Antonio Campos © DR
Né en 1983, le réalisateur new-yorkais Antonio Campos s’est fait remarquer avec trois courts métrages, Pandora (2002), Buy It Now (2005), qui reçoit le Prix de la Cinéfondation à Cannes, et The Last 15 (2007), qui est sélectionné en compétition à Cannes, avant de passer au long avec Afterschool (2008), montré dans le cadre de la section officielle Un Certain Regard à Cannes, puis Simon Killer (2012), qui est présenté au festival de Sundance, et Christine (2016). Il a également produit plusieurs courts métrages, ainsi que Two Gates of Sleep (2010) d’Alistair Banks Griffin, Martha Marcy May Marlene (2011) de son associé Sean Durkin, James White (2015) de son autre partenaire, Josh Mond, et Katie Says Goodbye (2016) de Wayne Roberts.
Dans quel contexte le tournage d’Afterschool
s’est-il déroulé ?
Antonio Campos L’écriture de la version finale du scénario
s’est déroulée entre l’automne 2007 et le printemps 2008, alors que j’étais à
la Résidence de la Cinéfondation à Paris, puis s’est achevée une fois de retour
à New York. Auparavant, j’avais tourné autour de cette idée pendant plus de
trois ans. Une fois le script achevé, mes producteurs se sont empressés de
sécuriser le financement émanant d’investisseurs privés et le décor, en
l’occurrence un internat situé au nord-est des États-Unis. Deux opérations qui
se sont révélées délicates, car l’argent est toujours un problème épineux
lorsqu’il s’agit de financer un film indépendant sans noms connus au générique
qui repose sur un scénario pas évident, et que, par ailleurs, l’école était
difficile à trouver parce que nous avions besoin de pouvoir disposer
intégralement des lieux pendant plus d’un mois, pendant la période des vacances
d’été, sous peine de devoir attendre un an de plus pour pouvoir tourner. Mes
producteurs Josh Mond et Sean Durkin ont accompli un travail magnifique en
réglant ces deux problèmes dans les temps et en réussissant à se procurer une
caméra trente-cinq millimètres équipées d’objectifs anamorphosés et
suffisamment de pellicule pour me permettre de tourner comme je le souhaitais,
c’est-à-dire en tournant de nombreux plans plutôt longs. Le casting a été
relativement rapide ; nous avons eu la chance de trouver très vite les
gamins qui tiennent les rôles principaux et mes directeurs de casting, Susan
Shopmaker et Randi Glass, nous ont permis d’auditionner de nombreux acteurs
new-yorkais de talent. C’est la post-production qui a constitué le plus grand
défi à mes yeux, dans la mesure où nous avons utilisé de mutiples formats
différents parmi lesquels de la pellicule trente-cinq millimètre anamorphosée,
des images vidéo tournées avec un téléphone portable, d’autres avec une caméra numérique
standard, le tout mélangé, ce qui a compliqué considérablement l’ensemble du
processus sur le plan technique. Il n’y avait que des premières fois pour nous
et nous avons continué à apprendre, alors même que mes producteurs devaient
assumer chacun les responsabilités de trois ou quatre personnes différentes. Mais,
au bout du compte, nous sommes fiers du résultat final. Philippe Bober et
Coproduction Office ont pris le film sous mandat un mois avant Cannes et en
l’espace de peu de temps, ils ont réussi à imaginer des outils marketing
formidables : collaborer avec cette équipe a constitué à la fois un
plaisir et un honneur. D’habitude, quand on travaille avec quelqu’un pour
essayer de cerner l’identité d’un film, on commence par partir dans différentes
directions et on a tendance à le réinventer pour le rendre plus facile à vendre.
J’ai trouvé que Philippe et son équipe faisaient un bon travail en essayant de trouver
l’essence du film et qu’ils ont créé une affiche magnifique et un dossier de
presse qui en rendent compte fidèlement. Aux États-Unis, Josh Braun de la
société Submarine a également fait un beau boulot en créant le buzz et nous
avons travaillé en liaison étroite avec lui lorsqu’il s’est agi de trouver le
moyen le plus efficace de lancer ce film, qui n’est en aucun cas ni
conventionnel ni conforme à ce qu’on a l’habitude de voir ici, du point de vue
des sociétés américaines, mais dans un certain sens, j’ai l’impression que
c’est quelque chose susceptible de plaire aux gens les plus curieux.
Quel est
l’écueil le plus important auquel vous vous soyez heurté au cours de cette aventure ?
On apprend tant de choses. J’ai tourné
tellement de courts métrages que je me sens plutôt confiant, même s’il y a des
choses qu’on ne peut apprendre que lorsqu’on se trouve confronté à la
réalisation d’un long : notamment la façon de raconter une histoire, ce
dont on a vraiment besoin en matière de plans et de dialogues, comment s’en
sortir avec autant d’interprètes, mais aussi des problèmes techniques auxquels
on se trouve confronté et qu’on ne rencontre jamais quand on réalise un court
métrage, mais qu’aucun professeur ou qu’aucun livre n’aurait jamais été en
mesure de vous enseigner.
Bande annonce d’Afterschool (2008)
Si
c’était à refaire, que changeriez-vous au vu du résultat ?
Le processus n’est pas encore terminé et je
n’ai donc pas eu le temps de tout digérer, ce qui explique que je ne sache pas
encore exactement ce qu’il faudrait changer, si c’était à refaire, même si j’ai
conscience qu’il y a pas mal de points que j’aurais pu améliorer. Reposez-moi
donc cette question après mon prochain film.
Quel est
votre credo en tant que cinéaste ?
Je m’efforce d’être le plus honnête possible,
lorsqu’il s’agit d’écrire le scénario et de travailler avec les acteurs. J’attends
avant tout un maximum de franchise de la part de tous les gens qui m’entourent, de
façon à parvenir au résultat le plus authentique possible. Je suis convaincu
que si l’on ne triche pas, les choses se créent spontanément, que ce soit au
niveau de l’image ou des interprètes.
Quel est
l’aspect du métier de réalisateur que vous préférez ?
La mise en scène. Tout le reste me semble à la
fois pénible et interminable. Quand on réalise, ou du moins en ce qui me
concerne, quand on est contraint de travailler avec des moyens et dans un laps
de temps limités, on n’a pas d’autre alternative que de prendre des décisions
et d’aller de l’avant. J’ai tendance à réfléchir indéfiniment à mes choix avant
de me décider, mais je constate que mon premier instinct est toujours celui qui
m’entraîne dans la bonne direction. Il me faut toutefois généralement longtemps
pour parcourir l’ensemble des autres possibilités et me rallier à cette
décision. J’aime également être sur le plateau et travailler avec mon équipe
technique et artistique ; c’est le moment de mon travail qui est à la fois le
plus vivant et le plus fertile. L’écriture du scénario et le montage sont des
activités extrêmement solitaires qui vous donnent constamment l’impression
qu’il y a mieux à faire et autre chose à tenter.
Vous
sentez-vous proches de certains de vos confrères ?
J’adore sincèrement regarder toutes sortes de
films, quels que puissent être l’endroit d’où ils sont originaires ou leur
style. En revanche, lorsqu’il est question de réalisation, je me sens plus
proche de l’esprit de l’école européenne. Il y a des cinéastes américains
d’hier et d’aujourd’hui que j’admire et dont je suis le travail attentivement. Pour
moi, actuellement, Gus Van Sant et Paul Thomas Anderson sont les cinéastes
américains les plus intéressant. Parmi ceux du passé, je ressens des affinités
avec des gens comme Samuel Fuller et Jules Dassin, mais aussi évidemment avec les
réalisateurs américains des années 70 qui ont essayé d’entraîner l’ensemble du
cinéma de ce pays dans une nouvelle direction. Mais ceux qui m’ont le plus
influencé sont Bergman, Fassbinder, Dumont, Haneke, Godard, et plus que tout
Kubrick. Je sais bien que celui-ci est américain, mais je ne l’ai jamais
considéré en tant que tel. Je ne pense pas qu’il serait juste de le catégoriser
ainsi, même s’il l’est sur le plan technique. Mais il a fait les choses
tellement différemment de tous les autres réalisateurs qu’il est difficile de
savoir s’il est plus américain ou européen. Il est tout bonnement “le” cinéaste.
Bande annonce de Simon Killer (2012)
Pensez-vous
aux futurs spectateurs quand vous réalisez un film ?
J’aurais beaucoup de mal à penser au public
pendant que je suis en train de tourner. Je me concentre plutôt sur ce que j’ai
envie de voir en tentant de l’obtenir.
Que
représente le Festival de Cannes pour le jeune cinéaste que vous êtes
Cannes a été incroyablement important pour moi
en tant que réalisateur. À l’époque où je présentais à des festivals un court
métrage intitulé Buy It Now que j’avais réalisé, la plupart d’entre eux
me répondaient qu’ils l’aimaient, mais qu’ils hésitaient à le programmer en
raison de son contenu. La Cinéfondation a été le premier à me dire oui et dès
ma première visite, je suis tombé amoureux de Cannes. On y montre des courts
métrages qui sont uniques et magnifiques, mais aussi toujours audacieux. Le
festival présente une variété considérable de films de toutes origines et ne
craint jamais de montrer des œuvres que beaucoup de gens trouvent difficiles ou
quelquefois provocateurs. Et depuis, j’ai été admis à la Résidence, qui fait
également partie de la Cinéfondation, où l’on vous invite à Paris et où l’on
attend de vous que vous ne fassiez rien d’autre que de terminer votre scénario
et de nouer des contacts avec vos condisciples, lesquels sont également des
réalisateurs qui travaillent sur leur premier ou leur deuxième projet et qui se
sont avérés compter également parmi les personnes et les réalisateurs les plus
sympathiques qu’il m’ait été donné de rencontrer dans ma vie.
Qu’attendez-vous
de la présentation à Cannes d’Afterschool ?
Je ne sais pas exactement quoi en attendre. Ce
qu’il y a de bien quand on montre son film à Cannes, c’est qu’on est assuré
qu’il sera vu et qu’on y prêtera attention, mais en même temps, on fait partie
d’une sélection, ce qui explique que la barre soit placée très haut et que
l’attente soit très forte.
Avez-vous
déjà d’autres projets ?
Pour l’heure, je travaille sur un scénario qui
tourne autour d’un garçon, de sa mère, de New York et du cinéma. Mes deux
associés sont également réalisateurs et nous développons simultanément ensemble
nos projets respectifs. C’est pourquoi je vais collaborer avec Sean
Durkin, puis éventuellement produire le film avec mon autre partenaire, Josh
Mond.
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand
en mai 2008
Bande annonce de Martha Marcy May Marlene (2011) de Sean Durkin
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