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Le monde selon Jean-Luc Godard (2001-2014)

Fondu au noir sur le cinéaste le plus novateur de la Nouvelle Vague, décédé le 13 septembre 2022 à l'âge de 91 ans dont la disparition marque la fin d'une époque…


Jean-Luc Godard ©Éditions Montparnasse


C'est au printemps 2001, à l'occasion de la sortie d’Éloge de l’amour, que Jean-Luc Godard m'a accordé cette interview dans laquelle il évoque la Seconde Guerre mondiale avec la complicité d'un certain nombre de personnalités. Pionnier de la vidéo depuis le début des années 70, il y poursuivait à cette occasion des recherches technologiques qui ont abouti treize ans plus tard à une approche révolutionnaire de la 3D dans Adieu au langage, Prix du jury au Festival de Cannes où il ne s'est pas rendu davantage que pour la présentation de son opus précédent, Film Socialisme.

Pour quelle raison avez-vous tourné une partie d’Éloge de l’amour en numérique en retouchant les couleurs ?
Jean-Luc Godard Tout simplement, parce qu’au cinéma, et en particulier en vidéo, j’aime bien les impressionnismes. Or malgré les moyens électroniques et notamment la palette graphique, ce qui est plutôt rassurant d’une certaine manière, c’est qu’on ne peut pas faire ce qu’on fait avec de l’aquarelle, de la gouache ou de la peinture à l’huile. Donc je cherche à faire du roman avec les couleurs, un peu comme un impressionniste, même si c’est un peu moins un tableau. Tout ce que je fais, c’est que je baisse un peu les noirs, ce qui ne plaît pas aux chaînes de télévision, mais que chacun peut faire chez lui s’il veut régler son téléviseur. Ou plutôt “pouvait faire”, puisque aujourd’hui on a des programmes et en appuyant sur des touches, ils vous mettent “style cinéma”, “style ceci” ou “style cela”, donc on peut tout faire, même avec du matériel simple. Moi je ne travaille pas avec un matériel très élaboré car ça coûterait très cher et que je passerais ma vie à essayer toutes les fonctions [rires].

Bande-annonce de Film Socialisme


Sur le tournage d’Éloge de l’amour, vous avez déclaré que l’utilisation de la caméra DV créait une sorte de confusion. Pourquoi ?
En 16 ou en 35 mm, il y a quand même une certaine rigueur. Le fait que les bobines durent dix minutes impose de penser en fonction de cette contrainte. Avec les petites caméras, il n’y a plus besoin de ça donc il n’y a plus de rigueur du tout et on se croit tout permis. On pense que c’est la petite caméra qui décide, or la personne qui est derrière devrait être bien meilleure que ce qu’elle est. Dostoïevski ou Pascal auraient pu utiliser une petite caméra numérique parce qu’ils étaient extraordinairement rigoureux, mais pas les metteurs en scène d’aujourd’hui.

Qu’est-ce qui vous a décidé à utiliser cette fameuse petite caméra ?
C’était pour établir un contraste avec le noir et blanc. Avec cette petite caméra, j’ai tourné dans les conditions de l’amateur. Ça ne me gênait pas parce que ça faisait un peu film de famille. La rigueur venait de la construction et ça faisait un contraste. Que ce soit une petite ou une grosse caméra, il y avait quatre ou cinq personnes et ça suffisait.

Pourquoi avez-vous choisi de revenir au noir et blanc ?
C’est le noir et blanc ordinaire qu’il y avait autrefois et avec lequel j’ai commencé, puisque j’utilise toujours la même pellicule Kodak, la Double X, que les labos savent encore plus ou moins développer. C’était donc un tournage normal, même s’il fallait accepter d’éclairer, ce que je n’aime pas beaucoup.

Bande-annonce d’Éloge de l'amour


Qu’est devenu le personnage dont vous aviez initialement confié le rôle à Jean d’Ormesson ?
La séquence a été supprimée parce que ça venait en trop. Il n’y en avait plus besoin. C’était fini.

À quel moment avez-vous pris cette décision ?
Le jour où il devait venir [rires]. Je lui ai dit : «  Je suis désolé, mais le film est terminé. »

De quelle façon avez-vous travaillé sur l’écriture de ce film ?
Il y avait un résumé, une sorte de continuité, et puis les dialogues. Ils sont parfois là en dernière minute, d’autres fois depuis un moment. On a une trentaine de pages et on travaille à partir de ça. Si j’ajoute ou que je change des choses, je les fournis au fur et à mesure à tout le monde. L’improvisation vient comme au théâtre. Il y a la disposition des allées et venues, comme ça s’est toujours fait.

