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“Human”... Trop humain ?

Lorsque Yann Arthus-Bertrand se lance dans un film, il faut que le projet soit Bigger than Life et ne ressemble, de près ou de loin, à rien d’autre qui ait été entrepris. Son deuxième long métrage en solo pour le cinéma, Human, est donc unique, mais également multiple, puisqu’il met à la disposition de l’humanité (rien moins) un catalogue déraisonnable de onze montages différents. Au spectateur de choisir qui il a envie de regarder ou d’écouter s’épancher sur la marche du monde, quitte à égrener des lieux communs dignes d’un calendrier des postes. Aux larmes, citoyens ! Sortie mondiale le 12 septembre.



Le postulat de base d’Human est simple sinon élémentaire. Le photographe y alterne en tout et pour tout deux échelles de plans. D’abord, des vues aériennes de sites indéterminés, parfois peuplés de foules grouillantes qui regardent vers le ciel et esquissent des mouvements de bras désespérés, comme pour lui demander d’atterrir afin de se mettre à leur hauteur. Vœu pieux. Pour Yann Arthus-Bertrand, la terre ne se regarde que du ciel. C’est même son fond de commerce. Ces paysages aériens servent de transitions à des plans serrés cadrant des gens de tous les continents qui expriment leur conception de l’amour, de la haine, de la vie et de la mort, en s’appuyant sur leur expérience intime. Hormis le président uruguayen, un mineur condamné à la prison à perpétuité, le fils du commanditaire des attentats du 11 septembre et quelques autres, on ignore pour la plupart d’où ils viennent et qui ils sont. Qu’importe ! Cette logorrhée verbale a la spontanéité et le “bon sens près de chez vous” d’une conversation de bistro. Grosso modo, on y apprend que la guerre, c’est mal, qu’on est tous frères et qu’on peut vivre heureux sans bras ni jambes… dixit un monsieur dont on ne voit que le visage dans un abus de politiquement correct.
Comme l’avoue lui-même innocemment Yann Arthus-Bertrand, qui ne peut s'empêcher de se glisser dans la salle à la fin de la projection de presse, au moment où défile le générique de fin accompagné de quelques ultimes témoignages (il n’y manque que le bêtisier) : « C’est addictif, hein ! » Nul doute qu’Human soit né d’une idée généreuse : donner la parole à ceux qui ne la prendraient jamais d’eux-mêmes. Reste que la qualité ne naît pas de la quantité et que le fait même que le réalisateur veuille en montrer le plus possible témoigne paradoxalement de son indécision chronique et de son absence criante de regard. Ce qu’il flatte en premier lieu, c’est notre fascination collective pour les réseaux sociaux et ce leurre inhérent à Internet qui met à égalité la parole de tous, plutôt que de privilégier celle d’une élite ou d’une corporation, comme il est de règle. Essai de démocratisation illusoire et de narcissisme satisfait qui s’inscrit dans le sillage d’une autre vogue récente : le Selfie. Quand on exprime à peu près toutes les opinions, il arrive fatalement un moment où quelqu’un énonce la vôtre. C’est parti pour l’empathie. Les larmes qu’on voit couler à l’écran témoignent pourtant d’une indécence étudiée.

Bande annonce de Human (2015)

Human se regarde comme un miroir devant lequel on passerait trois heures onze minutes (dans la version cinéma) à se prendre pour la méchante reine de Blanche-Neige, en se demandant si l’on est bien le plus beau et surtout le plus intelligent. Habile commerçant et lobbyiste avisé, Arthus-Bertrand n’a plus qu’à solliciter ses relations bien placées et à laisser agir la puissance de feu de ses mécènes : les fondations à but non lucratif Bettencourt-Schueller et Good Planet qui s’offrent là une bonne conscience, pour un investissement dérisoire, au vu de l’exposition mondiale dont va bénéficier le projet, de la Mostra de Venise à l’ONU, en passant par France Télévisions et Google, selon un plan marketing soigneusement étudié et un merchandising de circonstance.
En 2009, grâce au soutien du groupe PPR, Home avait été diffusé gratuitement en six langues sur le Web à l’occasion de la Journée mondiale de l’environnement. Arthus-Bertrand nous y mettait en garde contre les dangers qui menaçaient notre planète à grands renforts d’images choc assorties d’un commentaire édifiant. Il s’était trouvé alors confronté à un intrus : Nicolas Ushuaïa Hulot, qui y était allé simultanément de sa mise en garde contre le réchauffement de la planète avec Le syndrome du Titanic, en étayant parfois sa thèse d’images rigoureusement identiques, d’après son livre homonyme. À l’approche de la conférence mondiale Cop 21 sur les changements climatiques qui se tiendra à Paris du 30 novembre au 11 décembre, il semblerait que Yann Arthus-Bertrand ait cette fois terrassé médiatiquement son rival, en le laissant… chaos debout. Reste que Human relève de la philosophie pour les nuls, mais en aucun cas du cinéma citoyen auquel il aimerait appartenir. Les bons sentiments ne suffisent pas à donner un supplément d’âme à la tempête sous un crâne qui agite ces trognes, ces tronches et ces trombines si joliment éclairées qu’elles paraissent parfois furieusement pittoresques.

Jean-Philippe Guerand


Bande annonce de Home (2009)


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