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Charles Nemes : Les feux de l’humour

Charles Nemes © DR

Charles Nemes est né en 1951. Moins connu que ses films, il a goûté à tous les genres, avec une prédilection marquée pour la comédie, au cinéma comme à la télévision. Il s’est fait connaître à travers trois courts métrages : La face nord, Bonne présentation exigée (1974) et Le bol d’air (1975). Co-réalisateur d’André Harris et Alain de Sédouy sur leur documentaire Le pont de singe (1976), il signe son premier long métrage en solo avec Les héros n’ont pas froid aux oreilles (1979), puis se partage entre petit et grand écran pour lequel il tourne La fiancée qui venait du froid (1983) et Tableau d’honneur (1992), avant de rencontrer son plus grand succès avec La tour Montparnasse infernale (2001), une parodie de Piège de cristal qui propulse Eric et Ramzy au sommet du box-office et devient instantanément un film culte pour toute une génération. Nemes collabore alors aux séries télévisées H (1998-2002) et Maigret (1996-2005), tout en continuant à tourner des œuvres de commande comme Le carton (2004), Le séminaire Caméra Café (2009), Au bistro du coin (2011) et Hôtel Normandy (2013).


Comment a vu le jour La tour Montparnasse infernale ?
Charles Nemes  L’idée d’Éric et Ramzy, conjuguée avec celle de Christian Fechner, était de ne pas faire un énième film de comiques façon télé ou théâtre pour lequel on aurait bâti une historiette voisine de leur univers naturel. Il leur a donc suggéré d’écrire un vrai scénario. Or, eux sont très nourris de cinéma américain, comme la plupart des gens, de leur génération en particulier, donc ils ont essayé d’écrire une chose qu’ils aimeraient voir. Le film a deux facettes constitutives : d’une part, l’univers d’Éric et Ramzy ; de l’autre, un vrai polar d’aventure avec prise d’otages et épisodes divers épisodes inspirés pas si lointainement que ça de Piège de cristal. C’est un peu l’entrelacement de ce film et de Dumb and Dumber. Or ces deux aspects se tricotent très bien, l’aventure rehaussant la comédie sans qu’on se prenne jamais vraiment au sérieux. Ce croisement de styles était d’ailleurs très nouveau pour moi.

Dans quelles circonstances avez-vous été amené à réaliser La tour Montparnasse infernale  ?
Je connaissais bien Éric et Ramzy puisque c’est eux qui ont suggéré mon nom à Christian Fechner. En effet, je les ai rencontrés sur le tournage de H dont je suis encore de peu le détenteur du record d’épisodes : j’en ai réalisé quatorze et demi et suis le seul à avoir travaillé sur les trois premières saisons. Cette expérience de télé et les trois longs métrages que j’avais tournés pour le cinéma m’ont permis de me familiariser avec le film de genre. Ensuite comme j’avais conscience de ce que je faisais et que je disposais des moyens adéquats, j’ai pu faire un “à la manière de” davantage qu’un pastiche à proprement parler.

De quelle façon s’est établi le reste de la distribution ?
Ce sont pour la plupart des gens qu’ont choisis Éric et Ramzy eux-mêmes. Marina Foïs des Robin des Bois, ils la connaissaient et ils ont écrit le rôle pour elle. Un autre membre de la troupe, PEF alias François Martin Laval, qui joue aussi un petit rôle, a également contribué à l’écriture. Serge Riaboukine, qui interprète le chef des méchants, ils l’ont connu à l’occasion de la troisième saison de H. Et puis, il y a des apparitions en forme de clins d’œil de Fred et Omar de Canal Plus, et même de Joey Starr dans un rôle surprenant, mais on ne voulait pas que ça devienne systématique.

Le fait que Christian Fechner ait produit certains films interprétés par des membres du Splendid avec lesquels vous avez vous-même tourné a-t-il instauré une connivence entre vous ?
Il y a sans doute eu un raté entre le Splendid et moi à un moment donné qui a fait que je ne suis pas devenu Patrice Leconte. Et s’il y a un metteur en scène en France qui me fait envie, c’est bien lui, parce qu’il est aussi heureux quand il fait La fille sur le pont que des comédies et qu’il est en règle avec sa conscience. Mais il est vrai aussi qu’historiquement j’aurais pu rencontrer Christian Fechner beaucoup plus tôt. J’admire sa capacité à prendre le risque de mettre en chantier un film aussi important avec un texte qui est resté en devenir jusqu’au bout et de savoir qu’il fallait laisser cette liberté là à Éric et Ramzy pour qu’ils conservent leur fraîcheur et leur vivacité.

 Bande annonce de La tour Montparnasse infernale (2001)

Pourtant La tour Montparnasse infernale est un film de commande…
C’est un très joli mot au cinéma. Il faut du spectacle pour divertir les gens. Après tout, le plus gros de l’art des siècles précédents a été fait sur commande, sans appeler Mozart à la rescousse [rires].

De quelle manière gère-t-on de telles responsabilités ?
Bizarrement, je pense qu’il faut exactement les mêmes qualités que lorsqu’on fait un film d’auteur. Car dès qu’on cesse d’être humble, on sombre dans l’auto-citation et il y a danger. Lorsqu’on réalise une œuvre de commande, il faut être à même de percevoir et de ressentir les apports des gens qui ont décidé du projet. En fait, on redevient personnel à force de sincérité.

Sur La tour Montparnasse infernale, quelle était la plus grosse difficulté ?
C’était de gérer un budget aussi imposant sans devenir fou avec un jouet trop beau, ni stresser les gens. Éric et Ramzy sont des gens qui improvisent. Il leur faut à la fois beaucoup de préparation et ils aiment improviser à la dernière minute. C’est parfois difficile à concilier avec le travail sur les effets spéciaux. Mais c’est une question d’échelle. Le plus difficile, c’était de garder la tête froide et de rester exigeant sans se prendre pour ce qu’on n’était pas.

