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Mark Osborne : Le magicien qui a dessiné (plus qu’)un mouton

Mark Osborne © Dreamworks

Le cinéma regarde depuis sa parution, en 1943, Le petit prince avec les yeux de Chimène. Après plusieurs adaptations plus décevantes les unes que les autres, le chef d’œuvre de Saint-Exupéry, publié initialement aux Etats-Unis pendant l'Occupation, a trouvé chez le réalisateur de Kung-Fu Panda, l'américain Mark Osborne, un artiste capable de transcender sa magie en la parant du nec plus ultra de la modernité : la 3D. Résultat : l’esprit originel a été sauvegardé et transposé dans un contexte résolument moderne.


©Paramount Pictures France


En quoi Le petit prince est-il un projet atypique dans le paysage de l’animation française ?

Mark Osborne Depuis le moment où j’ai commencé à essayer de résoudre cette énigme, à savoir comment adapter ce livre délicat au cinéma, cinq ans se sont écoulés, j’ai séjourné dans trois pays différents, travaillé avec 400 artistes et techniciens venus des quatre coins du monde, participé à des centaines d’heures de réunion sur Skype et des milliers d’heures de discussions, enregistré des voix dans six pays, et collaboré avec une équipe incroyablement talentueuse pour créer plus de 1 600 images et donner vie à cette histoire.

Quelle est la principale difficulté que vous ayez rencontrée au fil de ce processus ?
La principale difficulté était de trouver le moyen à la fois de rester fidèle à la très grande poésie du livre et d’en faire une véritable expérience cinématographique. Je me suis dit que la meilleure façon d’y parvenir était de protéger le livre, de le mettre à l’abri, en quelque sorte, en le plaçant au cœur même d’un récit principal qui serait plus facile à développer et à adapter aux exigences liées au grand écran. Ce qui a créé une difficulté supplémentaire, puisque pour réussir à faire cela, il fallait que je tourne le film en utilisant deux techniques différentes. La meilleure façon de protéger le livre, c’était de filmer les séquences qui y correspondent en ayant recours à la technique très artisanale de l’animation image par image (« stop motion ») et ainsi de marquer clairement la différence avec la très grande fluidité et la très grande modernité des images de synthèse du récit principal. Cela n’a pas été facile du tout et on a eu besoin de deux studios équipés complètement différemment et de deux équipes artistiques différentes pour réussir à s’en sortir.

Bande annonce du Petit prince

Quel enseignement avez-vous tiré de cette expérience ?
Cette aventure m’a surtout appris que quand on fait preuve à la fois d’ambition naïve et de passion, on se retrouve parfois dans ce genre de situation, complexe mais positive.

Quel est pour vous l’intérêt d’être à la fois réalisateur et producteur ou de n’être que l’un ou l’autre ?
Je pense que j’ai beaucoup de chance qu’on me donne l’opportunité de faire des films et il me semble que pour les faire, j’ai appris à penser à la fois en tant que réalisateur et en tant que producteur. Je veux pouvoir raconter une belle histoire qui provoque de l’émotion et qui soit totalement unique, mais je veux aussi pouvoir la raconter d’une manière qui soit accessible et distrayante.

Quelle est votre étape préférée de la production et pourquoi ?
Ce que je préfère, ce sont les moments de collaboration et de création qui relèvent de la créativité pure, quel que soit le stade de la production. Il y a beaucoup d’étapes en animation, et à chacune d’entre elles, je ne cesse d’échanger avec des artistes qui mettent de la passion et de la créativité dans tout ce qu’ils font, que ce soit un acteur faisant du doublage ou un animateur donnant vie à un personnage. J’aime énormément la collaboration qui naît à chaque étape, il se passe quelque chose de véritablement magique quand des artistes sont placés dans un environnement propice au rêve et à la création, on fait des découvertes et des choses inattendues arrivent, ce genre de magie particulière ne se fabrique pas et ne peut pas se planifier non plus.

Que pensez-vous de la technologie numérique et croyez-vous vraiment que, grâce à elle, les choses sont plus faciles que par le passé ?
Absolument. La capacité de répétition rapide que la technologie numérique offre à la réalisation de films de nos jours est stupéfiante. Même si nous avons créé notre film en mêlant une technique d’animation à l’ancienne et une technologie plus moderne, le numérique était un must. L’animation méticuleuse et artisanale image par image n’a pas été simulée en images de synthèse (contrairement à ce que certains croient). Donc les techniques analogues traditionnelles ont été indispensables pour préserver la nature très délicate de l’œuvre poétique originale mais cela ne veut pas dire que nous ne nous sommes pas appuyés sur le numérique afin de tirer le meilleur parti de cette occasion unique.  La technologie nous a permis de disposer d’un certain nombre de ressources pour enrichir notre technique très organique et traditionnelle. Concernant les images de synthèse, c’était incroyable d’avoir la possibilité de créer les images magnifiques, le look subtil et le jeu des personnages que nous avons faits en images de synthèse, ce qui n’aurait pas non plus été faisable avec n’importe quelle autre technique.

Comment avez-vous accueilli votre sélection au Festival de Cannes ?
La première du film au Festival de Cannes était une manière formidable de rendre hommage à St Ex, au livre et au travail des centaines d’artistes qui se sont impliqués corps et âme dans ce projet. Difficile d’imaginer un début plus extraordinaire pour le film que de voir tous nos efforts reconnus lors de cet événement mondial, et si après, cela peut aider l’un ou l’autre d’entre nous qui avons travaillé dessus à faire des films plus facilement, alors, ce sera un bonus fantastique.

Quels sont vos projets ?
Le prochain projet qui me tient particulièrement à cœur est de passer du temps et de partager des moments privilégiés avec ma famille !
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand

en mai 2015

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