Accéder au contenu principal

René Féret (1945-2015) : La parole d'un humaniste


C’était à l’automne 2008 dans sa maison lumineuse de la Campagne à Paris, rue du Retrait, dans le vingtième arrondissement. René Féret venait de réaliser Comme une étoile dans la nuit, un film intimiste à sa façon, et s’attelait déjà à l'un de ses projets les plus ambitieux, Nannerl, la sœur de Mozart. Hommage à un cinéaste rare, à tous les sens du terme, disparu en avril 2015 à l’âge de soixante-neuf ans.

René Féret © JML Distribution

Comment est née l’idée de ce film ?

René Féret. Je suis habitué à faire des films autobiographiques. Et même si j’ai évolué récemment, je continue à être davantage séduit par l’observation des autres que par l’invention d’une histoire. Là, il y a six ou sept ans, ma nièce a vécu cette histoire et j’ai d’abord été frappé par le côté odieux de ce qui lui est arrivé, puisqu’elle a perdu son compagnon, et en même temps, tout en restant assez loin de leur histoire, j’ai deviné à quel point elle était revêtue de dignité, d’amour et de classe. Et puis finalement, je lui ai envoyé une petite lettre pour lui exprimer mon admiration. On la retrouve d’ailleurs à la fin du film. Les années ont passé et il y a un an, cette histoire m’est revenue sous la forme d’un film possible, mais j’étais gêné et j’ai mis six moi avant d’oser lui en parler. J’avais cette idée, mais je la chassais parce que je trouvais déplacé de récupérer une telle matière pour en faire un film. Malgré tout, une fois, en la voyant, je lui ai dit que son histoire ferait un film formidable. Et à elle a réagi d’une façon très positive en me disant : « J’aime beaucoup tes films et si tu décidais de raconter cette histoire, j’en serais ravie parce que tout cela reste très vivant dans ma mémoire. » Or, elle a refait sa vie et elle a aujourd’hui deux enfants.
De quelle manière en avez-vous tiré un scénario ?
J’ai proposé à ma nièce de dîner cinq ou six fois avec elle pour qu’elle me raconte son histoire et surtout des circonstances. Finalement, on a dû se voir quatre fois deux heures de façon complètement informelle. Au point que je n’ai pris aucune note, que je n’ai pas réagi et que j’ai été attentif en faisant en sorte de créer une relation plutôt joyeuse. À partir de là, j’ai écrit le scénario en quinze jours. Elle l’a lu et elle m’a dit : « Ce n’est pas ça et, en même temps, c’est complètement ça, donc ça me va totalement. » Comme je suis paresseux de nature, je n’ai plus jamais touché à rien de ce que j’avais écrit. Selon elle, c’était la quintessence de ce qu’elle avait vécu et même si le scénario s’éloignait de la réalité dans sa forme et par rapport à ce qui avait été dit vraiment, toutes les séquences du film sont le fruit de ce qu’elle m’a raconté sur des faits précis.
Vous a-t-elle demandé de changer des choses ?
Non, hormis quelques détails liés à d’autres personnes. Du coup, c’est au moment du tournage que j’ai retravaillé certains éléments de dialogue. Dans la mesure où elle a validé le scénario, je l’ai considéré comme quelque chose qui lui appartenait et comme un miroir de ce qu’elle avait vécu.
L’avez-vous impliquée dans le processus cinématographique proprement dit ?
J’ai surtout tenu à l’intégrer, parce que je craignais qu’elle ne découvre le film terminé et qu’elle se sente violentée, surtout s’il y avait d’autres gens autour. Donc, comme on a tourné en plusieurs périodes séparées dans le temps, j’ai fait en sorte de lui montrer des éléments au fur et à mesure. Je l’ai aussi impliquée dans des décisions et des demandes de précisions. Elle est également venue une journée sur le tournage.
C’est la première fois que vous confrontez d’autres gens que vous-même à leur histoire ?
Pour mon précédent film, Il a suffi que maman s’en aille, je m’étais déjà inspiré d’un tiers, en l’occurrence le père de ma femme à qui j’avais demandé son accord, même si j’y ai intégré des éléments personnels, notamment en confiant le rôle à ma fille. Du coup, j’ai ramené dans le film des éléments de notre relation, même si le scénario proprement dit racontait l’histoire de cet homme qui est maître d’œuvre dans le Limousin. Avant, j’avais tourné Rue du Retrait d’après un roman de Doris Lessing qui était lui-même déjà autobiographique. C’est dire que, là aussi, je me suis vu face à quelque chose qui avait vraiment existé. C’est ce qui a un peu changé depuis L’enfant du pays, qui est le dernier jet d’un mouvement autobiographique.
Le choix de la maladie de Hodgkin dont souffre Marc dans le film a-t-il été dicté par la réalité ?
C’est la véritable histoire que je voulais raconter. Il n’était pas question qu’elle s’inscrive dans une thématique dont je m’inspire pour faire un film. Je n’ai pas travaillé, en fait [rires].

