Mahamat-Saleh Haroun © Pyramide Distribution
Né en 1961, Mahamat-Saleh Haroun est à lui seul l’incarnation d’un cinéma tchadien qui refuse de se laisser coloniser. Dans ce pays à peu près dépourvu d’infrastructures audiovisuelles, avec la complicité de sa fidèle productrice Florence Stern, il a tout de même réussi à affirmer sa volonté en tournant plusieurs courts métrages, les documentaires Bord’ Africa et Sotigui Koyaté, un griot moderne (1995), Bye Bye Africa (1999) et Kalala (2006), le téléfilm Sexe, gombo et beurre salé (2008), ainsi que quatre longs métrages de fiction : Abouna (2002), Daratt, saison sèche (2006), lauréat de cinq prix à la Mostra de Venise, Un homme qui crie (2010), Prix du jury au Festival de Cannes, et Grigris (2013).
Avez-vous montré Grigris
avant sa présentation au dernier Festival de Cannes ?
Mahamat-Saleh Haroun Quelques jours avant le festival, j’ai organisé une
toute première projection officielle pour l’équipe et quelques invités dans une
salle mythique de N’Djamena, au Tchad : Le Normandie.
Dans quel état d’esprit abordez-vous la présentation de votre film ?
L’anxiété n’a fait que
grandir, à partir du moment où j’ai appris que le film était sélectionné à
Cannes. Il y a eu les réactions aux premières projections, puis l’attente du
palmarès et ensuite la préparation de la sortie. Concernant Cannes, depuis que
j’ai siégé au jury, en 2011, j’ai décidé de ne plus lire la presse : ça
évite pas mal de stress.
Quelle était votre intention en réalisant Grigris ?
J’avais envie de montrer
l’odyssée des trafiquants d’essence qui traversent la rivière frontalière entre
le Tchad et le Cameroun, mais je voulais aussi éviter les conventions du film
noir. Pour pouvoir tourner sur les lieux réels, on a dû amadouer les jeunes
trafiquants dont certains apparaissent d’ailleurs à l’écran. C’est comme quand
on veut filmer dans une cité : il faut se faire accepter.
Le montage financier du film a-t-il été compliqué ?
Le succès d’Un homme qui crie et le Prix du jury
obtenu à Cannes en 2010 ont facilité le financement et nous ont beaucoup aidé à
accélérer le processus, mais mon rythme est celui d’un film tous les trois ans
car je ressens le besoin de les accompagner jusqu’au bout. Et puis, j’avance
main dans la main avec ma productrice, Florence Stern, ce qui facilite
grandement les choses. En tant que réalisateur, j’ai besoin d’être entouré du
trio essentiel que constituent ma productrice, ma monteuse [Marie-Hélène Dozo] et mon chef
opérateur. Pour Grigris, j’ai trouvé
en Antoine Héberlé le partenaire idéal. La photo du film lui a d’ailleurs valu
le Prix Vulcain de l’artiste technicien décerné par le jury de la CST [Commission Supérieure Technique].
Quelle a été la plus grande difficulté à laquelle vous vous soyez trouvé confronté au cours de la réalisation de Grigris ?
Les tournages de nuit à
N’Djamena où l’éclairage public est inexistant. Du coup, il a fallu réinventer
la lumière. Par ailleurs, l’acteur principal, Souleymane Démé, a appris à nager pour le film,
pourtant, un soir, au milieu de la rivière, il a été pris de panique et il a failli
se noyer. Mais globalement, le tournage a été extrêmement joyeux et il fallait
entendre les gens crier spontanément « Grigris » sur son passage.
Comment avez-vous rencontré votre interprète masculin ?
Je l’ai repéré au cours d’un
spectacle de danse à Ouagadougou et j’ai été frappé par la façon dont il
réussit à défier les lois de la gravité malgré son handicap. Dans le film, il
pratique la Street Dance, mais il vient plutôt du hip-hop.
Qu’est-ce qui vous a séduit chez sa partenaire féminine, Anaïs
Monory ?
Lorsqu’elle s’est présentée
au casting, là où les autres postulantes jouaient l’hystérie, elle a interprété
sa scène de façon très personnelle, en exprimant une violence froide qui m’a
beaucoup impressionné. Malgré son expérience en tant que mannequin, elle
n’était jamais en représentation.
La scène finale, qui se déroule dans un village peuplé de femmes, est
très audacieuse. Quelle est sa signification ?
À mes yeux, elle représente
la revanche des femmes, mais aussi la naissance d’une communauté et d’une
conscience de groupe, pendant que les hommes sont aux champs afin de surveiller
leurs troupeaux et de chasser les insectes. Ces femmes réécrivent le destin de
deux personnages qui auraient pu mal tourner. Je me suis inspiré de
l’association des femmes d’un village situé à cinq kilomètres du lieu où l’on
tournait et j’ai été impressionné par la ponctualité et l’organisation de ce
chœur. Elles ont compris la situation que je leur demandais d’interpréter et
sont allées chercher leur impulsion, au point de pousser spontanément un cri de
ralliement. Ce sont à la fois des mantes religieuses et des mères poules, car
il se trouve que ce sont leurs œufs qui rendent courageuses ces volailles d’un naturel plutôt peureux.
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand
en juin 2013
Bande annonce d’Un homme qui crie (2010)
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