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Jean-Henri Meunier : Le monde à hauteur d’homme


Jean-Henri Meunier © DR

Ici Najac, à vous la terre (2006) est la suite de la chronique consacrée par Jean-Henri Meunier à ce village occitan dans La vie comme elle va (2003). Né en 1949, ce cinéaste engagé soutenu à ses débuts par le fondateur de la Cinémathèque Française, Henri Langlois, a signé quatre fictions : L’adieu nu et Aurais dû faire gaffe… le choc est terrible (1977), puis La bande du Rex (1980) et Faut savoir se contenter de beaucoup (2015). Il a réalisé également plusieurs documentaires parmi lesquels Smoothie (1992), Rien à perdre (2010) et Y’a pire ailleurs (2011).



Dans quelles conditions a été tourné votre film ?
Jean-Henri Meunier Pour Ici Najac, à vous la Terre, comme pour les autres documentaires que j’ai réalisés, l’écriture s’est faite en deux étapes. La première, libre et désordonnée, au tournage, où je suis seul avec ma caméra. Je tourne, sans trop savoir où cela va me mener. À ce moment-là je suis  plus motivé par le chemin parcouru  auprès des gens que je filme que par le but à  atteindre. Puis, avec le montage, vient le temps de la construction narrative. Au départ, avec mon ami et monteur Yves Deschamps, c’est comme si nous étions devant les milliers de pièces d’un puzzle dont ni lui ni moi ne connaissons le modèle. Nous avançons par intuitions successives et, petit à petit, le film émerge de lui-même porté par ses personnages, leurs mots, leurs gestes, leurs émotions. Quant aux différentes étapes de la réalisation, elles sont étroitement imbriquées les unes dans les autres et se sont déroulées sur une période de huit années. Par exemple, le choix des “personnages” s’est fait sans recherche préalable, au fur et à mesure qu’ils entraient dans ma vie. Je ne me suis pas dit « tiens, je vais trouver un poète de la mécanique et faire un film sur lui ». Non, il était là, à cinquante mètres de chez moi. J’allais boire le café chez lui. Un matin j’ai pris ma caméra et j’ai commencé à le filmer, comme on voisine. De la même façon, les tournages se faisant au jour le jour, il n’y avait pas de préparation. Un jour, je me pouvais me dire « ce serait bien que je filme un vêlage ou les labours », mais si la vache ne voulait pas mettre bas ce jour-là ou s’il pleuvait, il me fallait  attendre le bon moment. Certains tournages, comme la construction du four à pain par Serge Itkine, le paysan boulanger, se sont étalés sur plusieurs mois voire plusieurs années. D’autre fois, j’avais dérushé et prémonté une séquence et je repartais filmer quelques plans pour la peaufiner. Le montage avec Yves Deschamps s’est fait à Najac, et il m’est arrivé encore de tourner des séquences pendant cette période. Quant au montage son et aux finitions (conformation, étalonnage, bruitage et mixage), elles ont été faites à Paris. Le plan de financement du film est simple : outre les apports des co-producteurs (dont je fais partie puisque j’ai apporté le tournage et une grande partie du dérushage et du prémontage) le budget s’est complèté par un minimum garanti distributeur et une avance sur recettes après réalisation.

Quelle est la difficulté principale que vous ayez rencontrée au cours de cette aventure ?
À un moment donné, tout s’est arrêté pour des raisons de  financement et aussi artistiques : le partenaire qui m’avait accompagné jusque-là n’était pas d’accord avec le montage définitif, il remettait même en question la présence de certains personnages dans le film, et il ne voulait plus participer à la fabrication du film. Je traverse alors une pédiode difficile : un film agonisant, plus d’Assedic, les dettes qui s’accumulent. Heureusement, un ami me met en contact avec Océan Films qui, après avoir visionné une copie de travail, me donne un accord de principe pour distribuer le film. En janvier, je risque le tout pour le tout et j’engage en mon nom propre les travaux d’étalonnage, de bruitage et de mixage. Parallèlement, Yves Deschamps montre la copie de travail à Frédéric Bourboulon qui a un grand coup de cœur pour le film et décide de le produire avec Little Bear. Ouf ! Bien sûr, j’aurais préféré que tout se passe sans accrocs, mais en même temps je me dis que ces quelques mois de retard n’ont pas été perdus : ils m’ont permis de rencontrer les bonnes personnes, celles qui avaient envie de faire vivre le même film que moi.