Pourquoi le tournage d’Éloge de l’amour s’est–il déroulé en deux périodes distinctes ?
Parce que je n’avais pas encore tout trouvé. En général, les interviews avec les jeunes gens et les plus vieilles gens se sont déroulées en 1999. Je n’avais pas les acteurs pour le reste et j’ai engagé Putzulu au cours de l’été. Je l’avais vu dans Les passagers de Jean-Claude Guiguet, où j’avais trouvé qu’il avait une certaine droiture, une certaine honnêteté. Or c’était ça qu’il fallait.

L’usage du noir et blanc et l’importance de Montparnasse évoquent irrésistiblement À bout de souffle. S’agit-il d’un hommage ?
Je me souviens en effet y avoir tourné quelques plans d’À bout de souffle mais c’est le jour du tournage que je me suis rendu compte que j’étais déjà au même endroit quarante ans plus tôt. C’était l’arrivée de Belmondo à Paris et l’on avait aussi filmé Notre-Dame et un plan de Saint-Michel.

Vous avez monté votre film en virtuel comme c’est désormais l’usage ?
Non, j’ai monté tout à l’ancienne. On a transféré nous-mêmes les images DV en 35 mm. Le virtuel suppose trop de manipulations à mon goût. On exécute surtout un travail comptable. La main ne sert pas à grand-chose et tel que c’est organisé, on ne bouge pas. Moi, j’aime bien avoir le temps de rembobiner. Dans ce qu’ils appellent le virtuel, on ne va jamais en arrière, on y est tout de suite. Le temps d’aller en arrière, qui était nécessaire surtout par rapport au sujet du film, se devait d’être vécu réellement. Il est précieux Le moment du mixage son va souvent trop vite à mon goût. On n’a pas le temps de se souvenir de ce qu’on a fait. Or c’est souvent deux jours que je me dis qu’il faut refaire ceci ou cela. Pour Éloge de l’amour, j’ai attendu d’avoir terminé le tournage pour me consacrer au montage car pendant l’interruption de trois quatre mois entre les deux périodes, j’ai tourné comme acteur dans Après la réconciliation d’Anne-Marie Miéville.

Un jour, justement, vous avez regretté qu’on n’ait pas la possibilité dans le cinéma, contrairement à la peinture ou à la sculpture, de s’arrêter pour prendre du recul…
Si on fait le montage sur des machines virtuelles, on est entraîné par la vitesse et les calculs. En traditionnel, au contraire, on peut monter soi-même, comme le faisait déjà Orson Welles, donc on avance à son propre rythme. Évidemment, il faut très bien s’entendre avec sa monteuse. Quand on travaille à deux, on est derrière et on a le temps de penser. Or, moi, je préfère penser en rangeant les boîtes, en nettoyant la machine ou en graissant la Steinbeck [table de montage], même si ces vieilles bécanes feraient sans doute rire les “numérisateurs” [rires].

Qu’est-il advenu de la voix off de Juliette Binoche ?
À un moment donné, j’ai pensé que ça aurait avalisé la réalité de cette personne-là. Car, en plus, elle tourne des films américains et elle a eu un Oscar. Et puis, après, je me suis dit qu’il suffisait de dire simplement qu’elle allait téléphoner. Mais que ce soit Juliette Binoche ou Sharon Stone, c’était pareil.

Juliette Binoche, c’est pourtant vous qui l’avez révélée dans Je vous salue Marie ?
À l’époque je me disais qu’une actrice américaine ne l’aurait jamais fait et comme Juliette avait commencé avec moi, elle était tout à fait d’accord sur le principe.

On pense à cette scène de Sauve qui peut (la vie) dans laquelle Jacques Dutronc annonce à ses élèves que Marguerite Duras est dans la pièce à côté, mais on ne la voit jamais…
En fait, elle était vraiment là, mais elle ne voulait pas être filmée. C’était peut-être à cause de son goût pour la voix off. Elle est venue pour ne pas être dans le champ [rires].

Pourquoi avoir choisi Spielberg comme incarnation du Satan hollywoodien ?
Parce qu’il est très connu, qu’il a réalisé La liste de Schindler et que j’avais lu quelque part que la veuve d’Oskar Schindler vivait dans la misère en Argentine malgré tout l’argent qu’a rapporté le film. Spielberg est un nom symbolique.

