avais vraiment beaucoup de texte avant pour amener cette émotion. La scène de la cuisine est à la fois la plus bouleversante pour mes proches et celle que je déteste le plus. Quand je l’ai vue, je n’y ai pas cru deux secondes et je me suis rendu compte que c’est parce que c’est aussi la plus proche de moi et que je ne vois plus la comédienne. Ma voix part dans les graves et dans les aigus comme il peut y en avoir dans la vie quand on me pousse à bout ou dans mes retranchements. Ce sont ces moments que Philippe nous a volés. Julien Boisselier dit que c’est le premier film dans lequel il a découvert des choses de lui qu’il n’avait jamais vues avant, notamment des regards. »

Bande annonce de Je vais bien, ne t’en fais pas de Philippe Lioret (2006)

« La scène qui m’a posé le plus de problèmes de concentration est celle qui se déroule dans le café où Julien Boisselier et Aïssa Maïga sont dans le sourire, alors que moi, je suis dans un sentiment contenu et, tout d’un coup, j’explose. C’était difficile parce qu’on devait interpréter des sentiments opposés et que je devais jouer cette espèce de submersion. Ce sont à la fois les plus belles scènes à faire et les plus difficiles. Quand on est attaché dans un lit et qu’on doit dire “ J’ai pas envie de crever ”, l’émotion vient tout de suite. »
« Philippe Lioret a choisi des interprètes qui appartiennent à la même famille d’acteurs. J’avais vu Mademoiselle et L’équipier que je trouve très beaux, mais je pense que s’il est encore plus fier de Je vais bien, ne t’en fais pas, c’est parce que tout d’un coup son obsession pour les choses justes et les dialogues qui tombent au bon moment ont rencontré la noirceur et la profondeur du livre d’Olivier Adam. Dans ses autres films, il y avait quelque chose de très propre. Ici il a pris des acteurs qui lâchent prise et qui se laissent faire. »
« On a atteint quelque chose qu’on ne soupçonnait pas au moment du tournage et que Philippe ne prévoyait quand il a écrit le scénario. C’est le rêve de tout réalisateur de réussir à faire un film intimiste avec un sujet fort, tout en arrivant à toucher le plus grand public. En montrant le film lors de la tournée province qui a précédé la sortie, on a remarqué qu’il possédait une capacité d’identification inhabituelle auprès de spectateurs d’âges et de conditions très différents. C’est à Rouen qu’on m’a fait le plus grand compliment : une mère est venue à la projection avec sa fille. Elle a commencé à me parler normalement, puis elle a fondu en larmes en m’expliquant que le film avait provoqué un choc et qu’il avait changé leur vie en leur évitant une hospitalisation. Le cinéma est un accélérateur de vie : l’histoire d’amour est tout de suite très belle, parce qu’il n’y a pas de temps mort entre eux, mais elle reste plausible, ce qui permet à chacun de s’y attacher sans avoir nécessairement à expliquer les choses où à les justifier par des “ Je t’aime ”. En tant que comédiens, on n’a pas pris beaucoup de risques, tant le scénario était bouleversant. C’est l’histoire de gens minuscules à qui il arrive une histoire en majuscules. »

Bande annonce des Adoptés de Mélanie Laurent (2011)

