Raymond Chirat © Institut Lumière
Mort le 26 août 2015 à l’âge de 93 ans, Raymond Chirat était considéré à juste titre comme le plus grand historien du cinéma français, au même titre que Jean Mitry, Jacques Siclier, Georges Sadoul et quelques autres. A l’Institut Lumière de Lyon, ce Lyonnais se sentait d'autant plus chez lui qu’il animait certaines séances et donnait volontiers à partager sa connaissance encyclopédique aux spectateurs d’un soir, subjugués par sa science et son enthousiasme, qu’il évoque des classiques immortels ou des œuvres mineures. Il faut dire que cet homme à la silhouette élancé possédait la réputation d’avoir vu tous les films français réalisés depuis la naissance du parlant, avec, on le lui souhaite, quelques absences bien pardonnables autour de la production de ces dernières décennies… Cet intarissable conteur pouvait surtout en parler avec justesse et justice, toujours prompt à citer des anecdotes sans se hasarder dans des élucubrations critiques, au contraire de trop de ses confrères qui en viennent à oublier que le cinéma s’adresse d’abord à un public désireux de se distraire et de s’évader et qu’il est le plus souvent, n’en déplaise à André Malraux, davantage une industrie qu’un art. Le Festival Lumière a créé en son honneur en 2014 un Prix Raymond Chirat décerné chaque année, au mois d’octobre à un historien du cinéma. Le premier lauréat en a été Pascal Mérigeau pour ses recherches autour de Jean Renoir.
Présentation du Dernier milliardaire de René Clair (1934) par Raymond Chirat, le 19 mai 2010
© Institut Lumière
La contribution éditoriale de Raymond Chirat est considérable par son essence même. C’est en effet à ce bénédictin du septième art qu’on doit d’avoir établi la liste exhaustive de tous les longs métrages produits en France de 1908 à 1970, et d’avoir publié une monumentale Histoire du cinéma français - Encyclopédie des films en sept volumes signée avec Maurice Bessy et l’iconographe André Bernard. Une somme utilisée aujourd’hui par les étudiants et les chercheurs désireux de travailler sur cette période à laquelle le cinéma était davantage considéré comme une source de distraction que comme un élément à part entière de notre patrimoine artistique. Inlassable chercheur, Chirat a également publié plusieurs monographies et biographies, parmi lesquelles celles des réalisateurs Julien Duvivier, Henri Decoin, Christian Jaque, Sacha Guitry et des comédiens Louis Jouvet, Marguerite Moreno, mais aussi de tous ces obscurs et ces sans-grade qui ont contribué à la grandeur du cinéma de ses années de prédilection : du début du parlant à l’avènement de la Nouvelle Vague. En tandem avec un autre cinéphile émérite, Olivier Barrot, il a également publié ces ouvrages richement illustrés que sont Les excentriques du cinéma français (1983), Inoubliables ! (1986), Gueules d’atmosphère (1994), Le théâtre de boulevard (1998) et Noir & blanc (2000) qui constituent une anthologie toute aussi précieuse.
C’est à l’âge de quinze ans que Raymond Chirat entreprend de recenser à la main sur des fiches cartonnées les génériques des films qu’il voit et d’établir la filmographie de leurs interprètes. Une pratique minutieuse qu’il poursuivra jusqu’à son dernier jour et qui servira à nourrir la passion de ses cadets et de ses héritiers, en alimentant la mémoire de l’Institut Lumière, aujourd’hui appelée à rejoindre celle de la Cinémathèque Française, de la Cinémathèque de Toulouse et d'autres institutions européennes et internationales. Sa contribution inestimable à l’histoire du cinéma français a valu à cet homme de l’ombre qui n’aimait rien tant que les salles obscures et le silence des bibliothèques (il a d’ailleurs donné son nom à celle qu’il a créée et dirigée, ainsi que les archives non-film, avec Bernard Chardère) de se voir élevé au rang de commandeur des Arts et lettres en 2005. Jean-Pierre Jackson lui a par ailleurs consacré deux ans plus tard un documentaire intitulé Raymond Chirat, l’œil et la mémoire.
Jean-Philippe Guerand
Cinématon n°387 : Raymond Chirat (1984)
© Gérard Courant
Interview de Raymond Chirat réalisée en octobre 2014
© France 3 Rhône-Alpes
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