Comment avez-vous canalisé ces improvisations ?
Comme je connaissais bien le mode de fonctionnement d’Éric et Ramzy, c’était relativement facile.

Pourtant les conditions de tournage étaient rigoureusement différentes…
Sur H, on tournait vingt-cinq minutes en trois jours et il fallait parfois faire les choses à l’arraché. Là, on tournait une minute trente par jour. En fait, c’est surtout une question d’organisation, de gestion de la journée et de répartition des urgences. Paradoxalement, à la télé, on apprend que ce n’est pas la peine de tourner ce qui ne sert à rien et que ce n’est pas la peine de s’assurer en permanence. Il faut réinventer du temps là où il n’y en a pas forcément. Si Éric et Ramzy ont besoin de quatorze prises pour que ce soit mieux, il faut leur donner le temps de les faire. C’est une répartition de l’effort. Dans La tour Montparnasse infernale, on avait le droit au repentir et l’on restait assez longtemps dans les mêmes lieux pour pouvoir refaire des choses. Évidemment il y a des effets spéciaux, mais le cœur de l’affaire, c’est Éric et Ramzy.

Quel est le rôle des effets spéciaux dans le film ?
Comme on ne pouvait évidemment pas tourner au sommet de la tour Montparnasse, on a travaillé en studio. Mais, comme le dit justement Christian Fechner, en matière d’effets spéciaux, il ne faut pas saupoudrer et en mettre un peu partout, histoire de faire chic. Il vaut mieux en supprimer mais réussir ceux qu’on utilise. Là, il y a tout de même un hélicoptère qui s’écrase sur la verrière de la tour Montparnasse, grâce à des effets spéciaux réalisés en Angleterre. Le spectacle doit être imprenable. Et puis, on ne peut pas combiner des scènes de burlesque irrésistibles avec des effets spéciaux. On ne raconte toujours qu’une seule chose à la fois, que ce soit les acteurs qui font rire ou les effets numériques qui font boum.

Comment définiriez-vous l’humour d’Éric et Ramzy par rapport à la génération du Splendid que vous avez côtoyée ?
Ce n’est pas tant une affaire de génération que la spécificité d’Éric et Ramzy par rapport à leurs contemporains. C’est la première fois depuis l’époque du Splendid qu’il y a de nouveau une génération de comiques. Avant ils venaient du café-théâtre, là, que ce soit Gad Elmaleh, Jamel et les autres, ils sortent confusément de la scène, de la radio, de la télé, pour la plupart de Canal Plus, et ils pratiquent l’insolence et l’impudence en utilisant le parler de la rue, ce qui crée une sensation rythmique particulière. Ce sont en outre des gens qui parlent de façon beaucoup plus rapide. Mais Éric et Ramzy sont les seuls qui appliquent systématiquement l’humour de l’absurde, qui ne jouent pas de la satire sociale, qui n’évoquent pas dans leurs spectacles sur scène des personnages qu’on aurait pu rencontrer et qui ne font pas appel à leurs biographies personnelles ou à leur extraction particulière pour raconter les choses. Leur deuxième particularité est d’être extrêmement physiques tout en parlant très vite. Ils ont la capacité et l’envie de faire du burlesque au sens propre. D’ailleurs ils sont sans doute les seuls de leur génération qui auraient pu écrire le scénario de La tour Montparnasse infernale.


Bande annonce des Héros n’ont pas froid aux oreilles (1979)

Avez-vous un modèle idéal en matière de comédie ?
Quand j’étais môme, j’adorais Hellzapoppin et je me rends compte aujourd’hui qu’il y a un truc du même ordre dans ce que j’aime chez les Branquignols ou Éric et Ramzy : une sorte d’économie du bide et du ratage. Ce sont des histoires de types qui font couler un spectacle. Là, Éric et Ramzy jouent deux “teubés”, comme ils disent : deux bêtas absolus, qui font échouer une prise d’otages.

Comment avez-vous géré les problèmes de tempo que suppose un tel film ?
J’ai la chance d’avoir fait H et d’être un ancien monteur, donc j’ai trouvé des solutions pour canaliser ce déluge et cette profusion. Et puis, Éric et Ramzy se connaissent bien et, moi, je sais les lire. D’ailleurs, quand on a commencé à faire circuler le scénario dans les chaînes de télévision, on joignait systématiquement une cassette de leur spectacle du Palais des Glaces à regarder avant pour décrypter le texte [rires].

Quel est le rôle du réalisateur sur un film tel que La tour Montparnasse infernale ?
J’ai fait mon travail sincèrement et en conscience, mais je n’ai aucune réclamation d’auteur. J’ai simplement participé à un travail de remise en forme du scénario. Ensuite j’ai procédé au découpage, mais Éric m’a décrit un certain nombre de plans qu’il voyait et je n’avais aucune raison de ne pas les tourner. En plus, ce sont des gens qui savent précisément ce qui leur va bien. Au départ, plus que des idées, ils avaient des images.

Avez-vous eu des surprises pendant cette aventure ?
Plutôt des miracles et des cadeaux. Par exemple, lorsque les auteurs interprètes écrivaient « Éric et Ramzy vêtus de leurs armures montent par l’escalier », dès la première répétition, cette scène est devenue un sketch burlesque extravagant, parce qu’ils se cognaient dans les portes et l’un contre l’autre. Les vraies surprises, ce sont des plans de transition narrative et de simples déplacements d’un lieu à l’autre qui se sont transformés en purs moments de drôlerie. L’avantage, c’était que j’avais les auteurs sur place.
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand

en décembre 2000


Bande annonce du Carton (2004)

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