Bande annonce de Comme une étoile dans la nuit
Le choix des acteurs s’est-il avéré compliqué ?
J’entretiens avec Salomé Stévenin les mêmes rapports qu’avec ma nièce. C’est quelqu’un que j’ai vu grandir, même si c’est d’assez loin aussi, mais que j’apprécie beaucoup. C’est vrai que j’avais sans doute besoin d’un rapport quasi filial avec l’actrice qui devait interpréter ce rôle. D’ailleurs, j’ai pensé à elle tout de suite.
A-t-elle accepté immédiatement ?
À un moment elle n’a plus voulu le faire, parce qu’elle avait du mal à se voir elle-même dans un personnage de la petite bourgeoisie qui s’exprime d’une façon parfois littéraire. Sortant de Douches froides, elle aimait bien avoir quelque chose collé à elle, avec son petit langage, et elle avait vraiment du mal quand elle lisait les phrases et me disait : « Je ne peux pas dire ça ! » Et je lui rétorquais : « Mais le personnage peut le dire. Il faut donc que tu deviennes le personnage. » À un moment donné, elle m’a dit qu’elle ne sentait pas ce rôle, puis, finalement, elle a fini par accepter de mettre des jupes et de porter des hauts talons, ce qu’elle ne fait jamais dans la vie.
Comment votre nièce a-t-elle réagi à ce casting ?
Elle m’a laissé libre de mes choix, mais elle a trouvé que Nicolas Giraud ressemblait par bien des aspects à Marc, son compagnon, ce qui l’a beaucoup séduite. Pourtant je n’ai pas recherché de ressemblance physique en cherchant l’acteur qui l’interpréterait. Par ailleurs, ce n’est pas forcément intéressant pour un comédien de se trouver confronté à quelqu’un qui arrive sur la fiction comme un intrus de la réalité. Ça ne les intéressait pas forcément.
Selon quels critères avez-vous choisi Nicole Giraud ?
J’ai eu beaucoup de mal à trouver le personnage masculin et ce n’est que quinze jours avant le début du tournage que j’ai rencontré Nicolas. Jusqu’alors, les gens que j’avais vus faisaient vraiment acteurs. Lui non. D’ailleurs, avant lui, j’ai été très longtemps sur le choix d’un non-acteur qui finalement a eu peur et que je sentais trop fragile, ne serait-ce que parce que le rôle exigeait tout de même de se raser les cheveux et les sourcils. Or, c’est au moment où il a jeté l’éponge que j’ai rencontré Nicolas que j’ai choisi pour son côté simple et concret. Le personnage qu’il devait incarner était un petit ingénieur carré, droit et simple. Or il possède toutes ces qualités dans la vie. Et je me disais que s’il exprimait toutes ces impressions, il suffisait qu’il meure pour qu’on soit avec lui.
Comment avez-vous testé le couple ?
Je les ai fait se rencontrer et ils se sont plu tout de suite. Leur relation a bien fonctionné, même si lui n’était pas simple. Heureusement, Salomé qui est très fine et très intelligente a tout fait pour que ça se passe bien.
Quelle a été la plus grande difficulté du film ?
C’était de ne pas tomber dans un pathos et de trouver l’émotion dans la dignité. Il fallait aussi saisir toute la complexité du personnage féminin. Tel que c’était écrit, je ne voulais pas que la fille soit une espèce de scout un peu catho qui accomplit son devoir jusqu’au bout et qui avale tout. C’est pour ça que j’ai tenu à ce que ce soit une femme pleine de vie et de désir. Or je savais que ce potentiel-là, Salomé le détenait vraiment, mais il fallait trouver un juste équilibre pour que ce ne soit pas une fille qui s’en foute.
Comment avez-vous réussi à éviter le pathos ?
C’est une question de mesure et d’approche du jeu. Ça passe beaucoup par Salomé car elle possède cette grâce, cette finesse, cette délicatesse qui empêche de sombrer dans le pathos. Mes personnages font face à la maladie qui les renverse. Je pense que j’ai bénéficié à tout moment de l’adhérence des acteurs à la façon dont on traitait les approches du film. On a essayé sans arrêt de trouver une mesure entre la dignité, la distance et l’implication émotionnelle des personnages.
De quelle manière a évolué le scénario au moment du tournage proprement dit ?
Il a très peu changé. Les acteurs l’ont rempli avec leur présence, leur physique et leur sensibilité, car ils formaient un couple à la fois crédible et agréable. Après, ça n’a été que du détail obstiné pour arriver à trouver le ton qui convienne. Je suis très directif, en fait [rires].