Bande annonce d’Ici Najac, à vous la terre (2006) 

Vous en tenez-vous à un mode de fonctionnement immuable ou vous adaptez-vous aux circonstances, film après film ?
La plupart de mes films ne sont pas financés avant que je  commence à tourner, alors forcément, je suis un peu mon propre producteur. Cela me permet de préserver ma liberté et de prendre le temps qu’il me faut pour le tournage. Un mode de fonctionnement, surtout en documentaire, qui n’est possible que grâce au système des intermittents du spectacle. À chaque film, ses joies et ses galères, et mon moral et mes finances balancent entre la vidéo et la vie des bas…

Quels sont vos projets ?
Il y a un an, juste après avoir fini le montage d’Ici Najac, à vous la Terre, j’ai commencé un film consacré à une chanteuse de jazz franco-béninoise, Mina Agossi, dont la voix et la présence scénique sont extraordinaires. Je l’ai filmée en studio pendant l’enregistrement de son dernier album, Well You Needn’t, et aussi en concert. J’ai un pré-accord de la chaîne Arte pour un cinquante-deux minutes et je pars avec elle au Bénin, au mois de juin. Là encore, j’ai commencé à tourner avant d’aller à la pêche au financement. À l’inverse, j’ai un autre projet auquel je pense depuis quelques années et pour lequel je sais que le travail de recherche et d’écriture est essentiel. J’ai eu la chance de rencontrer cet hiver Patrice Claude, journaliste au Monde, qui a accepté de développer ce projet avec moi. Il s’agit de filmer la vie quotidienne d’hommes et de femmes qui s’aiment, qui vivent en couple, qui ont des enfants, alors que leurs peuples respectifs sont, ou ont été, en conflit : Hutus-Tutsis, Palestiniens-Israéliens, Serbes-Bosniaques… Enfin je rêve, et tous mes amis de Najac en rêvent aussi, d’emmener mon voisin Monsieur Sauzeau au Viet-Nam. Il est né là-bas et le fait de quitter son pays en 1954, rapatrié de force par l’armée française à la veille de la défaite de Dien-Bien-Phu, a été pour lui un véritable déchirement. Il va avoir quatre-vingts ans, il a trimé toute sa vie sans jamais se plaindre et j’aimerais lui offrir ce retour au pays de son enfance. Qui sait ? Cela ferait peut-être une très belle séquence de fin pour le dernier volet de ma trilogie najacoise.

Bande annonce de La vie comme elle va (2003)

Qu'attendez-vous de votre présence en sélection officielle au Festival de Cannes ?
Je ressens cette sélection au Festival de Cannes autant comme une reconnaissance envers les personnes qui sont dans le film, ce qu’elles dégagent de simplicité, d’humanité, de citoyenneté, d’authenticité, de sincérité, de générosité, que comme une reconnaissance de mon travail de réalisateur. Ça me fait plaisir aussi de voir que des films comme Ici Najac, à vous la Terre, tournés et produits à l’arraché, avec un petit budget, soient présents dans un grand festival comme Cannes, à côté de grosses productions à plusieurs dizaines de millions d’euros. Bien sûr, j’espère que cette sélection officielle à Cannes donnera un coup de pouce à mes prochains projets, mais une fois en haut des marches je sais  bien qu’il faudra redescendre !

Quel autre métier auriez-vous pu pratiquer si vous n'aviez pas travaillé dans le cinéma ?
Entre onze et quinze ans, pendant les grandes vacances, je gardais six vaches et deux chèvres, et j’avais deux chiennes : Gitane et Fleurette. Je voulais être paysan.
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand
en mai 2006


Bande annonce d’Y’a pire ailleurs (2011)

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