Jean-François Laguionie © DR
Palme d’or à Cannes pour son septième court
métrage, La traversée de l’Atlantique à la
rame (1978), l’auteur discret de Gwen, le livre de sable (1985) et du Château des
singes (1999) s’est associé avec le dessinateur Bruno Le Floc’h pour rendre
hommage aux romans d’aventure en haute mer qui ont bercé sa jeunesse dans L’île de Black Mór (2004). Depuis
ses fenêtres qui donnent sur la place des Abbesses, au cœur de Montmartre, cet artisan aussi discret que généreux se réjouissait du succès récent des Triplettes
de Belleville de Sylvain Chomet et de La prophétie des
grenouilles de Jacques Rémy Girerd (2003), deux fleurons d’une école française dont il compte parmi les
pionniers. Il a par la suite signé Le tableau (2011).
La mer
« Quand j’étais petit, mon père fabriquait
de grands bateaux dans son jardin de banlieue, mais aucun n’a jamais pris la
mer. L’adolescent que j’étais à l’époque en profitait pour se raconter des
histoires. Et puis les gamins d’Après-Guerre n’avaient pas la télévision, alors
j’ai lu beaucoup de romans d’aventure, de Jack London à Jules Verne, et un
livre que j’ai adoré, David Balfour
de Robert Louis Stevenson. Et puis c’était la grande époque des films de
pirates, mon préféré restant Les
contrebandiers de Moonfleet de Fritz Lang que je n’ai pourtant pas revu
depuis très longtemps. En revanche, je ne possède pas d’attaches particulières
en Bretagne où j’ai situé L’île de Black Mór, mais il me fallait ce type de paysages. Je me suis donc rendu sur
place et en Cornouailles afin de dessiner des croquis des visages de marins et
des lieux qui me plaisaient. »
La traversée des apparences
«
Je n’ai jamais adapté de roman, mais j’ai longtemps travaillé avec Italo Calvino
sur une adaptation du Baron perché.
Je préfère écrire mes propres histoires. J’ai d’ailleurs publié deux recueils
de nouvelles dont certaines se déroulent au bord de la mer [rires]. Mais ce n’est pas facile d’être édité car on aime bien
cataloguer les gens. En ce moment, j’éprouve beaucoup de difficulté à passer à
la fiction traditionnelle. Pourtant, au début des années soixante-dix, j’ai
tourné Plage privée [1971] et Hélène ou le malentendu [1972], deux courts
métrages en prise de vues réelle. J’en avais dessiné tous les plans, puis j’ai
feuilleté les annuaires de comédiens pour trouver des visages qui ressemblent à
ceux des personnages que j’avais imaginés et j’ai cavalé à la recherche de
paysages correspondant à mes esquisses. »
Casting
« Pour L’île de Black Mór, que j’avais commencé par écrire sous une forme romanesque, j’ai immédiatement pensé à Michel Robin, qui jouait déjà le rôle d’une vieille femme dans mon premier long métrage, Gwen, le livre de sable, et je me suis inspiré de lui pour Maître Forbes, le personnage auquel il prête sa voix. En revanche, ma rencontre avec Jean-François Derec est le résultat d’un accident magnifique. En fait, j’avais pensé à Rufus pour le rôle de La Ficelle. Parce que quand on vit avec un personnage pendant plusieurs années, trop longtemps, on pense forcément à celui qui lui prêtera sa voix. Malheureusement, Rufus n’a pas pu. Et puis, un jour, j’ai allumé la télévision et je suis tombé sur l’émission de Laurent Ruquier où j’ai vu Derec avec son bonnet rouge. C’était La Ficelle ! Évidemment c’est un atout précieux de pouvoir enregistrer les voix avant le début de la réalisation, comme l’a fait Jacques-Rémy Girerd pour La prophétie des grenouilles, mais cela nécessite des moyens dont je ne disposais pas. »
Un nouveau public
« La sortie de La planète sauvage de René Laloux, en 1974, a provoqué un séisme
dans le petit monde de l’animation française, en prouvant que cet art possédait
désormais la maturité nécessaire pour intéresser un public adulte. Pourtant
quand j’ai réalisé mon premier long métrage, Gwen, le livre de sable, une dizaine d’années plus tard, la
situation n’avait pas vraiment évolué. L’avènement d’une génération baignée par
la bande dessinée a également contribué à élargir le public du cinéma
d’animation, mais c’est le cinéma japonais, et notamment les films d’Hayao
Miyazaki, qui ont fait évoluer définitivement les mentalités. »
Projet
« Je viens d’achever les dessins préparatoires du Tableau, un projet qui pourrait devenir mon prochain film. Il y en a environ mille trois cents, soit un par plan. Le scénario m’a été proposé par Anik Le Ray, une jeune femme qui m’a aidé à écrire les dialogues de L’île de Black Mór. Il repose sur une idée qui m’intéresse énormément et qui consiste à juxtaposer des prises de vues réelles avec de l’animation traditionnelle. Jusqu’à présent, je trouvais ce principe un peu artificiel, mais là c’est différent, car il s’agit de peinture animée. En revanche, la 3D ne m’intéresse pas. »
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand
en janvier 2004
Bande annonce du Tableau (2011)
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