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Philippe Lacôte : L’Afrique au cœur

Philippe Lacôte © DR

Né en 1969, Philippe Lacôte a débuté comme journaliste à Radio FMR de 1989 à 1992, où il a notamment signé une série de reportages sur la chute du Mur de Berlin avant d’intégrer Radio France et de devenir projectionniste puis réalisateur. Franco-ivoirien, il s'est fait remarquer à travers plusieurs courts métrages parmi lesquels Somnambule (1994), Affaire Libinsky (2001) et Le passeur (1995), sélectionné au festival de Rotterdam. C’est le titre d’un projet de long métrage de science-fiction avorté en 2003, Banshee, conte du temps immobile et du soleil de plomb, qui lui a inspiré le nom de sa maison de production, Banshee Films. Centré autour de la fuite d’un homme qui se fait passer pour fou après avoir assassiné le Premier ministre de son pays, Run (2014) s’inscrit dans la continuité logique de son documentaire Chroniques de guerre en Côte d’Ivoire (2008) et de To Repel Ghosts, un sketch du film collectif African Metropolis (2013) dans lequel le réalisateur ivoirien fantasmait autour d’un séjour à Abidjan de l’artiste Jean-Michel Basquiat sur la terre de ses ancêtres. 


Comment avez-vous été amené à traiter d’un sujet comme celui de Run ?
Philippe Lacôte Je suis issu d’une famille plutôt politisée. J’ai également réalisé un documentaire sur les événements de Côte d’Ivoire. Ce que je voulais, dans Run, c’était dresser le portrait d’une génération.

Dans quelles conditions techniques et économiques votre film a-t-il été tourné ?
Dans d’assez bonnes conditions. Le tournage a duré 8 semaines, au Burkina Faso et la plus grande partie en Côte d’ivoire. Nous avons tourné avec une caméra Alexa qui a tenu le choc.

Dans quelle direction avez-vous orienté votre interprète principal, Isaach de Bankolé ?
C’est lui qui a amené sa méthode, en me donnant le choix entre plusieurs propositions. Pour avoir travaillé avec Denis Lavant sur deux courts métrages, je connais l’intérêt du regard des acteurs sur le scénario. Dans Run, le personnage d’Isaach est l’incarnation de tous ces intellectuels et ces politiciens idéalistes qui ont cru à l’indépendance, à l’époque de la décolonisation. C’est un solitaire, mais il n’est ni dur ni aigri, bien que le film soit parfois brutal. Je précise enfin qu’il ne s’inspire d’aucun modèle identifié.

Quelle est la principale difficulté que vous ayez rencontrée au cours de cette aventure ?
Run traitant d’un sujet politique dans un pays qui sort d’un conflit, le terrain était sensible. Nous avons été accusés d’avoir un regard partisan et une polémique a éclaté dans les journaux. Après cela, c’était difficile de tourner dans les rues d’Abidjan même si le tournage n’a jamais été stoppé par la production. L’enseignement, c’est que les cinéastes ont le droit d’aborder des sujets politiques à leur manière !

Bande annonce de Run (2014)

Quelle conception vous faites vous de votre métier de réalisateur ?
Le réalisateur est un coureur de fond. Comme pour les athlètes de haut niveau, il faut rester calme, concentré, être endurant et savoir prendre des risques au bon moment.

Quel est le stade de la réalisation qui vous tient le plus à cœur et pourquoi ?
Les repérages. Parce que tout est encore possible. Et parce que c’est lié à la marche.

Vous sentez-vous des affinités particulières avec d’autres cinéastes ?
Le cinéma est international et certains réalisateurs qui ne sont plus là sont plus actuels que d’autres qui continuent à tourner… L’idéal pour moi serait un film qui comprendrait à la fois une séquence d’État de siège de Costa-Gavras,  une autre du Jeu de la mort de Bruce Lee, une du Stalker d’Andreï Tarkovski, le tout collé à trente minutes d’un film de Sergio Leone…

Pensez-vous que la vulgarisation des nouvelles technologies ait influé sur votre conception du cinéma ?
Dans le sens ou tout le monde filme aujourd’hui. Les spectateurs sont sollicités en permanence par des images et des sons. Il faut proposer des images qui ont du sens et de la force. Qui détonnent.

Quelle importance accordez-vous au festival de Cannes ?
Cela fait vingt-neuf ans que la Côte d’Ivoire n’avait pas été présente au festival de Cannes. La dernière fois, c’était en 1985, avec le réalisateur Désiré Ecaré et son film Visages de femmes. C’est donc un événement pour mon pays qui est en train de reconstruire son cinéma.

Quels sont vos projets ?
Mon deuxième long métrage s’intitule If God Says Yes et se déroule à la Maca, la prison d’Abidjan. C’est une adaptation libre d’un roman d’Edgar Allan Poe. Il y est question d’amour et de naufrages, de pirates en quête de Graal, de perversité. Nous sommes à la recherche de partenaires.
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand

en mai 2014


Bande annonce de Chroniques de guerre en Côte d’Ivoire (2008)

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