Joana Hadjithomas et Khalil Joreige © DR
Nés l’un et l’autre en 1969, les réalisateurs libanais Joana Hadjithomas et Khalil Joreige ont réussi à convaincre Catherine Deneuve de s’impliquer dans un projet quasi expérimental qui entend dresser un état des lieux de leur pays au lendemain de la énième guerre qui l’a ravagé. Je veux voir (2008) est un essai de cinéma vérité qui brouille les pistes à dessein et sème une confusion étudiée entre fiction et documentaire, sans chercher à dirgiger notre regard. Main dans la main depuis le début de leur carrière, et même mariés, ses auteurs se sont fait remarquer par des films tels qu’Autour de la maison rose (1999), le moyen métrage Khiam (2000), A Perfect Day (2005), primé à deux reprises à la fois au festival de Locarno et à celui des Trois Continents, à Nantes, The Lebanese Rocket Society (2012), ainsi qu’un sketch du film collectif Enfances (2007) intitulé Open the Door, Please, conçu comme un hommage à Jacques Tati.
Dans quelles conditions a été tourné Je veux voir ?
Joana Hadjithomas et Khalil Joreige Ce
film est une vraie aventure ! Il est totalement atypique à tous les
niveaux : la production, la préparation, le tournage… Nous sommes partis
sur les routes du Sud Liban avec les deux acteurs, Catherine Deneuve et Rabih
Mroué, et une équipe réduite dans des conditions documentaires. Peu de jours de
tournage : six avec les acteurs, une journée seuls ; peu de prises.
Nous tournions dans des zones très militarisées et devions demander constamment
des autorisations à toutes les instances en place sans savoir si cela allait
aboutir. Il fallait être prêt à recevoir, à filmer tout ce qui se passait
devant nous.
Quelle est la principale difficulté que vous ayez
rencontrée au cours de cette aventure ?
Le danger était
présent durant ce tournage, on avait souvent peur et la logistique était très
complexe à organiser.
Que changeriez-vous éventuellement, si c’était à
refaire ?
Nous ne
changerions rien d’important. Ce film tient déjà pour nous du miracle et nous
sommes heureux d’avoir pu le faire et qu’il existe ! Ce n’était vraiment
pas évident !
En tant que réalisateurs, comment vous adaptez-vous aux circonstances ?
Dans le genre
de films que nous faisons, il faut ruser, inventer à chaque fois quelque chose
de particulier, de cohérent, de viable aussi. Il n’est pas question de faire de
concessions, il faut élaborer de nouvelles stratégies. Chaque film est un défi.
Nous sommes autant cinéastes qu’artistes plasticiens et nous nous inspirons
souvent du fonctionnement de l’art contemporain au niveau de la production. Là,
nous sommes partis de l’idée d’un dispositif, nous voulions poser une
question : « Que peut le cinéma dans les zones de grands
conflits ? » Et cette question, nous la posons avec l’aide de
Catherine Deneuve, une “icône” de cinéma et de notre acteur fétiche, Rabih
Mroué. Ils vont vers le Sud ensemble et nous voyons ce que cela peut provoquer.
Quel est le stade de la production qui vous tient le plus à cœur ?
Tous. Nous ne
voyons pas cela comme des stades séparés les uns des autres. Un film est un
ensemble. Mais nous aimons particulièrement l’étape du montage. Sur Je veux voir, c’est là aussi que
beaucoup de choses se sont jouées.
Comment vous situez-vous par rapport à la tradition
cinématographique libanaise ?
Nous nous
situons plutôt au niveau du territoire cinéma que d’un territoire national,
même si l’on est très proches de certains cinéastes et artistes libanais de par
notre confrontation à une même réalité qui nous inspire et nous questionne. Actuellement,
c’est plutôt une manière de résister à l’uniformisation en marche et continuer
à habiter un lieu qui se rétrécit, celui d’un cinéma qui se cherche, qui
cherche de la beauté et pose des questions liées au monde qui nous entoure. Je veux voir dit quelque chose sur notre
rapport au cinéma.
Quels sont vos projets ?
Nous avons à peine terminé le film pour le festival. Nous voulons nous donner le temps de
l’accompagner, de le montrer, et nous sommes déjà en train d’écrire notre
nouveau projet, mais nous avons besoin de temps, de beaucoup de temps, de
réflexion et de recul… Ce nouveau projet sera assez différent de ce qu’on a
fait jusque là.
Qu’attendez-vous de votre sélection au Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard ?
Cannes,
c’est d’abord une reconnaissance importante pour nous, déjà au niveau
personnel. C’est un encouragement. Des gens dont on estime le travail nous
reconnaissent. Ensuite, évidemment, il y a la visibilité. Cannes donne à
notre film une visibilité qu’il n’aurait peut-être pas eue autrement. Et enfin,
il y a l’aspect économique, les ventes, etc. Mais nous attendons avec
impatience de montrer le film d’abord. Nous l’avons porté
longtemps et ce partage-là, cette rencontre avec le spectateur, c’est surtout
ce que nous attendons, ce que nous espérons.
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand
en mai 2008
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