On a souvent l’impression que vous vous intéressez aux gens davantage qu’aux histoires…
Sans doute, mais c’est tout le miracle de la réalisation. Avant tout il faut arriver à ce que l’acteur accepte. Je dis souvent que j’arrive au zéro sur le plateau avant chaque séquence. C’est-à-dire sans aucune préparation, sans aucune idée préconçue et sans savoir comment je vais mettre en scène. Je ne fais aucun découpage. Donc je suis plutôt dans l’acte créatif que dans la préparation d’une écriture, alors que j’étais très axé là-dessus dans mes films précédents. À l’époque de La communion solennelle, on avait dessiné chaque plan du film.
Qu’est-ce qui vous a incité à changer ?
C’est l’expérience. Peu à peu, je me suis aperçu que j’étais “meilleur” en n’ayant pas d’a priori. Comme un acteur qui improvise. Évidemment, il faut bien définir les circonstances générales de l’histoire et les circonstances particulières de la séquence. Ça c’est su, mais ce qui en résulte au niveau du jeu, de la mise en place et du découpage reste inscrit dans l’acte du moment. Et donc je demande aux acteurs de n’avoir aucun préjugé sur le jeu qu’ils vont exprimer, de n’avoir aucune intonation sur quoi que ce soit et d’attendre le moment où l’on va commencer à travailler, c’est-à-dire les deux heures que vont prendre le plan. C’est pourquoi il faut aussi une équipe technique qui suive, car c’est seulement à ce moment-là que je comprends comment on doit le faire sur le plan émotionnel. Si les acteurs sont d’accord avec moi sur le plan intellectuel, ce qui est généralement le cas, je suis le patron du jeu parce que je le sens vraiment et que je le vois. Et l’acteur est toujours un peu surpris, dans la mesure où il ne voyait jamais ça comme ça. Je sélectionne d’ailleurs généralement la première ou la dernière prise d’un plan : la première parce qu’elle donne souvent quelque chose de juste dans ce qui a été demandé et la dernière parce que c’est toujours la plus élaborée.
Vous est-il arrivé de travailler avec des comédiens qui n’acceptent pas cette méthode ?
Oui et dans ce cas-là je les renvoie. Ça m’est arrivé trois ou quatre fois. Mais je lutte… Par exemple, Nicolas [Giraud] aimait bien arriver avec des jeux faits, ce qui est un peu le drame de l’acteur car il ne peut rien sans le réalisateur.
Est-ce pour cette raison qu’on retrouve certains de vos interprètes d’un film à l’autre ?
En tout cas, ceux-là acceptent la règle du jeu. Jean-François Stévenin [le père de Salomé] m’a réconcilié avec les acteurs, par exemple. Dans Il a suffi que maman s’en aille, je l’ai supplié de ne pas jouer et il m’a suivi. Cela demande un certain courage de sa part car il adore produire des jeux. Or, pour moi, le véritable acteur est celui qui sait produire des émotions et qui n’a pas le réflexe de les transformer en signes, car c’est ça le fond du problème. Un acteur pourrait se contenter de contenir des pensées, des émotions et des humeurs. Chez les grands, c’est précisément tout ce qu’on devine qui nous fascine, jamais les signes de leur jeu. On les sent habités par quelque chose. C’est pourquoi j’apprécie les amateurs : comme ils ne savent pas jouer, on peut projeter quelque chose sur eux. Ce qui me dégoûte vraiment, c’est les productions de jeu utiles, car c’est en dehors des textes que ça se passe.
Vous n’avez jamais eu envie de vous frotter à des acteurs de premier plan ?
À une époque où il était question que la Gaumont produise Baptême, deux stars s’étaient amourachées de ce scénario -que j’avais écrit pour Valérie Stroh avec qui je vivais à l’époque- et voulaient le faire absolument. Et il est vrai que j’ai refusé parce que je trouvais que l’acteur ne ressemblait pas à mon père dont le film racontait l’histoire. Ce n’était pas un refus objectif. J’ai simplement estimé que ce n’était pas possible et on a déchiré les contrats déjà signés. Rue du Retrait, c’était Nathalie Baye qui devait le faire, mais là, le problème, c’est qu’on n’a pas trouvé d’argent du tout, compte tenu du thème de la vieillesse. Donc je ne suis pas contre, mais c’est compliqué, car je suis d’une liberté totale et que j’évolue en dehors de toute logique financière… Je ne suis pas contre le fait d’approcher des acteurs plus renommés. D’ailleurs, à un moment, je devais adapter un autre roman de Doris Lessing et je suis allé voir une actrice très connue qui a lu mon adaptation sans a priori. Mais tout est plus compliqué, du choix du directeur de la photo à celui des costumes. Je trouve que les stars françaises sont difficiles, quand même.
