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Pawel Pawlikowski : Est-Ouest

Pawel Pawlikowski © DR


Lauréat de l’Oscar du meilleur film étranger, d’un Bafta, d’un Goya et de cinq European Film Awards pour Ida (2013), Pawel Pawlikowski signait avec ce film mémoriel en noir et blanc son retour dans le giron du cinéma polonais. Né en 1957, c'est à l’université d’Oxford qu’il a étudié la littérature allemande avant d’entrer à la télévision britannique où il a accompli ses premières armes en tant que documentariste à l’orée des années 90. Il a signé par la suite cinq longs métrages de fiction pour le cinéma dont The Stringer (1998), Transit palace (2000), un film en seize millimètres lauréat du Bafta du meilleur espoir, My Summer of Love (2004), qui lui a valu le Prix Alexander Korda et a révélé la comédienne Emily Blunt, puis La femme du Vème (2011), d’après le roman homonyme de Douglas Kennedy.


Roman
« Bien que My Summer of Love soit tiré d’un roman d’Helen Cross, j’ai beaucoup remanié son intrigue et n’en ai conservé que certains éléments. J’étais surtout intéressé par les deux personnages principaux, des jeunes filles de conditions sociales très différentes qui se rapprochent le temps d’un été. J’ai rencontré naguère une fille mythomane et manipulatrice et j’arrivais assez bien à m’identifier à l’autre, dans la mesure où j’ai moi aussi été victime de mon innocence quand j’étais jeune. En revanche, j’ai gommé tout le contexte historique du livre car il se déroulait pendant la longue grève des mineurs des années quatre-vingt et que celle-ci avait notamment servi de cadre à Billy Elliot. »

Religion
« En tant que Polonais, j’ai grandi dans un milieu de catholiques pratiquants. C’est sans doute  ce qui m’a incité à consacrer un documentaire à un prêtre évangéliste du Yorkshire à la fin des années quatre-vingt. À cette occasion, j’ai eu l’occasion de rencontrer des adeptes des Chrétiens Ressuscités comparables à ceux que je montre dans le film et dont fait partie le frère de Mona incarné par Paddy Considine pour lequel j’ai écrit ce rôle. Lorsque le tissu social commence à s’effilocher, les sectes ont toute liberté pour se développer, quitte à se substituer aux religions traditionnelles. Les gens ont besoin de quelque chose à quoi s’accrocher. D’ailleurs, on dit qu’il n’y a que la foi qui sauve… [rires] »

Bande annonce de My Summer of Love (2004)

Racines
« Même si je suis né en Pologne, j’habite en Grande-Bretagne depuis 1977. Pourtant je me sens perpétuellement en situation d’étranger, ce qui modifie ma façon de regarder les choses. Quand je suis arrivé en Angleterre, l’obstacle de la langue modifiait mon regard car je devais interpréter ce que je ne comprenais pas. En revanche, sur le plan cinématographique, j’ai été nourri de films anglais. Quand j’étais enfant, en Pologne, ma mère travaillait comme lectrice d’anglais à l’université de Varsovie et disposait d’un laissez-passer permanent pour le British Council. Cela m’a permis de voir beaucoup de films du Free Cinema et comme je ne comprenais pas la langue, j’essayais de comprendre en me concentrant sur les images. J’en ai sûrement gardé une vision particulière de l’Angleterre. Aujourd’hui, je collabore avec un chef opérateur polonais, Ryszard Lenczewski, qui a aussi éclairé Transit palace [et par la suite “Ida”]. »

Interprètes
« Au départ, j’ai envisagé de confier les deux rôles principaux à des non-professionnels. J’ai même procédé à un casting à Leeds et à Manchester, mais en voyant le résultat de ces auditions, j’y ai renoncé. Quand j’ai rencontré Natalie Press, je lui ai fait répéter le rôle de Tamsin, la fille libérée, mais comme elle se sentait mal à l’aise dans ce personnage qui marquait ses débuts au cinéma, j’ai préféré lui confier celui de Mona. Quant à sa partenaire, Emily Blunt, c’est son regard qui m’a attiré. Au contact l’une de l’autre, elles ont fait évoluer leurs personnages et j’en ai tenu compte en adaptant le scénario à leurs personnalités. C’est aussi ça, la direction d’acteurs. »
Propos recueillis
par Jean-Philippe Guerand

en octobre 2004


Bande annonce d’Ida (2013)

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