Gérard Lanvin dans 96 heures de Frédéric Schoendoerffer
© ARP Sélection
En proie à
la flamme amoureuse dévorante d’une jeune femme incarnée par Charlotte
Gainsbourg, dans Passionnément (2000), le
troisième film de l’ex-chef opérateur Bruno Nuytten, un mélodrame bouleversant
tourné sous le soleil de l’île de Porquerolles, Gérard
Lanvin a acquis peu à
peu l’autorité et la puissance de son modèle, Lino Ventura, sans jamais succomber aux
sirènes du parisianisme ni à la frénésie de la médiatisation à outrance. Né en 1950, ce comédien “à l’ancienne” réputé pour ses coups de gueule et son franc-parler a débuté au café-théâtre avant de s’imposer avec des films tels qu’Une semaine de vacances de Bertrand Tavernier et Extérieur nuit (1980) de Jacques Bral, Une étrange affaire (1981) de Pierre Granier-Deferre, Marche à l’ombre (1984) de Michel Blanc, Les spécialistes (1985) de Patrice Leconte, Mes meilleurs copains (1989) de Jean-Marie Poiré, Le fils préféré (1994) de Nicole Garcia, qui lui vaut le César du meilleur acteur, Mon homme (1996) de Bertrand Blier, Le goût des autres (2000) d’Agnès Jaoui, pour lequel il obtient le César du meilleur second rôle masculin, Les enfants (2005) de Christian Vincent, Camping (2006) de Fabien Onteniente, L'ennemi public n°1 (2008) de Jean-François Richet, Les Lyonnais (2009) d’Olivier Marchal, Le fils à Jo (2011) de Philippe Guillard, 96 heures (2014) de Frédéric Schoendoerffer et La grande cuisine (2016) de Florent-Emilio Siri.
Dans Passionnément,
vous incarnez un homme amoureux. Qu’est-ce qui vous a donné envie de tourner ce
film ?
Gérard Lanvin
Travailler avec Bruno [Nuytten] m’intéressait
beaucoup car, étant un grand chef opérateur, il a, par rapport aux acteurs, une
vraie intention de les proposer à l’écran. Et puis, il y avait Charlotte [Gainsbourg] que j’avais déjà croisée
dans Anna Oz d’Eric Rochant et qui a
eu un enfant. Or c’était la première fois qu’elle jouait avec cette vibration
particulière d’une maman, d’une femme un peu plus confirmée. Enfin j’avais envie
de traiter ce problème de déraison amoureuse parce que c’est une obsession qu’on
subit et qu’on ne choisit pas. Cette femme jusqu’au-boutiste a vécu un amour
absolu à l’âge de quatorze ou quinze ans avec un homme beaucoup plus âgé et ne
s’en est pas remise. Ce qui n’arrange pas l’homme que j’incarne qui a fui cet
amour absolu et revient sans plus de respect pour rien. Comme toutes les
histoires passionnelles complexes qui touchent à la maladie, ça ne peut déboucher
que sur le crime ou sur le suicide. Or c’est ce qui m’intéressait dans ce
sujet.
Passionnément relève du mélodrame.
Comment avez-vous abordé ce genre ?
Bruno
Nuytten est un introverti, quelqu’un d’extrêmement sensible et donc il fallait émouvoir
tel que lui l’avait envisagé lorsqu’il écrivait ce film. Pour moi, le pari de Passionnément n’était pas de faire des
entrées, c’était de contenter un metteur en scène particulièrement exigeant en
allant au maximum de mes possibilités. Le vrai comportement d’un acteur, c’est
de faire confiance. Quitte ensuite à être surpris par le résultat ou pas.
Êtes-vous sensible au
regard que les metteurs en scène portent sur vous ?
Bruno
Nuytten, comme Nicole Garcia et Agnès Jaoui, est quelqu’un qui ne loupe rien,
donc vous êtes nécessairement satisfait de l’image qu’il donne de vous à l’écran
car il a perçu votre travail d’acteur avec exactitude et qu’on ne voit plus le
superflu pour lequel souvent on sue [rires].
Bande annonce de Passionnément de Bruno Nuytten (2000)
Quelle est la rencontre professionnelle
qui vous a le plus marqué ?
J’ai
appris avec tous les metteurs en scène, même s’ils n’étaient pas là pour ça
mais pour que je leur donne quelque chose. Le seul à qui je peux dire merci, c’est
Jacques Bral, parce qu’il m’a fait confiance sans m’avoir vu nulle part et m’a
permis de jouer avec Christine Boisson et André Dussollier dans Extérieur nuit. Tout est arrivé grâce à
lui.
On a eu le sentiment
de vous redécouvrir avec Le goût des
autres…
Ce
qu’il faut préciser, c’est que Passionnément
a été tourné en 1998, c’est-à-dire deux ans avant sa sortie. Mais, en fait, le succès ou l’échec ne changent
pas grand-chose. On a la possibilité ou pas d’inspirer des auteurs et des
metteurs en scène. Alors ça semble peut-être plus évident aujourd’hui parce qu’une
certaine maturité a dû arriver, mais je ne la contrôle pas. Ce que j’apprécie
chez le public français, c’est sa fidélité : s’il vous aime bien, c’est
pour toujours. À nous de le respecter !
Seriez-vous prêt à
tourner davantage de films, si l’on vous proposait des rôles plus intéressants ?
Non.
Je n’ai pas l’aptitude à faire beaucoup de films. Deux par an, c’est un
maximum. Je ne peux pas supporter l’attente extrêmement longue que suppose un
tournage pour un acteur : trois mois durant, il faut rester concentré en
permanence et demeurer disponible à la moindre improvisation, au moindre désir
particulier du metteur en scène. Mais je ne peux pas vivre dans cet état
pendant un an. Pour moi, c’est la rareté qui fait le prix des choses. En dehors
de ça, j’ai une vie de famille qui m’est indispensable et qui me permet d’être
patient.
Pourquoi vivez-vous en
province, loin du monde du spectacle ?
J’ai
profité de la chance que j’ai eue. Et puis, il y a apparemment moins de gens
qui aiment la campagne ou la mer que de gens qui s’angoissent quand ils ne sont
pas au Fouquet’s ou dans les bureaux de production. Il faut admettre ce qui
arrive, dans le bonheur comme dans la douleur. Ce qui est marrant, c’est que
quand on tournait Le goût des autres,
avec Jean-Pierre Bacri et Alain Chabat, on allait parfois ensemble au restaurant et il nous
arrivait de croiser des mômes de douze ou quinze ans qui avaient vu Didier et qui les reconnaissaient. Alors
ils leur demandaient des autographes. Mais quand arrivait mon tour, c’est pour
leur mère qu’ils sollicitaient une signature [rires].
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand
en mai 2000
Bande annonce d’Extérieur nuit de Jacques Bral (1980)
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