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Emmanuel Mouret : L'orfèvre des sentiments

Emmanuel Mouret (avec Fanny Valette) dans Changement d’adresse (2006) © DR

Né en 1970, Emmanuel Mouret a construit une œuvre cohérente qui emprunte autant aux chassés croisés amoureux du théâtre de Georges Feydeau et Sacha Guitry qu’à la “Screwball Comedy” telles que l’incarnèrent Billy Wilder, Leo McCarey, Blake Edwards, mais aussi Marcel Pagnol et François Truffaut. On doit notamment à ce styliste des sentiments Promène-toi donc tout nu ! (1999), Laissons Lucie faire ! (2000), Vénus et Fleur (2004), Fais-moi plaisir ! (2009), L’art d’aimer (2011), Une autre vie (2013) et Caprice (2015). Avec son cinquième long métrage, Un baiser, s’il vous plaît (2007), l’auteur de Changement d’adresse (2006) se met lui-même en scène face à Virginie Ledoyen dans une mise en abyme introduite par le couple Julie Gayet-Michaël Cohen. Rencontre avec un réalisateur de comédie qui apprécie l’élégance, tout en faisant rimer le plus souvent humour avec amour.


Avez-vous l’impression d’avoir franchi un nouveau cap avec Un baiser, s’il vous plaît ?
Emmanuel Mouret Si passer un cap, c’est prendre plus de plaisir à ce qu’on fait, c’est évident. Ce film s’est fait assez facilement. J’avais d’ailleurs fini de l’écrire avant le tournage de Changement d’adresse. Peut-être parce qu’avec le temps, je me sens de mieux en mieux dans ce métier. À la fois grâce à l’équipe avec laquelle je travaille et aux comédiens. On accorde beaucoup de mérite au réalisateur, mais les acteurs apportent énormément.

Que vous ont-ils apporté ?
J’ai eu la chance que le projet plaise à des comédiens qui ont des natures et des couleurs qui se complètent, tout en étant assez différent. Je pense que la présence de Virginie Ledoyen a apporté plus de densité au film, de même que l’élégance et le charme de Julie Gayet et Michaël Cohen.

Avez-vous écrit avec des interprètes en tête ?
Non, quand j’écris, justement, j’essaie de me détacher des idées trop précises. J’ai de vagues impressions, parce que je sais que la distribution des rôles constitue aussi un moment d’écriture. C’est comme si on avait un coloriage et qu’on cherchait des couleurs qui vont ensemble, mais pour que chacune d’entre elles apparaisse, il faut qu’elles contrastent. Matisse dit qu’aucune couleur n’est belle ou laide en soi, mais que c’est leur juxtaposition qui est déterminante. Or, la magie d’un casting, c’est parfois d’associer des couleurs qui existent à la fois par elles-mêmes et par rapport aux autres.

Avez-vous beaucoup répété avec les acteurs avant le tournage proprement dit ?
Je procède toujours à des lectures que je filme afin de prendre une certaine distance et de voir comment ça marche. Même si je suis très enthousiaste je me donne toujours du temps pour décider.

Qu’est-ce qui vous a décidé à tenir le rôle principal d’Un baiser, s’il vous plaît ?
En écrivant, je me projetais déjà dans ce rôle. Sur Changement d’adresse, j’avais déjà pris pas mal de plaisir à jouer, mais il est vrai que j’ai commencé dans mes courts métrages. Au début, c’était par admiration pour des auteurs réalisateurs acteurs comme Keaton, Tati, Guitry, Jerry Lewis ou Woody Allen. Très naïvement, j’essaie de faire comme eux. Grâce au bon accueil reçu par Changement d’adresse, on peut dire que ma présence faisait plaisir à mes partenaires et que ça ne leur faisait pas peur. Jouer dans cette histoire me permettait en outre d’établir un autre rapport avec le spectateur pour que le film ait un ton plus personnel et peut-être aussi une petite pointe d’ironie.

Bande annonce d’Un baiser, s’il vous plaît (2007)

Pourquoi accordez-vous autant d’importance aux dialogues ?
Les dialogues qu’on entend dans le film figurent tels quels dans le scénario. Sans faire pompeux, qui dit dialogue dit aussi dialectique. Ça veut dire qu’il y a des échanges d’idées, donc le suspens est contenu dans les dialogues et on ne peut pas trop les modifier. Ce sont tous ces détours et ces attentes qui sont créés par les dialogues et ceux-ci sont aussi là pour susciter, exciter ou amuser l’imagination du spectateur.

Vous n’avez pas la tentation d‘écrire pour le théâtre ?
Je ne connais pas très bien le monde du théâtre, sinon pour avoir lu les classiques, avoir fréquenté un cours d’art dramatique et avoir étudié les films que j’aime, à commencer par les comédies américaines des années trente aux années soixante dont beaucoup des auteurs venaient du théâtre ou adaptaient des pièces. Historiquement, il est vrai qu’il existe un lien très fort entre le cinéma et le théâtre, mais je ne sais pas comment on fait un gros plan au théâtre, comment on filme une caresse et de quelle manière on traduit cette notion d’érotisme à la scène. Mais on me l’a proposé et ça figure parmi mes projets, car beaucoup de cinéastes que j’admire en viennent, de Pagnol à Guitry, et que parcourir le chemin inverse me semblerait aussi très excitant. Mais si je m’attelais au théâtre, ce ne serait pas pour me contenter d’une simple retranscription

Vos films évoquent aussi le cinéma d’Eric Rohmer… Assumez-vous cette référence ?
Je connais très bien le cinéma de Rohmer que j’aime beaucoup, mais c’est peut-être pour cela que j’en perçois toutes les différences. Autant il y a des points communs, comme ce jeu autour du désir et des sentiments, et ces personnages qui essaient de raisonner autour de ce qu’ils ressentent, mais la facture est néanmoins très différente. Rohmer n’a pas de goût pour le gag en lui-même et il n’accorde pas la même importance que moi à la musique.

