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Errol Morris : L’empêcheur de penser en rond


Errol Morris © DR

Né en 1948, Errol Morris est un documentariste réputé qui a notamment signé Gates of Heaven (1978), Vernon, Florida (1981), Le dossier Adams, présenté à Deauville en 1989, Une brève histoire du temps (1992), d’après le best-seller de Stephen Hawking, Prix du meilleur réalisateur et Grand Prix du jury à Sundance, et Mr. Death (1999). Il a décidé de consacrer à l'ex-secrétaire à la Défense Robert McNamara une émission de sa série First Person (2000-2001), avant d'en faire le personnage principal de The Fog of War (2003), couronné de l’Oscar du meilleur documentaire. Morris a également fait une incursion dans la fiction avec Le vent sombre (1991). On lui doit de nombreuses productions télévisées, ainsi que des films comme Standard Operating Procedure (2008), Grand Prix du jury à Berlin, Tabloid (2010) et The Unknown Known (2013).


Dans quelles conditions The Fog of War a-t-il été réalisé ?
Errol Morris J’avais participé aux manifestations contre la guerre du Vietnam, quand j’étais étudiant à l’université du Wisconsin, il y a des années. J’avais envie de consacrer un film à Robert McNamara, depuis la publication de son livre La tragédie et les leçons du Vietnam, en 1995. Début 2002, je lui ai proposé de venir à Cambridge, dans le Massachusetts, afin d’y participer à un entretien qui s’est en fait transformé en une série d’interviews d’une durée totale de plus de trente heures. On a abordé des sujets aussi variés que la poésie, les dommages collatéraux, les crimes de guerre, la dissuasion nucléaire, les ceintures de sécurité et Reinhold Niebuhr. Le film ne représente qu’une infime fraction de ces conversations, dont j’espère pouvoir donner un plus large aperçu sous la forme d’un livre et d’un DVD dans les prochains mois. Les droits mondiaux du film ont été acquis au tout début de la production par Tom Bernard et Michael Barker de Sony. Par ailleurs, j’ai bénéficié du soutien de Robert May de la société Senart Films et John Kamen de Radical Media. Dans la mesure où l’histoire de McNamara couvre une bonne partie du vingtième siècle, nous disposions évidemment d’une quantité considérable de documents d’archive. C’est à la fois une bonne et une mauvaise chose. Le problème consistait à trouver des images qui n’avaient pas été montrées auparavant, qui ne soient pas les “mêmes stock-shots”, qui ne poursuivent pas une fois de plus les “éternelles vieilles lunes” sur le plan historique et qui soulèvent de “nouvelles questions”. Comme je l’ai fait par le passé, j’ai donc utilisé un mélange d’archives et d’images expressionnistes que j’ai tournées moi-même dans le but de raconter cette histoire.

Quelle est la plus grande difficulté que vous ayez rencontrée au cours de la production de ce film ?
Robert McNamara est un personnage public très connu. Beaucoup de gens qui ont vécu à l’époque de la guerre du Vietnam possèdent de très fortes convictions le concernant et à propos des motivations qui l’ont incité à agir comme il l’a fait. Le film, qui fait un usage abondant d’enregistrements du bureau ovale de la Maison Blanche déclassifiés récemment, raconte une histoire de McNamara qui s’avère assez différente de celle que ressassait la documentation mise à notre disposition jusqu’à présent. Il était très important pour moi de pouvoir montrer ce film à une génération plus jeune qui n’a pas connu la guerre du Vietnam et ne nourrit pas le moindre préjugé à propos de Robert McNamara. Simplement pour voir comment ils réagiraient. Pour que le film fonctionne, J’étais fermement persuadé qu’il fallait parvenir à séduire une nouvelle génération, au même titre que les plus anciennes.


Bande annonce de The Fog of War (2003)

Quelle conception vous faites-vous de votre double rôle de producteur et de réalisateur ?
Si j’étais capable d’isoler la caractéristique principale de chaque chose, j’insisterais sur le mot “désespoir”. J’aime à penser que mon travail irradie cette qualité.

Quelle est l’étape de la fabrication d’un film que vous préférez ?
J’aime autant que je redoute la post-production, parce que c’est à ce moment là que l’alchimie prend ou pas.

En quoi trouvez-vous que votre film ait sa place dans un festival comme Cannes ?
Cannes est le festival européen le plus important. Je pense que The Fog of War est un film important à ce moment précis de notre histoire et je suis enchanté que sa première internationale se déroule en Europe, en France et à Cannes.

Quels sont vos projets ?
Tourner davantage de documentaires et plus de fictions, à commencer par une énième tentative de voir aboutir un vieux projet de film consacré à… un chien jugé pour meurtre.
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand
en mai 2003



Bande annonce de The Unknown Known (2013)

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