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Marc Esposito : Les raisons du cœur


Marc Esposito © DR

Patron du magazine Première puis fondateur de Studio, Marc Esposito, né en 1952, a exprimé sa passion du cinéma par un enthousiasme et des coups de gueule communicatifs. Passé à la réalisation avec un documentaire sur son ami Patrick Dewaere, présenté au Festival de Cannes 1992, il a co-écrit le scénario de L’envol (2000) de Steve Suissa, puis a connu un grand succès public avec sa première fiction, Le cœur des hommes (2003), dont il a tourné par la suite deux suites, en 2007 et 2013. Il a réalisé par ailleurs deux autres longs métrages : Toute la beauté du monde (2006) et Mon pote (2010).


Pourquoi avez-vous choisi d’écrire le roman avant de tourner Toute la beauté du monde ? Etait-ce un moyen de “rassurer” votre producteur ou une autre façon de raconter cette histoire ?
Marc Esposito Cette histoire a d'abord été un scénario, que j’ai écrit en 1994-1995, qui a a été à deux doigts de se faire, avant de capoter -à cause du retrait soudain de l'actrice qui avait dit oui depuis un an- une semaine avant la préparation, en mars 1996. J’ai écrit le roman en 1998-1999, quand j’ai eu l'idée d'écrire cette histoire à la première personne, en me mettant à place du héros, Franck. Dès les premières pages, ce travail m'a captivé. Je suis allé au bout. Le roman est paru en novembre 1999. Soit trois ans avant le tournage du Cœur des hommes. J'étais content que cette histoire existe, qu'elle soit devenue un roman. En faire un film, alors, m’importait peu. Aucune actrice ne me donnait envie de lui faire jouer Tina. C'est en voyant Zoé Félix sur l'écran de montage du Cœur des hommes que l'envie d'adapter le roman m'est venue : j'avais trouvé Tina.

On retrouve dans Toute la beauté du monde trois des acteurs principaux du Cœur des hommes. Est-ce de votre part la manifestation d’une envie de retrouver cet esprit de bande qui a contribué au succès de Première puis de Studio ?
Non, ce n’est pas volontaire. Zoé a fait naître l’idée, Marc Lavoine s’est imposé très vite à cause de son histoire personnelle, profonde, avec Bali depuis plus de vingt ans, qui lui faisait un point commun troublant avec le héros de l’histoire. En plus, comme je voulais un acteur beau et romantique, il était de toute façon l’un des rares Français idéal pour ce rôle. Pour Darroussin, je n’osais pas le lui demander, en raison de la brièveté du rôle. C’est mon producteur qui m’a persuadé que j’avais tort.

Toute la beauté du monde est un projet qui a mis une dizaine d’années à aboutir. En quoi a-t-il évolué au fil des ans ?
L’histoire a toujours été la même, même dans ses détails dramaturgiques. Elle s'est juste améliorée au fil du temps et des versions, approfondie quand elle est devenue un roman, puis de nouveau améliorée quand elle est redevenue un scénario. Il y a deux différences importantes. D’abord, l’ellipse d'un an entre la fin de Bali et la fin en Provence, qui existait déjà dans les premiers scénarios qui précédaient le roman, n'est pas dans le roman, qui raconte l'évolution des rapports entre Franck et Tina pendant cette année. Quand il a fallu adapter le roman, j’ai d'abord écrit des versions qui racontaient cet épisode, mais c'était trop long et peu captivant, donc je suis vite revenu à la structure initiale, avec l'ellipse. Par ailleurs, les premiers scripts étaient écrits du point de vue de Tina. Franck entrait dans le film le jour où Tina le rencontrait, et quand ils se séparaient, on restait avec Tina. Le roman est écrit à l'inverse, du point de vue de Franck. J’ai finalement remis les deux personnages à égalité dès les premières adaptations du roman car je ne voulais pas d’un film à la première personne avec des extraits du livre en voix off. Il n’était pas question d'un film “littéraire”, ni de m’autociter.

Votre court métrage s’intitulait L’homme qui pleurait tous les matins. Dans Toute la beauté du monde, Tina fond elle-même en larmes à plusieurs reprises. C’est une situation qu’on voit assez rarement au cinéma. Quelle est pour vous la valeur de ces pleurs ?
Il ne s’agit pas de valeur. C'est juste par souci de réalisme. Je veux que ça ait l'air vrai, et dans la vie, les gens pleurent, surtout les femmes qui ont perdu leur mari, et sont en dépression ! On ne voit pas beaucoup ça dans les films car c'est réputé casse-gueule : une femme qui pleure et qui n'est pas émouvante -ça peut arriver, et ça arrive !-, c'est comme un gros gag qui ne fait rire personne.