Au bout de ces quatre films, qu’avez-vous l’impression d’avoir appris ?
Il y a chaque fois un pari différent. Quand on commence un film, on se lance à l’aventure. Pour moi, on ne peut pas imaginer un film. Personne ne peut fermer les yeux et imaginer ce qui va défiler sur l’écran pendant une heure et demie. Aucun écrivain ne peut imaginer son roman du début à la fin. C’est absurde. On a des intentions et des envies. Au départ, quand j’ai écrit cette histoire, je me suis fait peur, mais ce qui fait peur, c’est aussi ce qui peut intéresser. J’ai entendu dans une émission un peintre à qui l’on demandait si la censure lui faisait peur et qui répondait qu’il craignait davantage l’auto-censure. En fait, c’est souvent quand on est au bord du ridicule qu’il y a quelque chose d’intéressant. C’est pourquoi le cinéma ressemble au cirque, qu’on marche sur un fil et que c’est à ça que le public est sensible.

Pourquoi vos décors sont-ils de plus en plus stylisés ?
Mon souci est de faire une comédie qui soit belle. Alors même si cet adjectif est un peu galvaudé, je suis assez sensible à la forme finale du film et j’aime bien qu’on puisse être complètement pris par le sujet, mais comme dans une récréation où il n’y a rien d’autre qui parasite. Donc, pour cela, il faut faire attention au décor, car c’est la première chose qu’on voit avec le visage des comédiens et les costumes. Donc épurer le décor, c’est aussi se rapprocher d’un visage ou d’une silhouette. Je crois aussi que le cinéma doit être plus qu’une captation et qu’il doit aussi créer des sortes d’images mentales. En stylisant, on suggère plus de choses. C’est comme si on laissait de la place à l’imagination du spectateur.

Bande annonce de Fais-moi plaisir ! (2009)

Par votre style et votre goût pour la musique, on a l’impression que vous tournez de plus en plus autour d’un genre, la comédie musicale…
En fait, je suis davantage tenté par le mélodrame. Billy Wilder disait qu’« une comédie est un mélodrame qui finit bien ». À dire vrai, je n’ai pas de projet de comédie musicale, même si c’est un genre que j’aime énormément. En même temps, la plastique et la civilisation de nombreuses comédies musicales me plaisent beaucoup… même si celles qui m’inspirent le plus sont celles qui ne chantent pas [rires] !

Quels sont vos projets ?
J’ai trois projets, dont un plutôt burlesque et un qui est nettement plus dramatique que les autres, même si je n’aime pas beaucoup ce mot. J’en suis au stade du casting et j’espère pouvoir tourner au printemps. Mon ambition serait de pouvoir tourner un film par an, comme certains réalisateurs. J’ai d’ailleurs plusieurs projets dans mes tiroirs. La rédaction d’un scénario peut être assez rapide, un mois ou deux, mais je passe beaucoup de temps à réfléchir à la façon dont l’ensemble va s’articuler. Pour moi, un script, c’est avant tout une composition, une structure, donc c’est là-dessus qu’on passe du temps, ce qui ne se fait pas forcément à la table.


Vers quoi voulez-vous aller aujourd’hui ?
Il y a trois choses qui constituent mon goût du cinéma : le burlesque, la comédie plutôt américaine façon Lubitsch, Billy Wilder Leo McCarey ou Blake Edwards, et le mélodrame à la manière de Douglas Sirk, John Stahl ou, là encore, Leo McCarey. En France, ma référence la plus forte, qui n’est pas nécessairement la plus connue du public, c’est Jacques Becker. C’est un grand cinéaste qui me hante au même titre que Sacha Guitry, Jean Renoir, Marcel Pagnol ou François Truffaut. Autant comme auteur de mélodrames avec Casque d’or, qu’en tant qu’auteur de comédies telles que Rue de l’Estrapade, Antoine et Antoinette, Edouard et Caroline ou Rendez-vous de juillet. Ce sont des sommets d’élégance incroyables.

Y’a-t-il des comédiens avec qui vous ayez particulièrement envie de tourner ?
J’ai déjà envie de tourner à nouveau avec tous les comédiens d’Un baiser, s’il vous plaît. Pour le reste, je ne tiens pas à citer d’autres noms en particulier.

Vous n’avez pas envie de travailler sur des adaptations littéraires ?
Non, mais je suis tenté par des remakes de films américains des années trente et quarante, parfois pas connus du tout. J’ignore toutefois comment se règlent les problèmes de droits. Contrairement à ce qu’on pense, ces films-là représentaient autant la société de leur époque que des œuvres considérées comme plus engagées sur le plan social parce qu’elles représentaient les classes populaires. C’est comme si l’on disait que Gauguin Ingres ou Picasso étaient détachés de leur temps. Ce n’est pas du tout mon avis.
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand

en décembre 2007


Bande annonce de Caprice (2015)

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