Comment vous situez-vous par rapport au cinéma français d’aujourd’hui ?
La difficulté de notre tâche fait que notre passion doit emprunter d’autres chemins que ceux qu’elle parcourait il y a une trentaine d’années. Ça s’est rétréci. Le paysage a changé : il y a plus d’autoroutes et moins de chemins de traverse. C’est ce qu’on partage avec ce qu’ils appellent “les pays en voie de développement”. On est en quelque sorte les plus privilégiés d’une région où l’on meurt de faim. Mais on peut moins donner sa pleine mesure, alors qu’on serait en âge de pouvoir le faire, parce qu’on doit se battre pour plus de choses et que c’est très difficile pour nous.

Éloge de l’amour est un film que vous avez mis plus de temps à faire que les autres. Pourquoi ?
Il y a eu trois ou quatre scénarios différents sous le même titre dont il est resté quelques petites traces dans le film terminé. En fait, je n’arrivais pas à trouver le chemin. Il n’y avait pas de doute parce que je cherchais mais le film est passé sous d’autres formes.

De quelle manière s’organise votre travail avec le producteur Alain Sarde ?
C’est un travail de complicité et d’amitié. Il nous trouve un peu d’argent grâce à sa position dans le cinéma français, mais ce n’est pas un mécène. Il présente le film sous son nom, pas sous celui de sa société qui appartient en fait à Canal +. C’est un appui amical qui s’exprime sous la forme de possibilités de financement.

Concernant la Shoah, pourquoi préférez-vous parler du “droit” que du “devoir” de mémoire ?
Je trouve que c’est mieux poser le problème. La mémoire est un droit. C’est au ministre de l’Éducation Nationale de faire apprendre l’histoire. Personnellement, je suis né en 1930, mais on ne m’a jamais parlé de l’Holocauste dans ma famille. Alors, petit à petit, j’ai dû faire mon éducation tout seul.

Comment expliquez-vous qu’on ne vous en ait pas parlé ?
Je ne sais pas ce qu’en pensaient mes parents. Quant à mes grands-parents maternels, ils étaient plutôt vichyssois. En y repensant après, j’ai ressenti un droit de savoir que j’avais le devoir d’examiner.

À propos de La liste de Schindler que vous citez, quelle est votre point de vue sur la représentation de l’Holocauste au cinéma ?
On ne peut pas dire l’indicible, c’est juste du texte. Shoah de Lanzmann a beaucoup apporté par sa façon de faire dire les choses avec acharnement, aussi pénibles soient-elles. Mais avant il y a eu beaucoup de films sur ce sujet dont certains sont allés à Cannes et qu’on a oubliés. C’était peut-être trop tôt. Il y en a un récent qui s’appelle Drancy Avenir [réalisé par Arnaud des Pallières en 1997] qui était très intéressant mais qui n’a pas fait trois mille entrées. Et puis, il y en a d’autres qui ont mieux marché parce qu’ils avaient une façon de dire rassurante. Quant à Benigni, ça le regarde s’il trouve que la vie était belle à Auschwitz !

Pourquoi vous dites à un moment donné que « les résistants ont été jeunes puis vieux, jamais adultes » ?
En lisant quelques livres sur cette époque, j’ai eu le sentiment qu’il y a eu un moment d’illusion lyrique comme en 68. En 1942-1943, à Alger, certains se sont dit que ça ne marcherait pas, que les partis revenaient, que de Gaulle les acceptait par rapport aux Etats-Unis. C’est cette phrase que dit la grand-mère et qu’a écrite d’Astier de La Vigerie : « L’argent était tombé au rang de moyen. » Il en fallait pour acheter une arme, du pain. C’était un moyen, ce n’était plus une fin. Mais ça n’a duré que trois ans.

Pourquoi les époux Samuel ont-ils conservé leur nom de résistance, Bayard, et ne répondent-ils pas à cette question que leur pose leur petite-fille ?
Pourquoi ont-ils gardé leur nom de bataille, Bayard, plutôt que leur patronyme de naissance ? Ça m’étonne. Donc si j’en voyais un, je lui demanderais qu’il m’explique. Il y en a deux ou trois qui sont connus, notamment Lucie Aubrac qui s’appelle en réalité Samuel [comme le couple formé dans le film par Françoise Verny et Jean Davy], Marcel Dassault qui s’appelait Bloch ou Jean-Pierre Melville qui se nommait Grumbach. Sans doute est-ce parce que la guerre n’avait rien changé en France à l’époque et que ceux qui portaient un nom juif cherchaient à le remplacer. Alors je me suis demandé si chez les résistants, c’était juste cette peur de garder un nom juif ou s’il y avait d’autres raisons, plus personnelles. Il n’y a ni reproche ni critique de ma part. Beaucoup des juifs français qui sont revenus des camps s’estimaient d’abord français, puis de religion juive, comme moi je suis de religion protestante. C’est après que le singularisme de la judéité s’est fait et eux ne tenaient pas à en faire quelque chose de spécial, ce qui peut expliquer qu’ils aient profité de leur nom de guerre. L’idée de l’Holocauste est venue beaucoup plus tard, puis c’est Lanzmann qui a lancé le nom de la Shoah, si l’on peut dire.

