Diva oubliée du cinéma mexicain devenue une égérie immortelle du panthéon hispanique, Katy Jurado a réussi à mener sa barque hollywoodienne, en compagnie de
partenaires aussi séduisants que Gary Cooper, Spencer Tracy et Marlon Brando.
On prétend que les montagnes ne se
rencontrent jamais. Il n’en est assurément pas de même des légendes. En
dirigeant Katy Jurado dans Divine, l’évangile des merveilles, le
cinéaste Arturo Ripstein a bouclé la boucle d’un demi-siècle de ce cinéma
mexicain dont il est devenu le chef de file incontesté. Difficile toutefois de
reconnaître en l’imposante matrone Mama Dorita qui règne sur une secte millénariste
celle qui fut naguère l’une des figures de proue de son pays. Flash-back au
début des années quarante. Fille d’une cantatrice et d’un riche propriétaire
terrien dont la famille a été spoliée par la Révolution mexicaine, Maria
Cristina Jurado Garcia brave l’autorité paternelle et débute fugitivement à
l’écran sous la direction d’Emilio Fernandez. L’homme qui domine le cinéma
mexicain de la tête et des épaules n’a pas encore trouvé son égérie en la
personne d’une transfuge hollywoodienne de retour au bercail, Dolores del Rio.
Katy Jurado épouse celui qui lui a mis le pied à l’étrier, Victor Velazquez.
Leur union est de courte durée. Qu’importe… Elle est devenue une star et la
mère de deux enfants.
En 1949, Katy Jurado met le cap sur
l’Amérique en tant que correspondante de plusieurs journaux mexicains pour
lesquels elle rédige à la fois des critiques cinématographiques et des
reportages taurins. Le septième art, elle le connaît de l’intérieur pour avoir
joué les vamps dans des films populaires qui ne la méritaient pas toujours.
Quant à la corrida, c’est sous son signe qu’elle effectue ses premiers pas
hollywoodiens, en 1951. Dans La dame et le toréador réalisé par
le débutant Budd Boetticher sous la houlette d’un producteur nommé… John Wayne,
elle incarne Chelo Estrada, l’épouse d’un fier matador incarné par son
compatriote Gilbert Roland, alias Luis Antonio Damaso de Alonso, l’un des plus
célèbres Latin Lovers de son temps. De retour au Mexique, elle incarne
L’enjôleuse de Luis Bunuel (1953) avec pour partenaire l’autre gloire
masculine de son pays : Pedro Armendariz. Entre-temps, de cet emploi de femme fatale,
Katy Jurado est passé à celui de la dévouée Helen Ramirez dans Le train
sifflera trois fois de Fred Zinnemann (1952). Bonne pioche : le film est
un triomphe qui remet Gary Cooper en selle. Et même si c’est la blonde Grace
Kelly qu’il propulse au firmament grâce à une opportune surenchère de plans
serrés, la brune Katy Jurado se fait remarquer. Au point qu’à l’approche des
Oscars, un comité de soutien se forme autour d’elle pour protester contre son
absence de nomination. En fait, la responsabilité en incombe au producteur Stanley
Kramer qui, dans l’euphorie du succès, a inscrit tous les interprètes du film
dans la catégorie… premiers rôles. Bonne fille, Katy Jurado milite activement
en faveur de sa rivale, Gloria Grahame. Le Golden Globe du meilleur second rôle
féminin qui lui est décerné efface en outre partiellement cet impair.
Bande annonce du Train sifflera trois fois de Fred Zinnemann (1952)
Très vite, Katy Jurado s’impose comme la
préposée aux rôles d’Indiennes et de sang-mêlé. Elle trouve d’ailleurs son rôle
le plus célèbre dans La lance brisée d’Edward Dmytryk (1954), un remake
de La maison des étrangers de Joseph L. Mankiewcz (1949) mâtiné des
Frères Karamazov de Fédor Dostoïevski dans lequel elle incarne une Comanche mariée à Spencer
Tracy et affublée de quatre beaux-fils dont Robert Wagner et Richard Widmark.
Elle y décroche enfin sa nomination tant attendue à l’Oscar du meilleur second
rôle féminin. Dans la plus pure logique du star-système hollywoodien qui veut que les
stars se marient entre elles, le 31 décembre 1959, Katy Jurado convole avec
Ernest Borgnine qu’elle a rencontré sur le plateau de L’or du
Hollandais de Delmer Daves (1958) et avec qui elle tournera encore Les
guérilleros de Mario Camerini (1961). Cinq ans plus tard, les jeux sont faits,
rien ne va plus. Le couple divorce et après avoir brillé sous la direction de
Henry Hathaway (Le cercle infernal, 1955), Carol Reed
(Trapèze, 1956), Marlon Brando (La vengeance aux deux
visages, 1961) et Richard Fleischer (Barabbas, 1961), Katy Jurado
entreprend la longue traversée du désert inhérente aux actrices atteintes par la limite d’âge. En 1968, celle à qui le grand Tennessee Williams dédiera sa pièce
The Red Devil Battery Sign (1975) tente même de se suicider après avoir
noyé son spleen dans l’alcool. Sa carrière tourne à vide avant de tourner
court.
De retour au Mexique au milieu des années
soixante-dix, Katy Jurado contribue activement au réveil du cinéma de son pays
en s’impliquant comme productrice dans deux films du Chilien en exil Miguel
Littin : Le recours de la méthode (1978) et La veuve Montiel (1979).
Elle profite de cette occasion pour accomplir son grand retour en tant que
comédienne. On la voit ainsi chez John Huston (Au-dessous du
volcan, 1984) ou Stephen Frears (Hi Lo Country, 1998). Figure
emblématique d’un cinéma mexicain qui lui a valu de figurer parmi les rares
élus de l’Hispanic Hall of Fame qui a célébré le 25 avril de l’an 2000 les plus
grandes personnalités de culture latine du vingtième siècle, Katy Jurado n’a
fait qu’anticiper avec quelques décennies d’avance l’avènement des beautés exotiques
dont sa compatriote Salma Hayek et la Cubaine Jennifer Lopez sont aujourd’hui
les plus célèbres représentantes. Lauréate de quatre Ariel (les César mexicains), c'est à titre posthume qu'elle a obtenu le Prix d’interprétation féminine du festival de Guadalajara pour son ultime composition dans Un secreto de Esperanza de Leopoldo Laborde (2002).
Jean-Philippe Guerand
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