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José Garcia : Prince sans rire

José Garcia © DR

Prêt à tout pour éliminer ses rivaux afin de retrouver un emploi dans Le couperet (2005) de Costa Gavras, José Garcia, né en 1966, traque les zones d’ombre de sa mémoire dans La boîte noire (2005) et passe avec la même aisance de l’univers de Donald Westlake à ceux de Tonino Benacquista et de Fred Vargas, dans Pars vite et reviens tard (2007) sous la direction de Régis Wargnier. D’un côté, il y a le pitre couronné du Prix Jean Gabin 2001 qui fait courir les foules dans les trois volets de La vérité… si je mens ! (1997) de Thomas Gilou, Jet Set (2000) et People (2004) de Fabien Onteniente, Le boulet (2002) d’Alain Berbérian et Frédéric Forestier, Après vous… de Pierre Salvadori et Rire et châtiment (2003) d’Isabelle Doval, Quatre étoiles (2006) de Christian Vincent, Astérix aux Jeux Olympiques (2008) de Frédéric Forestier et Thomas Langmann, Le mac (2010) de Pascal Bourdiaux, qui lui a valu le Prix d’interprétation du festival de l’Alpe-d’Huez, Chez Gino (2011) de Samuel Benchetrit, Les seigneurs (2012) d’Olivier Dahan et Vive la France (2013) de Michaël Youn. De l’autre, il y a les personnages plus tourmentés ou plus inquiétants d’Extension du domaine de la lutte (1999) et du Vélo de Ghislain Lambert (2001) de Philippe Harel, Trouble Every Day (2001) de Claire Denis, Louis XIV dans Blanche (2002) de Bernie Bonvoisin et Le septième jour (2004) de Carlos Saura, qui lui a permis de renouer avec ses racines espagnoles.


Avec Extension du domaine de la lutte, on a découvert un José Garcia plus dramatique mais le film n'a pas marché. Alors, déçu ?
Pas du tout. Je suis très fier d'Extension du domaine de la lutte de Philippe Harel. En plus, il m'a ouvert des portes. Depuis, j'ai rencontré Dominique Cabrera à propos d'un projet qui n'a malheureusement pas pu se faire pour des raisons de dates. En revanche, je viens de tourner dans le nouveau film de Claire Denis, Trouble Every Day, avec Vincent Gallo. J'y incarne un chercheur qui travaille sur les maladies du cerveau. Et puis, j'ai retrouvé mon acolyte de Nulle Part Ailleurs, Antoine de Caunes, qui m'a offert un rôle dans Les morsures de l'aube. Mon personnage s'appelle Caniveau : tout un programme !
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand
en mai 2000



Avec Le couperet puis La boîte noire dans la même année, l’amateur de vin éclairé que vous êtes considère-t-il 2005 comme un grand cru ?
José Garcia. C’est sûr qu’il s’agit là de vins plus épais que des Côtes du Rhône, même s’il en existe de bons [rires]. J’attendais d’avoir l’occasion de m’étoffer et de prendre du plaisir à jouer des choses plus denses, mais c’est vrai que c’est aussi une évolution, une maturation et la chance d’avoir des scénarios qui sont arrivés à point nommé. Honnêtement, j’y ai pris beaucoup de plaisir et j’espère que j’aurai la chance de continuer à faire des films aussi forts que ceux de Costa Gavras et de Richard Berry.

Qu’est-ce qui vous a plu dans votre rôle de La boîte noire ?
C’est un personnage super angoissant à incarner parce que ce qu’il y a de plus terrible pour un acteur, c’est de perdre sa mémoire. Or, moi, je vis énormément dans le souvenir, mais je n’ai pas d’images auxquelles me raccrocher. Je n’ai pas de photos, je ne garde pas grand-chose. Mais le film parle moins de l’amnésie que de cette culpabilité judéo-chrétienne qui nous étouffe et nous empêche de vivre.

Connaissiez-vous déjà Richard Berry avant de jouer dans son film ?
Nous n’avons jamais tourné ensemble comme acteurs, mais il m’avait déjà proposé d’incarner le père de Jules Sitruk dans Moi, César… que j’avais refusé faute de temps.

Aujourd’hui, êtes-vous toujours disposé à tenir de petits rôles ?
Non, c’est pour ça que je refuse toujours les courts métrages. Ça me demande autant de travail de préparer un personnage de cinq jours que d’un mois. Je ne viens pas sur un tournage juste pour montrer ma gueule, les mains dans les poches donc j’essaie de me lancer dans des histoires qui m’intéressent. Du coup, chaque choix devient vital, mais je sais pourquoi je le fais et pourquoi je suis content de l’avoir fait.

Avez-vous le sentiment d’avoir passé un nouveau cap ?
Je crois surtout que les plus beaux rôles du répertoire nécessitent d’être plus étoffés sur le plan humain, que ce soit dans le théâtre classique ou au cinéma. Jusqu’à maintenant, je n’avais pas encore la carrure pour interpréter des personnages qui soient là en permanence. Je n’en avais même pas envie. Je préférais m’amuser et faire des trucs qui me permettaient de donner beaucoup d’énergie, mais au bout d’un moment, j’en avais déjà fait tellement que je suis arrivé à saturation et que J’ai eu la chance de pouvoir combler ce vide parce que des gens m’ont amené des scénarios qui m’intéressaient. Moi, ce qui m’embêtait, c’est que je n’avais pas du tout envie de servir des films d’auteur simplement pour avoir des personnages qui avaient des problèmes que je pouvais résoudre en très peu de temps. C’est vrai que souvent je n’y trouvais pas mon compte et que les personnages avaient bien des soucis dans la vie, mais rarement des véritables problèmes. Or, j’avais envie de me battre avec les éléments. Chez moi, c’est soit l’eau glacée, soit le feu. Ça vient de mon éducation. Je suis originaire d’une région d’Espagne qui n’est pas vraiment tempérée : vous mettez le feu, ça vous brûle au troisième degré ; vous vous baignez, vous avez le pied coupé en deux ; vous buvez un verre d’eau froide et vous avez les cordes vocales glacées [rires]. Donc, en fait, c’est exactement ce que je recherchais. J’ai eu la chance de commencer avec Carlos Saura, justement en Espagne, puis Costa Gavras et Richard Berry.

Bande annonce de Rire et châtiment d’Isabelle Doval (2003)

Arrivez-vous à percevoir où s’est produit le déclic qui vous a permis de passer à la vitesse supérieure ?
Ça a commencé sur le film de ma femme, Rire et châtiment, et ça s’est poursuivi avec Après vous. C’est un film de transition qui a été assez étrange pour moi car je me suis laissé guider par Pierre Salvadori à un point hallucinant. Je n’avais plus d’instinct de survie tellement j’étais perdu à ce moment-là. C’est pareil en ce moment. Quand j’arrive à la fin d’un travail, je suis au point limite zéro. C’est un moment très perturbant car on se sent particulièrement fragile. Moi, j’enchaîne souvent les films par deux ou par trois, même si les films et les rôles sont très différents. J’y explore les choses en étant capable de rester brut à l’arrêt et de remplir en permanence les personnages de l’intérieur. Le défi consiste à tenir tout un film. C’est douloureux, mais c’est aussi ce qui me permettra de repartir… Aujourd’hui, j’ai surtout besoin de comprendre, d’avoir le temps de digérer. Voir comment les gens le ressentent est également déterminant car je ne vis que dans le regard des autres. En dix-huit ans, j’ai établi un rapport avec les journalistes et les spectateurs qui m’aide à avancer. Pour moi, c’est un partage.

Avez-vous conscience de votre statut de tête d’affiche ?
Il n’y a que les banquiers qui pourraient vous le dire. On est un peu comme le cours de la bourse : dès qu’on sort du cinéma commercial et qu’on commence à s’orienter vers des choix plus personnels, on perd le côté “bankable”, mais moi je ne fais pas ce métier pour être assis dans un fauteuil et commander des verres dans une boîte de nuit. Ce que je veux, c’est d’abord jouer, devenir un homme et un acteur qui prend du plaisir. Ce qui m’intéresse, c’est de pouvoir continuer à faire mon métier et qu’on ne m’interdise pas de jouer tel ou tel rôle parce que je n’ai pas fait tant d’entrées. En fait, je change un peu mon fusil d’épaule pour aller chercher les rôles là où ils sont et non pour battre des records d’entrées. Les financiers me voient comme un acteur populaire et se disent que même comme ça, il faut faire un bon résultat au box-office. On ne s’en rend pas forcément compte en France, mais l’intérêt, c’est d’avoir des films qui voyagent. La boîte noire est d’ailleurs vendu à la moitié de la planète, y compris au Japon et en Chine, alors que les comédies ne sortent pas de l’Hexagone.