Bande annonce du Cœur des hommes (2003) 

Pour quelle raison avez-vous choisi de ne jamais montrer le mari de Zoé Félix et de monter en parallèle les images du retour de Marc Lavoine qui peuvent prêter à confusion au début du film ?
L'histoire commence le jour où le destin se met en branle : Franck débarque à Arles le jour où le mari de Tina meurt. Dans le roman, Franck s'en rend compte et Catherine lui dit : « Dieu ne ferme jamais une porte sans en ouvrir une autre. » Albane Duterc a prononcé cette phrase dans sa première scène sur le canapé avec Franck et Michel, mais je l’ai coupée au montage, je trouvais ça trop explicite. Mais c'est l’idée et j’y crois… même si je ne crois pas en Dieu.

Le postulat du film est radical : un homme tombe amoureux d’une femme qui n’a pas encore fait le deuil de l’amour de sa vie, mais il est prêt à l’attendre. C’est un thème récurrent de la littérature romantique depuis madame de La Fayette. En quoi vous paraît-il actuel ?
Il est actuel depuis des millénaires : depuis toujours, la perte de leur mari fait partie de la vie des femmes. Chasse aux mammouths, croisades, guerres, accidents de voiture, infarctus… Depuis toujours, les hommes meurent avant leurs femmes, de façon brutale et accidentelle. C'est un thème universel et intemporel.

Il y a trois personnages principaux dans Toute la beauté du monde : Tina, Franck et Bali. Le titre se réfère-t-il aux trois ou à l’un d’eux et pourquoi avez-vous choisi ce lieu : pour sa photogénie ou l’atmosphère qui y règne ?
Toute la beauté du monde, c'est Bali, la beauté physique et la beauté intérieure de Tina, l'amour de Franck, le ciel, l'amour, les buffles dans les champs, les oiseaux dans le ciel… Pour Bali : la beauté de sa nature qui doit beaucoup aux hommes -rien à voir avec le Sahara, Tahiti, ou le Kenya, que l'homme n'a pas modifiés-, sa spiritualité, son côté “paradis préservé dans un monde infernal”. La religion des Balinais n'existe que là, dans cette île minuscule perdue au milieu de l'immense archipel indonésien musulman.

Parallèlement à votre activité de cinéaste, vous écrivez des chansons pour Marc Lavoine. Quel lien établissez-vous entre ces deux activités et est-ce que vous avez écrit sur mesure pour l’acteur comme pour le chanteur ?
Le lien, c'est notre amitié, mon goût pour toutes les formes d'écriture, pour les mots, et mon goût pour tout ce qui concerne l'amour. Mon activité de parolier est vraiment très marginale. J'ai toujours écrit pour Marc ou avec lui par amitié, par plaisir, parce qu'il m'arrive, quand je veux me changer les idées, d'essayer d'écrire une chanson. C'est un travail de miniaturiste amusant, excitant.

La musique est omniprésente dans le film. Comment l’avez-vous choisie et à quel moment stade l’avez-vous associée aux images : avant, pendant ou après le tournage ?
Certaines musiques sont citées dans le roman, qu’il s’agisse de Scorpions, Tim Buckley ou John Surman. L'essentiel des autres choix se sont faits au montage. À part la musique originale de Béatrice Thiriet composée exprès pour le film, quasiment tous les autres morceaux sont des extraits de ma discothèque perso, y compris les chansons indonésiennes. Il n'y a pas de “conseiller musical” ni sur Le cœur des hommes ni sur Toute la beauté du monde.


À propos du Cœur des hommes, on a parfois évoqué un hommage à Claude Sautet. Toute la beauté du monde fait davantage penser à Claude Lelouch. Assumez-vous ces comparaisons et revendiquez-vous cette double filiation ?
J'assume sans revendiquer. Je découvre ces filiations quand on me les signale. Je pensais que Le cœur des hommes était plus proche de la légèreté d’Un éléphant ça trompe énormément d’Yves Robert que de Sautet. Pour Lelouch, c'est la première fois qu'on me le dit. Pourquoi pas ! Après tout, dans Un homme et une femme, Anouk Aimée est veuve, et c'est vrai que Lelouch a fait pas mal de films d’amour avec beaucoup de musique. Il a fait partie des metteurs que j’ai aimés, dans les années 1965-1985.

Sentez-vous l’émergence d’une vague de réalisateurs passés par Studio dont feraient aussi partie Denis Parent, Thierry Klifa et Laurent Thirard, ou s’agit-il plutôt d’une sorte de génération spontanée ?
Il est trop tôt pour le dire. Nos quatre premiers films n'ont pas beaucoup de points communs, à part celui d'éviter d'être chiants, ce qui, en effet, suffit sûrement à nous distinguer et à nous rassembler dans une même grande famille, que nous n'avons pas inventée, et qui regroupe heureusement d'autres metteurs en scène français.

Vous sentez-vous prêt à écrire la suite de Toute la beauté du monde comme vous avez déjà écrit celle du Cœur des hommes ?
Non, il n’y aura pas de suite, c’est sûr !

Quels sont vos projets ?
Mettre en scène au théâtre une pièce que j’ai écrite, et une, américaine, dont j’ai acquis les droits, et que je vais adapter.
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand
en janvier 2006


Bande annonce de Toute la beauté du monde (2006)

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