Accéder au contenu principal

Daniel Leconte : Il est Charlie

Daniel Leconte © DR

Né en 1939, Daniel Leconte a été journaliste et grand reporter dans la presse écrite et audiovisuelle avant de se tourner vers la production et la réalisation, pour la télévision et parfois pour le cinéma. Il a signé des documentaires tels que C’est dur d’être aimé par des cons (2008) et Le bal des menteurs (2011), nommés l’un et l’autre au César, puis L’humour à mort (2015), qu’il a réalisé avec son fils Emmanuel, suite à l’attentat terroriste perpétré contre la rédaction de Charlie Hebdo le 7 janvier 2015. Il a par ailleurs initié d’autres projets tout aussi ambitieux dont Le mystère des jumeaux (2009) de Nils Tavernier et plusieurs volets des collections télévisées géopolitiques I Love Democracy et L’enfance d’un chef. Impliqué dans des sujets engagés à travers sa société Doc en Stock, Leconte a également produit des fictions comme Princesse Marie (2004) de Benoît Jacquot, La ravisseuse (2005) d’Antoine Santana, Monsieur Max (2007) de Gabriel Aghion et Carlos (2010) d’Olivier Assayas, qui s’est vu couronné d’un Golden Globe, 


Dans quelles conditions a été tourné C’est dur d’être aimé par des cons ?
Daniel Leconte Précaires…Quand j’ai eu l’idée de ce film, personne n’a voulu se joindre à moi. J’ai donc décidé d’y aller seul, avec les moyens du bord…Heureusement je suis par ailleurs producteur. J’ai donc pu avancer le minimum nécessaire  pour “mettre en boîte” le début du film. J’ai bénéficié aussi d’un enthousiasme “militant” des jeunes équipes de Doc en Stock qui ont tout de suite adhéré au projet. Nous avons tourné en DV les séquences autour de Charlie Hebdo dans les semaines précédant le procès. Au moment du procès, nous avons ainsi assuré les tournages. Par deux fois, nous avons sollicité l’aide de la Région Ile de France. Et par deux fois, nous avons essuyé un refus. Compte tenu de l’impact du procès dans les médias, la suite a été un peu moins difficile. Nous avons rapidement obtenu la participation de Canal Cinéma. Fabienne Vonier et Pyramide, le distributeur, ont ressenti un coup de cœur pour le film. Nous avons alors décidé de tourner les séquences qui nous manquaient, c’est à dire les séquences les plus importantes : la reconstitution du procès. Du coup, cette sélection officielle à Cannes est un cadeau du ciel. Elle relève du miracle, comme le film lui-même. Nous revenons de loin. Il s’en est fallu de très peu pour que ce film n’existe jamais.

Quelle est la difficulté principale que vous ayez rencontrée au cours de cette aventure ?
L’indifférence voire même la méfiance. Une des chaînes à qui j’ai proposé ce projet m’a même répondu : « Vous feriez mieux de nous proposer un film sur l’islamophobie. »

Si c’était à refaire, que changeriez-vous éventuellement ?
Je ne changerais rien puisqu’au final ça a marché. Je me réjouis seulement qu’en tant que producteur, je bénéficie d’une petite capacité de réaction autonome. C’est cette capacité qui a rendu possible ce film. Sinon, il n’aurait pas vu le jour. Cela fait près de dix ans que j’essaie d’attirer l’attention sur  ce sujet qui mine le “vivre ensemble” dans nos démocraties  Et dix ans que j’essuie des refus polis ou pas en tous cas, embarrassés. Je ne serais donc jamais assez reconnaissant  envers ceux qui m’ont aidé à aller au bout. Et au Festival de Cannes qui couronne cette démarche. 

