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Lone Scherfig : Solidarité à la danoise

Lone Scherfig © SND

La première fois que Lone Scherfig a crevé l’écran, c’est dans un film de Wim Wenders, Les ailes du désir (1987). Mais ni elle ni lui ne l’avaient prémédité. Au détour d’un plan sur le Mur de Berlin, elle a reconnu la porte qu’elle y avait peinte et sur laquelle elle avait écrit “Lone’s Gate”. Aujourd’hui l’histoire a emporté ce vestige, sans doute débité en petits morceaux à l’usage des fétichistes du monde entier. Et lorsque le Mur est tombé, ce jour du 9 novembre 1989, la réalisatrice danoise était en plein tournage de son premier long métrage, The Birthday Trip (1990). Née en 1959, cette compatriote de Lars von Trier a contribué à plusieurs séries télévisées et réalisé pour le grand écran Seuls à la maison (1998), Italian for Beginners (2000), Wilbur (2002), Just Like Home (2007), Une éducation (2009), Un jour (2011) et The Riot Club (2014).


 Vocation
« Mon envie de faire du cinéma date du milieu des années 70, époque à laquelle j’ai découvert beaucoup de films américains et français qui m’ont marquée. Je suis d’abord partie étudier la littérature à Paris où j’habitais dans le pavillon danois de la Cité Universitaire. Ce n’est qu’ensuite que je suis allée à la fac à Copenhague puis à l’école de cinéma. »

Humour
« Mes deux premiers films ressemblaient à Wilbur sur le plan esthétique, mais j’essayais à l’époque d’y aborder des sujets plus sérieux [rires]. Je triche davantage quand je n’essaie pas d’être sérieuse. C’est plus facile de rester superficiel et j’ai l’impression de tricher avec les spectateurs si je leur débite des clichés. Je ne me sens pas le droit de leur voler leur temps. Simultanément, j’ai toujours peur de me montrer trop prétentieuse [rires]. Or l’humour constitue précisément la meilleure arme contre cette tentation. C’est toutefois une notion terriblement subjective. Wilbur a ainsi obtenu un prix décerné par le journal Variety au meilleur scénario de comédie. »

Carrière
« Au lendemain d’Italian for Beginners, j’ai eu envie de consacrer un film à la lutte que représentent les simples faits de vivre et d’aimer. Lorsque je suis arrivée à la moitié de la première version du scénario, le projet avait déjà trouvé son financement. Ensuite tout a été très vite. Au point qu’il m’était presque égal qu’Italian for Beginners ait du succès ou non, car j’étais déjà amoureuse de Wilbur et Harbour [rires]. En règle générale, je n’aime pas revoir mes anciens films car je les connais par cœur et n’y trouve que des défauts. »

Dogme
« Mon expérience dans le cadre du Dogme créé par Lars von Trier m’a appris à faire confiance au moment présent, et à faire abstraction de la technique pour rester ouvert à l’improvisation. Mon sens de l’humour est aujourd’hui mieux défini et j’ai acquis un sens critique plus aigu. Si je réalise demain un film de science-fiction qui se déroule dans des espaces intersidéraux, je serai capable de lui donner le minimum d’authenticité qui est nécessaire. Le Dogme m’a également aidé à trouver un style personnel dans l’écriture des dialogues. Vous ne pouvez pas imaginer combien j’ai été stimulée d’entendre rire les spectateurs à certaines scènes que j’avais écrites lorsque Italian for Beginners a été présenté au Japon, par exemple. »

Bande annonce de Wilbur (2002)

Sujets
« J’ai tourné Wilbur en Écosse, un lieu qui m’a beaucoup stimulé, et j’ai d’ores et déjà l’intention d’y réaliser mon prochain film dont je réunis actuellement le financement, mais je reste ouverte à toutes les propositions. Je considère que c’est une richesse de mettre en scène des sujets écrits par d’autres, mais j’ai besoin de m’y retrouver personnellement. Anders Thomas Jensen, avec qui j’ai travaillé sur Wilbur, a trente-et-un ans et il possède un caractère très différent du mien, comme le prouve son premier film en tant que réalisateur, Les bouchers verts. Ça ne m’empêche pas d’écrire actuellement un scénario pour une autre réalisatrice danoise qui contient davantage de pathos que je ne pourrais en gérer personnellement. Moi, je serais trop ironique. Récemment Lars von Trier m’a également confié un scénario que lui ont inspiré ses années d’apprentissage à l’école de cinéma et qu’il aimerait que je mette en scène. Il pense sans doute que je dresserai de lui un portrait plus flatteur qu’il ne saurait le faire lui-même [rires]. En plus, j’ai étudié aussi cette même école, même si on n’était pas dans la même classe car on a un an d’écart. En revanche, il a progressé beaucoup plus vite que moi dans le métier, car il est plus courageux [rires]. »

Danemark
« Lars von Trier a entraîné derrière lui une nouvelle vague de réalisateurs danois. Son succès a attiré l’attention du monde entier sur notre pays, alors qu’il est probable que d’autres pays produisent d’aussi bons films dont on n’entend jamais parler. Le Dogme nous a en outre permis d’apprendre à travailler avec des budgets minuscules. Et puis, il s’est créé une véritable émulation entre les réalisateurs danois, lesquels se sentent très solidaires les uns des autres et se soutiennent mutuellement. C’est très positif pour nous tous. Plusieurs d’entre nous ont fait leurs études ensemble et nous travaillons aussi pour la plupart à la télévision et dans la publicité. Du coup, ça nous permet d’acquérir une grande expérience assez rapidement que ne possèdent pas toujours nos confrères dans des pays où la concurrence est plus acharnée. Pour ma part, je suis pressée d’en arriver à ce fameux septième film dont on prétend qu’il correspond à la maturité chez beaucoup de cinéastes [rires]. Mon but est d’arriver à obtenir à l’écran exactement ce que j’ai imaginé, mais cela nécessite à la fois de l’expérience et du travail. »

Livres
« J’aurais rêvé de tenir une librairie et de passer mes journées à lire. Celle qu’on voit dans Wilbur a été reconstruite en studio. Elle m’a été inspirée par une librairie qui se trouvait à deux pas de chez moi et qui a fermé. Quant aux adaptations, je partage l’idée de François Truffaut selon laquelle les seuls livres qu’on peut porter à l’écran sont les romans de gare. Il y a entre le cinéma et la littérature la même différence qu’entre le numérique et l’analogique. Il existe toutefois des passerelles entre ces deux moyens d’expression. Par exemple, en ce moment, je travaille sur un nouveau projet avec Anders Thomas Jensen et si nous n’arrivons pas à en trouver le financement, il est probable que nous passerons par le roman pour faire connaître notre scénario. »
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand

en novembre 2004


Bande annonce d’Une éducation (2009)

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