De quelle manière les Espagnols vous considèrent-ils ?
En Espagne, où j’ai tourné un film intitulé Utopia, Le septième jour de Carlos Saura et où sort Le couperet, je suis reconnu comme un acteur de films d’auteur plutôt sombre et un intello total, ce qui est quand même assez drôle. Ils n’ont pas vu ce que j’ai fait avant, mais un jour ça va me revenir comme un boomerang et ils réaliseront que je suis un escroc [rires]. Aujourd’hui, vu la tournure que prennent les choses et surtout le cinéma, je me dis que pour ne pas embêter les chaînes de télévision et ne pas les culpabiliser, la coproduction européenne a de beaux jours devant elle, car c’est la seule possibilité de monter des œuvres plus difficiles sans faire perdre de l’argent à qui que ce soit. Il n’y a que comme ça qu’on a réussi à monter les films de Costa Gavras et de Carlos Saura. Du coup, ils voyagent beaucoup mieux et ils ont une vie plus intéressante sans être tributaires du box-office à tout prix.

Avez-vous été surpris que Costa Gavras pense à vous pour Le couperet ?
Moi, je suis comme la jolie fille qui montre ses jambes : je ne peux pas donner plus que ce que j’ai, donc j’ai été étonné que Costa Gavras et même Carlos Saura posent leurs yeux sur moi, qui plus est la même année. Je pensais que les gens me considéraient encore comme un rigolo. Je suis passé de trublion à comédien, puis de comédien à acteur, donc je sentais que j’avais monté dans la hiérarchie, mais pas assez pour qu’on me croie capable de tenir de tels rôles.

Bande annonce du Couperet de Costa Gavras (2005)

Est-ce à dire que l’acteur a enterré le comédien qui a fait disparaître le trublion ?
Certainement pas ! Bruno Solo, Benoît Poelvoorde, Patrick Timsit ou moi, on ne peut pas se prendre au sérieux, car deux minutes après on risque de se retrouver à poil en haut d’une dune ou avec une plume dans le cul [rires]. Dès qu’on commence à discuter un peu sérieusement ou a s”écouter parler, il y a toujours une photo ou un extrait de film qui nous rattrape. C’est la meilleure soupape qui soit. Mais, de toute façons, je n’ai pas l’intention de rester “acteur”. D’ailleurs je viens de tourner un film plus léger, Quatre étoiles, mais je ne l’ai pas abordé de la même façon que les autres comédies, du moins je l’espère. Son réalisateur, Christian Vincent, m’avait déjà proposé le rôle principal de son précédent film, Les enfants, tenu finalement par Gérard Lanvin, mais à l’époque, je ne me sentais pas prêt à aller au-devant des gens. J’ai refusé des films de réalisateurs avec qui j’aimerais tourner, mais je suis persuadé que les rencontres se font si elles doivent se faire et qu’il faut laisser le temps au temps. J’adore ce métier car j’aime les extrêmes. Je suis gourmand et passionné, mais j’ai besoin d’exulter !

Aujourd’hui avez-vous d’autres projets avec votre femme ?
Pas pour l’instant. Elle est train d’envoyer son nouveau scénario de comédie à plusieurs acteurs, mais je n’en ferai pas partie. Elle est grande maintenant [rires]… Moi, j’ai encore besoin de me faire plaisir. C’est pour ça que je prépare le film de Régis Wargnier tiré du roman de Fred Vargas Pars vite et reviens tard.

Bourvil a dû attendre la fin de sa carrière pour qu’on lui propose enfin des rôles dramatiques. Aujourd’hui tout va plus vite. Pourquoi ?
Je pense que La vérité… si je mens ! a ouvert la brêche pour Bruno Solo et moi. Aujourd’hui les gens qui viennent de la télé ont droit tout de suite à tout. Mais Bourvil, Michel Serrault ou Jean-Pierre Marielle sont aussi devenus de grands acteurs parce qu’ils connaissent le prix de la survie. Dans les comédies, on se désinhibe complètement et c’est pour ça que les gens trouvent parfois qu’on va un peu loin, mais aussi que ça les fait rire.

Comment réagissez-vous quand vous vous revoyez à l’écran ?
J’étais récemment au festival de Beauvais où ils organisaient une rétrospective en mon honneur, mais ça m’a fait bizarre de voir d’un coup autant de visages, autant d’époques… Je suis conscient qu’il y a plein de films dans lesquels je ne suis pas bon, mais c’est un moteur de les revoir car je sais que mon métier consiste à se péter la gueule quatre-vingt-dix pour cent du temps. C’est parce qu’on rate beaucoup qu’on réussit de temps en temps.
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand

en octobre 2005


Bande annonce d’Extension du domaine de la lutte (1999)

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