Bande annonce de C’est dur d’être aimé par des cons (2008)

Comment assumez-vous votre double casquette de réalisateur et de producteur ?
Chez moi, les démarches du producteur et du réalisateur sont assez intimement liées. Dans le cas précis de ce film, c’est même complètement fusionnel. En tant que réalisateur, je ne peux plus maintenant m’empêcher de penser aussi production. Je considère que c’est un plus. Mais quand je suis producteur et producteur seulement, mon histoire professionnelle m’attire naturellement à partager les doutes et les choix du réalisateur, peut être un peu plus que les producteurs classiques. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a chez moi une forte “empathie” avec tous les films que je produis. Je crois que j’aurais du mal à produire des films que j’aurais refusé de faire en tant que réalisateur. Réalisateur ou producteur, la conception que je me fais de ces deux métiers, c’est de raconter des histoires fortes que je porte ou que je pourrais porter en moi. Que je les réalise ou pas n’a, au fond, aucune importance si ces histoires existent au final. Journaliste à l’origine, je ne vous surprendrai pas si je vous dis que les histoires qui m’intéressent le plus sont celles qui racontent le monde passé ou actuel, celles qui en révèlent les dessous et disent une vérité complexe. J’aimerais bien être capable d’entraîner les gens dans des histoires qui les déconcertent pour qu’ils en sortent  troublés. Je déteste les films “tracts” ou convenus, ce qui n’est pas loin d’être la même chose à mes yeux.

Vous en tenez-vous à un mode de fonctionnement immuable ou préférez-vous vous adapter aux circonstances ?
Je préfère m’adapter plutôt que d’imposer un fonctionnement immuable. Je garde de mon ancien métier de grand reporter, je crois, de réagir vite aux circonstances, un goût certain pour l’improvisation.

Quel est le stade de la fabrication d’un film qui vous tient le plus à cœur ?
Ce moment rare où l’on imagine le film, on le construit dans sa tête. Et puis aussi ce moment du tournage où l’aventure individuelle devient une aventure collective. Je ne connais pas de plus grand bonheur que ce moment où les équipes s’approprient l’histoire que vous avez imaginé ou que votre réalisateur a imaginé. C’est le moment où elle vous échappe et où elle devient autre chose. J’aime bien cette phase de transformation.

Bande annonce du bal des menteurs (2011)

Parvenez-vous à vous situer par rapport à la tradition française du documentaire de création et engagé ?
Je ne voudrais pas paraître immodeste en vous disant que ce n’est pas une question que je me pose. La question que je me pose comme producteur, autant que comme réalisateur d’ailleurs, c’est comment faire exister mon univers. C’est d’ailleurs la même question que se pose le romancier. C’est difficile. D’un autre côté, je ne voudrais pas vous paraître trop modeste en vous disant que j’ai trop peu fait de choses, en tout cas au cinéma, pour prétendre m’inscrire dans une tradition. Disons qu’on attendra la suite avant de répondre à cette question.

Quels sont vos projets ?
Un film en préparation pour la télévision et le cinéma avec Olivier Assayas [“Carlos”]. Une fiction télé écrite par Jean Claude Grumberg. Et en projet deux films historiques auxquels je tiens beaucoup. J’ai par ailleurs de nombreux projets documentaires en préparation. Un docu-fiction avec Nils Tavernier [“Le mystère des jumeaux”]. Et un film en finition que j’ai réalisé avec Anne-Elizabeth Lozano : Juan Carlos, l’enfance d’un chef.

Qu’attendez-vous de la présentation de C’est dur d’être aimé par des cons en sélection officielle au Festival de Cannes ?
La sélection à Cannes est pour moi une formidable récompense après des années de solitude sur un sujet délicat. Je mesure l’honneur qui m’est fait au bonheur qu’il me procure. J’en attends une écoute plus attentive quand je viendrai présenter des projets difficiles parce qu’ils ne sont pas dans l’air du temps. J’en attends aussi des contacts avec les étrangers présents à Cannes. Et des convergences accélérées avec des professionnels de tous pays qui partagent les mêmes envies et les mêmes espérances que nous.
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand

en mai 2008



Bande annonce de Carlos d’Olivier Assayas (2010)

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la violence. En outre, c’était

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract