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Alexandra Leclère : Affaires familiales

Alexandra Leclère © DR

Dans son long métrage, Les sœurs fâchées (2004), lui-même inspiré du court Bouche à bouche (2002), Alexandra Leclère s’attachait aux rapports de deux sœurs que la vie a séparées, sur un registre qui évoquait Le rat des villes et le rat des champs. Une histoire simple, souvent cocasse et parfois douloureuse, qui lui a permis d’exorciser son propre vécu en réunissant Isabelle Huppert et Catherine Frot, deux actrices a priori aux antipodes l’une de l’autre, sur la corde, raide des sentiments les plus extrêmes. Cette spécialiste des comédies grinçantes a tourné depuis Le prix à payer (2007), Maman (2012) et Le grand partage (2015).


Destin
« Comme beaucoup de petites filles, le cinéma me faisait rêver, mais j’ai longtemps cru que je voulais être comédienne. Mais, en fait, je ne me sentais pas du tout à l’aise devant la caméra et j’avais chaud partout [rires] et il n’y a que quatre ou cinq ans que je me suis rendu compte que ce qui me rendait heureuse, c’était d’écrire et de réaliser, car je ne pouvais pas dissocier les deux. J’ai toujours beaucoup écrit, jusqu’au jour où j’ai rencontré un producteur qui m’a fait lire un scénario. Et puis, il y a cinq ans, j’ai écrit un premier scénario intitulé Prends-moi fort qui ne s’est pas monté. C’était l’histoire de quatre femmes qui étaient malheureuses et qui décidaient de prendre leur destin en main à un moment de leur vie. Malheureusement les comédiennes que j’avais rencontrées n’étaient pas suffisamment connues pour débloquer le financement. Faute de réussir à monter ce long métrage, le producteur m’a donné cinq minutes et deux jours de tournage pour montrer de quoi j’étais capable. Cette idée ne m’amusait pas trop, parce que comme j’avais beaucoup de choses à raconter, je savais qu’il me faudrait plus de temps. J’ai toutefois écrit un court métrage intitulé Bouche à bouche qui était déjà un instantané entre deux sœurs dans un lieu unique. Il a suscité des réactions encourageantes et a obtenu quelques petits prix. De cette idée, je suis partie vers l’écriture des Sœurs fâchées qui était assez autobiographique. »

Auto-fiction
« De la même façon que Louise [Catherine Frot], j’ai rencontré un homme sur le chemin de l’école dont j’étais complètement amoureuse et, au bout de deux ans, j’ai fini par aller lui donner un mot et j’ai vécu sept ans avec lui. Il m’a fallu beaucoup de courage, car j’étais mariée et j’avais deux enfants. J’aime bien l’idée qu’on puisse déclencher les choses et c’est cette audace qui m’a aidé à oser faire du cinéma. En rencontrant cet homme, je me suis fâchée avec ma sœur, car au début, on était tellement amoureux, lui et moi, que ça se voyait et que ça l’a contrariée que j’aborde un étranger dans la rue et que je divorce. Ma sœur n’est pas Isabelle Huppert et je ne suis pas Catherine Frot, mais elle vit depuis quatorze ans avec le patron d’une agence de pub qui a beaucoup d’argent, dans un grand appartement où je pense qu’elle s’emmerde [rires], alors que moi, j’ai toujours été un peu désinvolte et heureuse avec trois fois rien. Mon père est militaire donc je suis née à Marseille et j’ai déménagé tous les deux ans, en fonction de ses affectations. Ensuite, quand mes parents ont divorcé, je me suis fixée à Rennes, puis je me suis fâchée avec ma mère qui était méchante mais pas alcoolique [rires] et j’ai fait une fugue. Je suis arrivée à dix-sept ans à Paris, où je n’étais jamais venue. J’avais cinq cents francs en poche, j’ai laissé mon sac à la consigne de la gare Montparnasse et je suis allée sur les Champs-Élysées, comme toute bonne provinciale qui se respecte. Au Berkeley où j’étais allée m’offrir une coupette de champagne, j’ai rencontré une jeune fille qui m’a emmenée dans une boîte à la mode en 1981, l’Élysées-Matignon. Un homme m’a ouvert la porte… et trois mois après, j’ai vécu sept ans avec lui. Dans mes histoires d’amour, j’ai toujours rencontré les hommes de manière assez curieuse. À l’époque, ma sœur vivait encore à Rennes. Elle n’est venue à Paris que longtemps après. Moi, j’ai essayé un peu tout, y compris de chanter. »

Bande annonce des Sœurs fâchées (2004)

Les sœurs fâchées
« L’idée de départ des Sœurs fâchées, c’était comment le bonheur de l’une peut provoquer le malheur de l’autre. Parce que le jour où j’ai dit à ma sœur que j’étais très heureuse, elle l’a très mal pris et j’ai trouvé ça étrange. Avant on se voyait beaucoup. On habite à cinq cents mètres à vol d’oiseau l’une de |’autre, mais ça fait six ou sept ans qu’elle a décidé de ne plus me voir. Elle m’a contactée récemment par mail en apprenant que mon film allait sortir et elle a signé : « Sophie, ta sœur pas fâchée. » [rires] j’adore ce mot “fâchées” parce qu’il laisse une place à la réconciliation, qu’il est provisoire et qu’il a un côté enfantin. J’espère que ma sœur entendra ce message et le comprendra [rires]. Ma mère a aussi coupé les ponts avec ma sœur et moi. Elle nous a envoyé une lettre qu’elle n’a même pas pris la peine d’écrire deux fois puisque j’ai eu droit à une simple photocopie. Mais finalement, me retrouver ainsi seule au monde m’a donné une force accrue. Aujourd’hui, je suis déjà en train d’écrire un deuxième film, mais je n’ai pas du tout envie de revenir au projet qui ne s’est pas concrétisé. C’est grâce à ce scénario que j’ai rencontré Dominique Besnehard, mais il appartient désormais au passé et je n’aurais aucune envie de le réécrire. Il m’a surtout fait prendre conscience du fait que si je voulais éprouver du plaisir, il fallait que je reste très proche de moi. Il n’y a que le cinéma qui m’intéresse et je n’écris qu’en pensant déjà à qui va interpréter tel ou tel rôle. J’aime bien partir d’un sentiment. J’ai été très blessée quand ma sœur a décidé de ne plus me voir et après je me suis racontée ma propre histoire. Mon prochain scénario est le prolongement de ce qui m’est arrivé quand j’ai signé mon contrat avec Philippe Godeau, mon producteur. Pour la première fois de ma vie, je touchais un gros chèque, et je me suis sentie tellement libre que ce jour là je me suis sauvée en courant de chez l’homme avec qui j’étais, celui que j’avais rencontré à la sortie de l’école [rires]. Parce que je n’étais plus heureuse depuis déjà deux ou trois ans. C’est le sujet de mon prochain film : l’influence de l’argent sur les relations de couple donc sexuelles. C’est un thème qui est déjà évoqué dans « Les sœurs fâchées ».

Actrices
« Mon film possède aussi une dimension populaire. J’ai vraiment écrit ce scénario en pensant dès le début à Isabelle Huppert et Catherine Frot, et j’étais tellement sincère que je crois qu’elles l’ont senti et que je n’ai pas eu à me battre pour les convaincre. J’avais envie qu’elles soient aussi différentes l’une de l’autre que ma sœur et moi pouvons l’être. Ce qui est drôle, c’est que c’est une fois de plus à la sortie de l’école que tout s’est décidé, car Isabelle avait son fils dans le même établissement que le mien et on s’y croisait tous les matins. Et puis, un jour, j’y suis allée vraiment au culot et je lui ai donné le scénario. À l’époque, je n’avais pas de producteur car ma première expérience avec un contrat m’avait particulièrement contrariée. Donc, là, j’ai écrit toute seule et j’ai contacté l’agent de Catherine Frot, Jean-François Gabard qui m’a reçu très gentiment. Puis je n’ai plus eu de nouvelles pendant deux mois, le Festival de Cannes 2003 est arrivé. Un jour, comme je ne connaissais personne, j’errais sur la Croisette et j’ai aperçu Jean-François Gabard qui était à un brunch. Il m’a appelé en me disant que Catherine avait adoré le scénario et qu’elle voulait absolument me rencontrer et il a enchaîné en me présentant comme la réalisatrice qui allait faire un film avec Catherine Frot. Finalement, je suis rentrée à Paris deux jours après et j’ai rencontré Catherine qui m’a assurée qu’elle ferait le film avec ou sans Isabelle. Cette confiance m’a donné beaucoup de force. Du coup, j’ai vu Isabelle dans la rue, je l’ai abordée et je lui ai dit que Catherine était d’accord pour faire le film. C’est alors que j’ai rencontré Philippe Godeau pour qui j’ai eu un coup de foudre professionnel et qui a appelé Isabelle pour lui dire qu’il produirait le film. Et puis, un matin, elle est venue vers moi et on est allées parler du scénario au café. Elle trouvait que son personnage n’était pas assez réactif, alors que moi, j’avais beaucoup de compassion pour Martine. Elle est assez terrifiante au début, mais on assez rapidement attendri par elle, parce qu’on sent que c’est une femme blessée. »

Références
« Les deux films qui m’ont donné envie de faire du cinéma quand j’étais plus jeune sont Sonate d’automne et La dentellière, parce que j’avais l’impression qu’on y parlait de moi. Au point que pendant l’écriture du scénario des Sœurs fâchées, je me passais en boucle les DVD de Bergman et que je me réveillais même parfois la nuit pour regarder Persona. »
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand

en décembre 2004


Bande annonce de Maman (2012)

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