« Je suis très heureuse quand les gens me disent que c’est la première fois qu’ils me découvrent et que c’est un choc. Ça fait neuf ans que je pratique ce métier, j’ai tourné quinze films et je me sentais complètement prête à relever ce défi. Il y a un film qui m’a beaucoup appris parce que j’avais énormément de scènes de larmes, c’est Jean Moulin, une affaire française que j’ai tourné pour la télévision avec Francis Huster. Mon plus grand succès avec onze millions de téléspectateurs [rires] ! D’un coup, il s’est produit un déclic dans mon jeu car je me suis retrouvé avec une grosse scène de larmes à gérer tous les deux jours et j’ai pu essayer des nuances et apprendre à contenir mes émotions ou à les faire jaillir d’un coup. Mais on oublie souvent que c’est notre métier. »
« Je suis passé du tournage de Dikkenek à celui de Je vais bien, ne t’en fais pas en l’espace de deux jours, mais finalement je me suis plus marré à faire le film de Philippe Lioret. Kad apportait tant de légèreté que je n’ai jamais autant ri de ma vie. »
« Ce qui me différencie de beaucoup de comédiens, c’est que je ne suis pas une boulimique des tournages. Je n’ai jamais d’angoisse, quand un film se termine, de ne rien avoir après et ça depuis toujours. Quand, après Embrassez qui vous voudrez de Michel Blanc, il ne s’est rien passé pendant un an et demi, alors même que j’étais chez un très bon agent et que je passais régulièrement des castings, j’ai un peu flippé. Mais moi je remplis ces blancs avec l’écriture. J’ai réalisé des courts métrages, j’ai écrit des longs et là je viens de finir d’écrire une pièce de pour laquelle j’ai déjà organisé des auditions. Je n’attends plus qu’un théâtre pour me lancer. C’est ce qui me sauve de ne pas avoir le sentiment d’accepter un peu n’importe quoi. C’est une chance car je préfère l’année où j’ai tourné Le dernier jour de Rodolphe Marconi et deux jours dans De battre mon cœur s’est arrêté de Jacques Audiard qu’accepter n’importe quel film parce que j’avais un grand rôle mais qui n’allait pas être terrible. Je n’arrive à avoir cette exigence là que parce que j’ai besoin d’avoir six mois de temps en temps pour mener à bien mes propres projets et écrire ce que j’ai dans la tête. C’est aussi important à mes yeux que la passion du jeu car ça me permet de prendre énormément de recul. Les fausses joies que j’ai pu avoir par le passé m’ont simplement rendue beaucoup plus lucide et peut-être moins naïve que je ne l’étais à mes débuts. Et puis, j’adore que ma carrière ait mis un peu de temps. Pour les gens, si j’explose à vingt-trois ans, c’est hyper jeune, mais j’ai débuté à quatorze ans. J’aurais détesté avoir un premier rôle comme celui-là à vingt ans. Moi, j’ai commencé dans Un pont entre deux rives où j’avais un tout petit rôle très agréable à jouer, sans scène de nu et sans scène de larmes qui auraient pu me déstabiliser. Après, les déceptions ont pu venir des journalistes qui m’ont fait croire que ça allait être énorme. Après la présentation de Ceci est mon corps à Cannes, on m’a dit que j’allais constituer la relève du cinéma français… et c’était il y a six ans. Je figure régulièrement parmi les dix ou les vingt-cinq comédiennes prometteuses, et puis Sara Forestier tourne L’esquive et se trouve déjà au-dessus. Je ne sais pas si c’est vraiment facile à gérer quand on a vingt ans. Comme je suis lucide, je sais qu’à trente ans si cela n’a pas explosé vraiment, je laisserai tomber. Je ne suis pas assez passionné et obsédé par ce métier pour faire des choix qui ne vont pas me plaire ou qui ne vont pas me ressembler. Auquel cas je ferai comme Nicole Garcia. Sa carrière me fait plus fantasmer  que d’autres. Quand je lis un sujet qui ne tient pas la route mais qui est signé par quelqu’un dont c’est le métier, ça me gonfle. Parce que moi, quand j’écris, je me prends la tête jusqu’à ce que ce soit vraiment juste et que je n’ai pas envie que les gens s’ennuient pendant plus de cinq minutes. »
« Aujourd’hui j’ai des propositions et je viens de décrocher un grand rôle, mais je ne pense pas que ce soit lié à Je vais bien, ne t’en fais pas. Si jamais le film marche, comme il n’y a que mon visage sur l’affiche et que ce métier reste avant tout dominé par le business, tout d’un coup, je risque de devenir bankable aux yeux des investisseurs. Le jour où Philippe m’a annoncé que je faisais le film, alors même qu’il m’avait choisi sans me demander de passer des essais, il m’a dit : “ Je ne vais pas me la raconter, mais je pense que je serai le dernier à te prendre pour ce que tu es et pas pour ce que tu vaux. Un jour, on te proposera des rôles incroyables en te faisant croire que c’est pour toi, alors qu’ils auront déjà été entre les mains de plein d’autres gens et que ce choix sera dicté au réalisateur par un producteur. ” »
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand
en août 2006




Bande annonce de Respire de Mélanie Laurent (2014)

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