Dover Kosashvili © DR
La comédie de mœurs Mariage
tardif (2001) puis le film policier Cadeau
du ciel (2003) ont révélé en Dover Kosashvili un franc-tireur du nouveau cinéma israélien originaire de la Géorgie soviétique où il est né en 1966 et a vécu jusqu’à l’âge de six ans.
Avec Infiltration (2010), libre adaptation d’un
monument de la littérature israélienne, il s’est attaché à l’apprentissage d’un bataillon de l’armée israélienne
constitué d’appelés du contingent venus de tous les horizons sociaux, géographiques
et ethniques que rien ne destinait à se retrouver réunis en plein désert en 1956 pour y subir un traitement de choc. Une initiation à la dure dont tous ne réchapperont
pas… Il a par la suite réalisé une adaptation du Duel d’Anton Tchekhov et un documentaire intitulé Sharon Amrani : Remember His Name (2010), ainsi que Revaka plus (2012).
Quand avez-vous découvert le roman de Yehoshua Kenaz dont s’inspire
votre film Infiltration ?
Dover Kosashvili J’ai lu le livre de Yehoshua
Kenaz, il y a onze ans. Le documentariste Reuven Hecker m'a alors demandé de l’aider
à en écrire une adaptation cinématographique. Il comptait réaliser le film,
mais il a fini par y renoncer, ce qui m’a incité à le remplacer.
Infiltration se déroule au cours de l’été 1956. Est-ce à vos yeux un tournant dans
l’histoire de l’État d’Israël ?
Infiltration se déroule il y a soixante ans, c’est-à-dire à une période très
particulière de l’histoire de l’État d’Israël. Aujourd’hui, il est impossible de
rendre compte de cette situation. Il n’y a plus aucun Israélien qui grandisse
dans une telle relation à l’armée.
Qu’est-ce qui a changé entre l’armée de cette époque et celle
d’aujourd’hui, selon vous ?
C’est l’expérience qui a contribué
à faire changer Tsahal. L’armée israélienne d’aujourd’hui est parfaitement
consciente d’avoir gagné plusieurs guerres.
Y a-t-il un de ces jeunes soldats que vous montrez dont vous vous êtes
senti particulièrement proche ?
Nous sommes tous des malades.
Personne ne vit comme il le voudrait. Personne n’est Dieu. Chacun d’entre nous
est contraint de faire des compromis. Nous sommes tous condamnés à trouver un juste
milieu entre la réalité et nos aspirations.
Chacun de vos films semble avoir été tourné en réaction à celui qui l’a
précédé. Qu’est-ce qui vous conditionne à raconter telle ou telle histoire et à
aborder un nouveau registre ?
Je m'ennuie très vite. Je présume
que c’est ce qui explique que je passe d'un genre à un autre. Toutefois je ne
suis pas certain que cela m’aide à progresser.
Quand avez-vous quitté votre Géorgie natale pour immigrer en Israël et
qu’est-ce qui vous a décidé à devenir réalisateur ?
J’ai fait mon alya [littéralement “montée” en hébreu, processus
d’immigration en Israël associé à une démarche d’élévation éthique] en
1972. J'avais cinq ans quand je suis arrivé en Israël. J'ai toujours voulu faire du
cinéma, parce que j’avais l’impression que dans les films, la vie est toujours plus
belle que dans la vie. Ce qui n'est évidemment pas vrai. Aujourd'hui j’ai
compris que les films ne constituent en fait qu’une pâle copie des souffrances
de l’existence.
En Israël, chaque citoyen est un soldat à un moment ou à un autre de sa
vie. Quel regard portez-vous sur ce rituel obligatoire ?
Pour parler sobrement, disons
que l’armée contribue surtout à retarder notre développement en tant que personnes
sociales.
Comment avez-vous réuni la distribution d’Infiltration ?
Pour ma plus grande joie, il
existe d’excellentes écoles de théâtre et des comédiens remarquables en Israël.
J'ai ainsi pu procéder à de nombreuses lectures préalables en testant trois distributions
totalement différentes les unes des autres. Par la suite, on s’est concentré
sur les répétitions, car je savais que je n’en aurais plus le temps au moment
du tournage proprement dit. Les acteurs se sont préparés comme ils ont coutume
de le faire au théâtre.
N’avez-vous pas été tenté de vous comporter en général sur le
tournage ?
Sur le tournage, je me suis surtout
senti très malheureux. Il ne s’est pas passé un jour où j’aie réussi à filmer
exactement ce que je voulais. J'avais un scénario de cent quarante pages qui nécessitait
la présence d’un bataillon dans la moindre de ses scènes. Or si je n’avais pas montré
au moins cinq pour cent de cette brigade dans chaque plan, il n’y aurait pas eu
de film.
Y a-t-il des cinéastes israéliens de votre génération dont vous vous
sentiez particulièrement proche ?
J'aime beaucoup Keren
Yedaya. Principalement en raison de l’équilibre qu'elle réussit à établir entre
ce qu’elle nous montre de la vie et la critique qu’elle en fait. J’apprécie particulièrement
son absence de foi. Son film Mon trésor
est ainsi l’histoire d'une pure, mais aussi d'une pute.
Quelle sera sa tonalité de votre nouveau film ?
Mon prochain film sera une
tragi-comédie intitulée Mère-fille.
C’est l’histoire d’une femme qui trouve l'amour.
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand
en avril 2011
Bande annonce de Mariage tardif (2001)
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