Byambasuren Davaa (à droite) © DR
Grâce à L’histoire du chameau qui
pleure (2003), film d’école coréalisé avec son camarade de classe Luigi Falorni, qui a obtenu une nomination à l’Oscar du meilleur documentaire et attiré près de 250 000 spectateurs français, la réalisatrice Byambasuren Davaa, née en 1971, a inscrit durablement le nom de la
Mongolie extérieure sur la carte du cinéma mondial. Dans son troisième long métrage, cette ex-présentatrice et assistante de réalisation à la télévision nationale, à nouveau remarquée pour Le chien jaune de Mongolie (2005), adopte la forme du Road Movie. Elle y suit la quête d’une chanteuse populaire,
Urna Chahar-Tugchi, rencontrée en Allemagne, à la recherche des paroles oubliées des Deux chevaux de
Gengis Khan, une ritournelle jusqu’alors perpétuée par la seule tradition orale. Une rengaine qu’elle va
reconstituer en traversant son pays de part en part afin de rassembler les bribes éparses de sa mémoire collective. Entre documentaire et fiction, balance le cœur de ce cinéma du réel pétri d’humanité. Contre l’oubli…
Byambasuren Davaa Les trois films se sont faits sans la moindre idée
préconçue, mais il est vrai qu’ils constituent une chronologie de la Mongolie
et reflètent l’évolution de mon pays. L’histoire
du chameau qui pleure s’attache à des nomades vivant en autarcie loin de la
civilisation et se termine par l’image d’une antenne satellite. À la fin du Chien jaune de Mongolie, la famille met
tout ce qu’elle possède sur un chariot et se retrouve confrontée à une
interrogation : où aller ? Quant au troisième film, Les
deux chevaux de Gengis Khan, il commence dans la ville d’Oulan-Bator.
Vos deux premiers films ont été tournés dans le cadre de l’école de cinéma de Muich où vous avez étudié,
mais ils ont connu une diffusion et un retentissement mondiaux. Comment s’explique cette
configuration plutôt atypique ?
Quand j’ai raconté à mes
camarades de classe l’idée de L’histoire
du chameau qui pleure, ils ont prétendu que j’avais tout inventé. Face à
leur scepticisme, je leur ai donc montré un reportage sur cette tradition qui
se perpétue depuis des milliers d’années. Finalement, mon projet a été retenu
et il a suscité le retentissement qu’on connaît en attirant quelque deux cent
cinquante mille spectateurs en France.
Le succès de L’histoire du chameau
qui pleure ne vous a-t-il pas donné envie de quitter l’école
prématurément ?
En fait, je n’ai rien fait
dans l’ordre. J’ai commencé par tourner un film, avant d’étudier les rudiments
théoriques qui auraient dû m’y aider. C’est seulement après le succès du L’histoire du chameau qui pleure que
j’ai dû rattraper le temps perdu, étudier l’histoire du cinéma, faire mes
devoirs et passer mes examens. Pour obtenir l’autorisation officielle de
réaliser Le chien jaune de Mongolie, qui
constituait en fait mon travail de fin d’études, j’ai dû me soumettre à une
déclaration sous serment devant trois de mes professeurs en m’engageant à
passer mes examens théoriques à l’issue du tournage.
Forte de ces deux expériences, le tournage des Deux chevaux de Gengis Khan vous a-t-il semblé plus facile ?
Après Le chien jaune de Mongolie, j’ai décidé que dorénavant j’écrirais
un scénario en bonne et due forme et que je le suivrais à la lettre, mais j’ai
procédé comme les deux fois précédentes, en m’appuyant sur une simple trame, en
l’occurrence cette fois la quête d’une chanson, sans savoir si on la trouverait
ou pas.
Avez-vous conscience d’incarner à vous seule l’avenir du cinéma
mongol ?
J’ai surtout constaté que le
succès de mes deux premiers films m’a soumis à une forte pression. Ça vient
aussi du fait que l’histoire du cinéma mongol a débuté à la fin des années
vingt, mais qu’il a été rapidement jugulé par le système soviétique qui en a
fait un instrument de propagande. Jusqu’au moment où cette industrie a été
entraînée dans l’effondrement de l’empire soviétique. Dans l’école de cinéma où
j’ai étudié, en Mongolie, aucune caméra ne marchait, faute de pièces détachées
et d’entretien.
Avez-vous subi des influences esthétiques particulières ?
Je me suis construite à la
fois sur le rejet du cinéma de propagande qui a bercé ma jeunesse et sur les
contes et légendes mongols que me racontait ma grand-mère quand j’étais petite.
Bien que j’appartienne à la première génération sédentarisée de ma famille, je
suis restée au fond de moi une nomade dans ma façon de travailler. Dans cette
tradition, il n’y a aucun écrit, mais on passe son temps à observer le moindre
mouvement de nuage, du paysage ou de la lumière, et on doit réagir très
rapidement…
Comment envisagez-vous votre avenir ?
Je travaille actuellement à
deux projets distincts, sans savoir lequel aboutira le premier. La seule chose
dont je suis sûr, c’est que j’ai envie de continuer à raconter des histoires.
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand
en juin 2011
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