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Greg McLean : Panique aux antipodes

Greg McLean © DR

L’Australie s’est forgée une solide réputation dans le registre du cinéma fantastique gore. Réalisateur et producteur de films industriels, de spots, de clips et de deux courts métrages remarqués, Plead (1996) et ICQ (2001), Greg McLean signe avec Wolf Creek (2005) un premier long en forme de voyage au bout de l’horreur… qui décrit la descente aux enfers d’un trio de randonneurs victimes d’un tueur en série au fin fond de l’Outback, cette vaste étendue désertique qui a déjà été le théâtre de tant de turpitudes à l’écran. Après ce brillant film de genre présenté à Sundance et à la Quinzaine des réalisateurs, à Cannes, il a réuni Michael Vartan (le fils de Sylvie) et Radha Mitchell dans Solitaire (2007), une histoire de crocodile mangeur d’hommes, puis a succombé à la tentation de signer… Wolf Creek 2 (2013). Il a tourné récemment deux films annoncés pour 2016 : The Belko Experiment et 6 Miranda Drive.


Qu’en est-il de l’authenticité des événements décrits dans Wolf Creek ?
Greg McLean J’ai d’abord écrit un premier scénario il y a cinq ou six ans. Au tout début, c’était l’histoire de douze personnes dans un autobus et on les voyait disparaître un à un. Puis, j’ai réduit le nombre de victimes à trois, ce qui m’a permis d’épurer mon script et de le story-boarder avec une grande précision. Par la suite, j’ai eu vent de deux faits divers particulièrement atroces qui m’ont incité à remanier l’histoire en l’ancrant davantage dans la réalité. Wolf Creek est en fait basé sur deux cas distincts mais authentiques : celui d’Ivan Milat, un tueur en série qui ramassait des auto-stoppeurs sur une nationale déserte avant de les dépouiller et de leur faire subir des sévices monstrueux, et celui de Bradley Murdoch, un pirate de la route qui s’en est pris à deux touristes britanniques en tuant l’homme et en essayant d’abuser la femme qui a réussi à s’échapper et à le dénoncer. Dans la réalité, ces meurtriers ont été arrêtés très longtemps après leurs crimes, ce qui montre à quel point ce pays étendu est propice à toutes les folies.

Comment expliquez-vous cette tradition du cinéma d’horreur qui existe en Australie ?
C’est un peu comme si nous jouions avec notre propre mythologie. Dans notre inconscient collectif, cette sauvagerie naturelle est devenue une source d’inspiration très féconde. Le fait est que la moitié du territoire australien est désertique. Il n’est donc pas étonnant que des gens s’y perdent et que s’y déroulent des événements contre nature [rires]. Dès lors, cette région étrange ne peut qu’attirer les cinéastes et les écrivains en quête de grandes émotions. Un espace aussi désert est propice à la projection de tous les fantasmes, à commencer par l’idée d’hommes restés à l’état primitif voire carrément de monstres. Personne ne s’étonnerait d’y rencontrer des dragons !

 Comment avez-vous repéré les lieux où se déroule le film ?
J’ai passé deux ou trois semaines à sillonner cette région en voiture avec quelqu’un qui en était originaire. Personnellement, c’était la première fois que j’y mettais les pieds, mais j’ai été immédiatement séduit par ces paysages volcaniques incroyables. Avant de devenir réalisateur, j’ai travaillé comme dessinateur et j’ai été particulièrement sensible à la diversité de lumières et de couleurs qu’on rencontre dans cette région.

Bande annonce de Wolf Creek (2005)

Pourquoi refusez-vous d’expliquer quoi que ce soit ?
Dans ce film, le mal n’a rien d’irrationnel. C’est sa banalité même qui est terrifiante car elle émane d’un type a priori comme vous et moi… [rires]. Ce méchant est d’ailleurs inspiré en partie du personnage réel qui a inspiré Crocodile Dundee. D’où la structure du film qui s’articule sur le point de vue des protagonistes et qui repose sur la révélation progressive d’une réalité difficilement imaginable. La lenteur du rythme du début est volontaire car elle est là pour endormir la méfiance, un peu comme dans Alien, le film qui m’a donné envie de faire du cinéma. Et puis, soudain, comme dans la vie, tout bascule brusquement dans l’horreur absolue… Mais notre but n’est pas de plaquer une explication rationnelle sur des événements qui ne le sont pas, car rien ne peut justifier ces crimes. À un moment, on sort de la réalité pour entrer dans un autre monde affranchi de toutes règles. Mais quand on grandit loin de tout et qu’on devient adulte, tout est possible… y compris de revenir à une sorte d’état sauvage et à une certaine barbarie. Dans le film, le tueur n’existe que parce qu’il trouve des victimes et il ne se pose pas la moindre question sur la normalité de son comportement. Je ne porte moi-même aucun point de vue moral sur ces événements. Sinon j’aurais utilisé des retours en arrière afin de justifier les motivations du tueur. Je préfère que le spectateur s’en charge à ma place… du moins s’il en ressent le besoin, ce dont je doute. Qu’importe la cause, ce qui m’intéresse, ce sont les conséquences.

Croyez-vous que l’Australie soit un pays particulièrement violent ?
Pas du tout. Il me semble simplement que la meilleure et la pire des choses concernant l’Australie résident dans sa situation géographique extrême et la nature endémique de sa population constituée d’immigrants venus à la fois d’Europe et des États-Unis. Mais paradoxalement, c’est cette mixité qui nous permet de résister à l’impérialisme américain, comme l’a démontré récemment Peter Jackson en prouvant qu’il était capable de rivaliser avec Hollywood tout en restant en Nouvelle-Zélande et même de développer une industrie dans ce pays.

Beaucoup de vos compatriotes ont émigré aux États-Unis, de Peter Weir à George Miller en passant par Baz Luhrmann avec qui vous avez travaillé. Seriez-vous prêt à les suivre si l’on vous y invitait ?
On m’a déjà fait des propositions dans ce sens, mais je tiens trop à mon indépendance pour me laisser dicter ma façon de filmer. En revanche, si l’on me laisse libre d’exprimer mon identité de cinéaste, pourquoi pas !
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand

en mai 2006


Bande annonce de Wolf Creek 2 (2013)

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