Nadine Labaki dans Caramel (2007) © Bac Films
Avec le succès international de Caramel (2007), triplement distingué au festival de San Sebastian, Nadine Labaki a offert au cinéma du Moyen-Orient l’un de ses plus beaux
fleurons. Dans son deuxième long métrage, la réalisatrice et comédienne libanaise née en 1974 -et vue notamment comme interprète dans Rock the Casbah de Laïla Marrakchi (2013), Mea culpa de Fred Cavayé et La rançon de la gloire de Xavier Beauvois (2014)- remet
en perspective la situation ubuesque qui règne dans ce pays où la moindre
étincelle déclenche instantanément une explosion de violence sinon un conflit
fratricide. Mettre un terme aux guerres de religions par une comédie musicale,
c’est possible. Prix du jury œcuménique et Prix François Chalais à Cannes, Et maintenant on va
où ? (2011) propose en tout cas une alternative singulière, féministe et souriante aux
traités de paix les plus élaborés. Sa réalisatrice a signé depuis O Milagre, l’un des sketches du film collectif Rio, Eu Te Amo (2014).
Évoquer les conflits religieux au Liban, n’était-ce pas aborder un
sujet tabou ?
Si mon film parle du conflit
entre les chrétiens et les musulmans, c’est parce que c’est aujourd’hui un
problème qui dépasse largement des frontières du Liban pour concerner le monde
entier. Mais j’aurais pu tout aussi bien parler d’une équipe de football, de
deux familles, de deux voisins, bref juste de deux êtres qui ne soient pas
identiques. Ce qui m’intéresse, c’est d’évoquer l’intolérance vis-à-vis de la
différence et d’une autre manière de penser et de réfléchir, mais aussi des
raisons ridicules qu’on invoque pour se faire la guerre. Face à cette
absurdité, j’ai voulu faire un film en exprimant ma responsabilité en tant que
femme désireuse d’empêcher son frère, son mari, son fils ou son voisin de
prendre les armes, de descendre dans la rue et de s’entretuer au nom d’une
religion, d’une idéologie ou d’une façon de penser. Cette idée est devenue
l’histoire d’un village où les femmes chrétiennes et musulmanes vont tout faire
pour empêcher cette malédiction de se perpétuer, mais j’aurais pu tout aussi
bien inventer deux religions. J’ai toutefois tenu à tourner dans un village où
il y ait vraiment une église et une mosquée : ça m’a d’autant plus aidé à
croire à l’histoire que je racontais que les habitants ont vraiment vécu ce
genre de situation.
Comment qualifiriez-vous votre film ?
C’est à la fois une fable et
un conte, parce que je n’avais pas envie d’ancrer ce film dans une réalité ou
de le relier à des événements trop spécifiques. Quand on parle de guerre, on a
trop vite tendance à situer ce qu’on raconte à la fois géographiquement et dans
le temps, or moi j’avais envie de parler du conflit de façon générale car ça
pourrait se passer n’importe où. J’ai toutefois tenu à tourner dans un village
où il y ait à la fois une église et une mosquée et où chrétiens et musulmans
vivent ensemble, ne serait-ce que parce que j’avais aussi besoin de croire à
mon histoire. Ils ont un vécu commun car les uns ont incendié les maisons des
autres, puis ceux-ci ont fui et sont revenus se venger…
Bande annonce d’Et maintenant on va où ? (2011)
Pourquoi avez-vous opté de raconter cette histoire sous la forme d’une
comédie musicale ?
Face à l’absurdité de ce qui
nous arrive, on ne peut que rire du ridicule de cette situation. L’humour fait
tout passer, car il est mis au service d’une bonne cause. Pour ce film, j’ai
décidé d’adopter le point de vue d’un enfant, car leur logique dépasse la
nôtre, grâce à leur simple bon sens et parce qu’ils se posent les bonnes
questions. C’est pour ça que mon film commence par la phrase « Il était
une fois… ».
Comment la censure libanaise a-t-elle accueilli votre projet ?
Très bien, même s’il y a eu
une discussion et qu’on m’a décidé de préciser certains détails. Tout le monde
semble avoir épousé la cause de ce film, parce qu’il y a une sorte de
ras-le-bol général. Quand on a organisé des disputes et des bagarres dans ce
village, chrétiens et musulmans se sont vraiment tapé dessus, mais ça n’a jamais
dégénéré comme on aurait pu le craindre. Histoire d’entretenir la confusion et
de souligner l’absurdité de la situation, j’ai décidé de confier le rôle de
l’imam à un chrétien et celui du prêtre à un musulman, même si ce sont des
acteurs. Pour eux, ce film était une fierté, car son postulat, c’est que chacun
accepte de prendre la place de l’autre pour pouvoir vivre ensemble. Or tout le
monde a souscrit à ce message et nous a aidé pour faire changer les choses.
Mais le film ne sortira au Liban qu’en septembre 2011 et je m’attends à des
réactions violentes, même si je pense que la bonne cause finira par l’emporter.
Pourquoi avez-vous de réaliser une comédie musicale ?
Pour intensifier l’aspect
conte de fées. Le chant et la danse sont des moyens d’expression plus nobles et
plus expressifs à mes yeux pour lesquels j’éprouve une fascination personnelle
et intense. J’avais aussi d’exprimer autre chose. C’est pour cela que je joue
le rôle clé de cette femme qui prend les choses en main afin d’essayer de
lutter contre l’absurdité de la guerre et l’engrenage de la violence. Pour moi,
le cinéma est un moyen d’attirer l’attention sur une réalité qu’on ne perçoit
pas forcément, sans doute parce qu’on a fini par s’y habituer. Aujourd’hui,
j’ai envie de m’en rapprocher encore plus…
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand
en juin 2011
Bande annonce de Caramel (2007)
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