Comment travaillez-vous avec votre équipe technique ?
Là, je suis très emballé parce que j’ai trouvé un directeur de la photo qui est totalement en phase avec mon travail, mais cela n’a pas été facile. J’aime en changer car quand j’attaque un nouveau film, je considère que je ne ressemble pas à celui que j’étais à l’époque du film précédent. C’est peut-être un leurre, mais je pense que ça vient de mon expérience dans le cadre du théâtre de la décentralisation où chaque pièce impliquait un monde créatif différent. Et c’est vrai que je me suis très bien entendu avec Benjamin Echazarreta qui est d’origine sud-américaine, comme Gilberto Azevedo, aujourd’hui décédé, avec qui j’ai collaboré à plusieurs reprises, car l’un et l’autre acceptent le fait d’être en attente du plan qu’on va tourner et que ça va se jouer à ce moment-là, sans le moindre a priori. En fait, je les oblige à être bêtes [rires] ! Pareil pour le son : Si je veux deux caméras, j’en aurai deux et tant pis pour l’ingénieur du son. Je demande que dans le mode créatif d’un plan, l’inconséquence fasse partie du jeu, pour le réalisateur. Je déteste qu’un technicien vienne se mettre au milieu du plan en disant : « Attends, tu ne peux pas faire ça, quand même ! » Il y en a beaucoup qui réagissent du point de vue de la cohérence technique, or celle-ci est secondaire au cinéma. Avant tout, il faut inventer le plan et les techniciens doivent se taire, s’intégrer et rester concentrés.
De quelle manière faites-vous passer ce message à vos collaborateurs quand vous les engagez ?
Je demande certes le droit à l’inconséquence, mais je sais quand même ce qu’il est possible de faire ou de ne pas faire. Quand on voit des difficultés majeures au processus technique, il faut que chacun garde ça pour lui et attende de voir et de savoir comment on va fonctionner.
Est-ce pour cela que vous changez aussi souvent de chef opérateur ?
Peut-êtrte… J’ai fait trois films avec Gilberto Azevedo, deux avec Pierre Lhomme, d’autres avec des gens avec lesquels je me suis bien entendu, qu’il s’agisse de Jean-François Robin ou de Bernard Zitzerman, mais j’ai préféré instaurer à chaque fois une nouvelle relation. La fidélité existe, mais ce n’est pas un choix réel. Par exemple, aujourd’hui, je n’ai qu’une envie, c’est de retravailler avec Benjamin Echazarreta car je suis très content de notre collaboration sur Comme une étoile dans la nuit. Il n’a que trente-deux ans mais c’est un cadreur extraordinaire, et puis c’est quelqu’un qui possède une énergie intérieure sans a priori et qui est toujours prêt à aller où on lui demande.
Comment avez-vous travaillé sur la musique du film ?
Là aussi, on a fait un pari sur un Chilien, Juan Guillermo Dumay, un ami de notre directeur de la photo qu’on a rencontré assez tard et qui n’avait jamais travaillé pour le cinéma. Il est d’ailleurs rare que je m’adresse à des spécialistes. Pour Comme une étoile dans la nuit, on a même envisagé d’utiliser des morceaux existants. Il fallait que la musique soit à sa place et qu’elle serve le film, qu’elle soit à la fois digne et discrète, qu’elle n’ait pas peur de jouer son rôle et surtout qu’elle accompagne et non qu’elle paraphrase ou qu’elle illustre. Il a travaillé à partir d’un premier montage, mais il y assez peu de musique dans le film, car je ne pense pas qu’il en fallait beaucoup, hormis pour accompagner le générique et la scène du mariage.
Quelle autonomie réelle vous apporte le fait d’être à la fois réalisateur, producteur et distributeur ?
L’avantage principal, c’est que l’auteur que je suis fait ses films. Or c’est essentiel car il y a un tas de gens de mon âge qui ne tournent plus, qui font de la télé depuis quinze ans ou qui sont écartés du chemin de la création cinématographique. Moi je n’ai jamais été vraiment dedans et j’ai toujours produit mes films. À une époque, après La communion solennelle, Claude Berri me tournait autour pour me faire faire Germinal, qu’il a finalement réalisé lui-même cinq ou six ans plus tard, mais ça ne m’intéressait pas et j’ai préféré me lancer dans un film excessif et théâtral sur l’expressionnisme allemand, en l’occurrence Fernand que je suis très content d’avoir fait, avant d’enchaîner sur L’enfant roi, un film qui n’est jamais sorti. D’aucuns se seraient suicidés. Ça m’a un peu calmé sur la création et, pendant quatre ou cinq ans, je n’ai été que producteur. C’est pour dire que cette indépendance a toujours été une nécessité et que je n’ai pas d’états d’âme : si un film fait cinq mille entrées, ça ne me dérange pas. Je n’ai besoin que d’un minimum d’argent, mais je le trouve, même si c’est difficilement. Sur mes deux derniers films, je n’ai obtenu l’avance sur recettes que sur film terminé, ce qui ne représente que le cinquième de la somme que l’on touche si on l’a sur scénario. Mais ça signifie tout de même une reconnaissance et me permet de prendre certains risques en tant que producteur et de faire des films avec moins d’argent que les autres. Mais le cinéma que je fais est de plus en plus difficile à financer.
Pourquoi êtes-vous devenu aussi distributeur ?
C’est arrivé avec Rue du Retrait quand je me suis aperçu que les aides financières à la distribution servaient plus à faire fonctionner les sociétés qu’à sortir les films. Par ailleurs, j’avais déjà distribué Mystère Alexina et je n’étais donc pas étranger à ce genre de démarche. Dans la production, ce sont les scénarios qui trouvent le peu d’argent qu’ils peuvent attirer. Pour la distribution, c’est le film qui trouve les salles en fonction de sa qualité. L’important, c’est de tenir debout.
Ça ne prend pas trop de votre énergie créatrice ?
Pas du tout parce que quand je regarde des collègues qui ne sont pas producteurs, ils font le même travail, sauf qu’ils éprouvent en plus la frustration de ne pas être entendus vraiment par leur producteur ou leur distributeur. Donc le réalisateur est voué à avoir des axes de travail qui vont jusqu’à la production et la distribution, mais finalement on est content des décisions qu’on prend.
Avez-vous le sentiment d’être membre à part entière du cinéma français ?
J’ai peut-être un petit escabeau à la cuisine du grand restaurant qu’est le cinéma [rires].
Un succès populaire serait-il de nature à modifier votre statut ?
Je sais que ça pourrait m’arriver, mais je crois que ça ne changerait rien fondamentalement. Il existe des petites aides pour les gens comme moi. C’est ainsi que j’ai réussi à faire Rue du Retrait avec cent mille euros, alors même qu’il s’agissait d’une adaptation des Carnets de Jane Somers, tome 1 : Journal d'une voisine de Doris Lessing dont les seuls droits en ont coûté trente mille. En tant que producteur, j’ai pu rencontrer l’écrivain et son agent et je n’ai payé que la moitié des soixante mille euros demandés parce qu’un vrai courant de sympathie est passé entre nous. Il faut dire qu’elle a été très rarement adaptée au cinéma et qu’elle a gagné pas mal d’argent grâce à des films qui n’ont jamais réussi à se faire.
Quels sont vos projets ?
J’écris un film sur l’histoire de la sœur de Mozart. C’est un film qui va se passer sous Louis XV. Si Comme une étoile dans la nuit me place dans une meilleure position, je pourrai peut-être atteindre des financements autres que ceux des régions et des l’Avance sur recettes, ne serait-ce que les chaînes de télévision. Ce qui a changé depuis trois ou quatre films, c’est que je m’aperçois aujourd’hui que je peux continuer à travailler, même quand je dispose de très peu d’argent, avec un temps de tournage suffisant et le matériel adéquat.
L’avènement du numérique vous facilite-t-il aussi les choses ?

Indéniablement ! On peut réaliser aujourd’hui un film pour un million d’euros, alors qu’il aurait nécessité le double il y a dix ou quinze ans. Sans préjudice artistique ou perte de capacité.
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand
en octobre 2008

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la violence. En outre, c’était

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract