Souleymane Cissé © Les Films Cissé
Le réalisateur malien Souleymane Cissé est né en 1940. Considéré à juste titre comme l’un des pionniers du cinéma africain, il n’a signé que huit longs métrages en plus de quarante ans de carrière, mais a obtenu à deux reprises le Grand Prix du Festival panafricain de Ouagadougou et a contribué pour une bonne part à l’essor culturel de son pays et même de son continent tout entier, par sa détermination à témoigner de sa réalité sociale. Après Cinq jours d’une vie (1973), La fille (1975) et Le travail (1978), lauréat de la Montgolfière d’or du Festival des Trois Continents de Nantes, c’est Le vent (1982), Tanit d’or au Festival de Carthage, qui lui vaut une renommée mondiale. Il enchaîne par la suite avec La lumière (Yeelen), Prix du jury au Festival de Cannes 1987, puis Waati (1995), Dis-moi qui tu es (2009) et O ka (2015).
Dans
quelles conditions O ka a-t-il été tourné ?
Souleymane Cissé Comme tous mes films depuis le début, O ka a été tourné dans des conditions extrêmement élémentaires,
par petits bouts sur plusieurs années, huit ou neuf ans au total. Nous avons utilisé de
petites caméras et nous tournions quand nous le pouvions, grâce à un financement
personnel, chaque fois qu’un autre film rapportait un petit peu d’argent. Au
Mali, il n’y a pas d’industrie du cinéma installée. Chaque production est un coup.
L’expérience accumulée est en outre difficile à communiquer car il n’y a pas de
structure, pas d’encadrement des jeunes générations. On a parfois le sentiment
que le cinéma et son processus de production ne sont pas compris. C’est
pourquoi j’ai créé l’Union des Créateurs et Entrepreneurs du Cinéma et de l’Audiovisuel
de l’Afrique de l'Ouest
[Ucecao] qui s’efforce
de donner l'opportunité aux jeunes talents, la possibilité de mettre en valeur
leur potentiel par la réalisation d'un court métrage de trois à cinq minutes
traitant de sujets contemporains, que nous diffusons ensuite lors de nos
rencontres cinématographiques qui se déroule chaque année à Bamako.
Quelle
conception vous faites vous de vos fonctions de réalisateur et de
producteur ?
Réaliser,
c’est me libérer ; produire, c’est aller vers l’indépendance. C’est un
combat sur des années. Malgré cela, il n’y a aucune toujours aucune
considération pour ce que nous sommes, pour ce que nous faisons. C’est vrai en
Afrique comme ailleurs aussi, ce qui me révolte.
Quel
est le stade de la fabrication d’un film qui vous tient le plus à cœur ?
L’écriture
du scénario est le moment où je me sens le plus libre. Le montage aussi est un
temps de recherche mais parfois de grande douleur pour tout ce qu’on a pas pu
concrétiser en réalisant. La réalisation elle-même est d’abord une lutte car la
réalité est là et il faut chercher les moyens d’exprimer l’idée de départ,
l’adapter à ce qu’on trouve, dépasser toutes les difficultés qui se présentent.
Vous
sentez-vous des affinités particulières avec d’autres cinéastes africains ?
Ousmane
Sembene est pour moi une référence. J’admire son combat pour faire exister ses
films, sa ténacité sur des années. Il a été mal compris. Mes goûts de cinéma
sont des choses très personnelles, très intimes.
Comment
considérez-vous le numérique ?
J’ai
découvert le numérique dès 2002 et j’ai commencé à tourner avec ces caméras en
2008. Je pensais que cela simplifierait les choses mais ce n’est pas vrai. Au
tournage, même si l’éclairage est peut-être plus léger, les questions de mises
en scène restent les mêmes, les difficultés sont toujours là.
Quelle
importance accordez-vous au festival de Cannes ?
J’ai
soumis tous mes films à Cannes. C’est un festival respecté et admiré, parce que
c’est le seul à être indépendant, celui qui rassemble et affirme un réel point
de vue. Contrairement aux autres, ils ne se fixe pas de limites et j’espère que
cela continuera à l’avenir. En 2005, j’avais réalisé un court métrage Nyé (L’œil du cyclone), tourné à Cannes
sur l’atmosphère du festival et les regards des uns et des autres.
Quels
sont vos projets ?
D’abord,
terminer ce qu’on a commencé, ce film. Après un mois de recul, je ressortirai
mes notes des tiroirs, je choisirai un nouveau projet. Contrairement au pays où
il existe une véritable industrie du cinéma, je ne peux pas enchaîner les
projets, je dois recommencer à zéro presque à chaque fois.
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand
en mai 2015
Bande annonce de La lumière (1987)
Commentaires
Enregistrer un commentaire