Votre vision du cinéma semble de plus en plus pessimiste. Est-ce juste une impression ?
Aujourd’hui, ça ne sert plus à rien. Le pessimisme, c’était il y a dix ans. Pour moi, je retrouve un moment que j’ai connu il y a environ quarante-cinq ans où c’était difficile de faire un film. À l’époque, ce n’était pas admis parce qu’on ne faisait pas partie du milieu cinématographique qui était presque comme un syndicat fermé, ce qui ne veut pas dire qu’ils étaient tous syndiqués. C’était comme le cirque : si l’on était extérieur, ça ne se faisait pas comme ça. Et d’une certaine manière, c’est la même chose autrement. Il n’y a pas à être pessimiste ou optimiste. Au contraire. Mais venant avec l’âge et les difficultés, on se dit que l’espérance st toujours là. Il n’est pas encore interdit par le ministère de l’Intérieur de faire un film en 35 mm ou de monter en traditionnel, de même qu’il n’est pas obligatoire de tourner avec Sharon Stone. Tout est possible, même si tout n’est pas accepté, mais c’était déjà le cas à l’époque. À un moment, moi en tout cas, j’ai cru qu’on rentrait dans ce sérail. François Truffaut, lui, y est parvenu. Je ne le connaissais pas très bien, mais c’était un enfant de la rue qui a fait de la prison et qui a déserté. Moi, quand j’ai déserté, je suis simplement passé d’un pays à un autre. Il n’y a pas eu de drame. Alors, après, je pense qu’il avait le désir d’être accepté par les grandes familles du cinéma. Je crois qu’il a été le premier et le seul Français accepté à Hollywood. Chabrol y est rentré complètement lui aussi. Rivette est marginal, Straub aussi, Garrel aussi. Pourtant ils continuent parce que l’espérance est là.

Pourquoi avez-vous renoncé à adapter Truismes ?
C’était trop difficile. Il s’agissait d’une fausse bonne idée. Et puis, pour un projet comme celui-là, il faut être deux ou trois dont un producteur qui en soit vraiment un et qui veuille la chose. Si un vrai producteur, quel qu’il soit, sur la place de Paris, disait « Je veux faire Truismes et je veux que ce soit vous qui le fassiez », peut-être que cela serait fait. Tout seul, non. Et puis je m’étais dit, ce qui était une erreur, que j’achetais les droits et, comme le livre a eu du succès, si ça ne marchait pas, je revendrais mon option [rires]. Du coup, ma société de production a perdu cinq cent mille francs et Marie Darrieussec en a gagné cinq cent mille !

Que pensez-vous des possibilités qu’offre désormais le DVD en mettant à la portée de tous scènes coupées, reportages sur les tournages, commentaires et autres bonus, ?
Si l’on montre les à côté des films, il faut faire un vrai travail d’historien. J’y avais d’ailleurs pensé pour les Histoires du cinéma mais ça ne s’est pas concrétisé car Gaumont ne voulait pas les éditer en DVD.

À l’époque des Cahiers du Cinéma, votre doctrine consistait à n’écrire que sur les films que vous aimiez. Or, au plus fort de la polémique qui a opposé critiques et metteurs en scène, Luc Besson suivi par Patrice Leconte a affirmé qu’« un film est un objet gentil ». Qu’en pensez-vous ?
Je ne vois pas ce que ça veut dire. Sinon que le cinéma est comme le Club Med : il y a les Gentils Organisateurs et les Gentils Membres [rires].

« Un tournage est une bataille », déclarait Robert Bresson aux journalistes Jean-Luc Godard et Jacques Doniol-Valcroze à l’époque de la sortie de Pickpocket. Partagez-vous ce point de vue.
Pour moi un peu, oui, parce que je n’arrive pas toujours à me faire bien comprendre de l’équipe et je continue à chercher. Mais mes derniers films ont moins été des batailles. Soit parce que j’ai mis de l’eau dans mon vin, soit parce que je me comporte mieux, même si je suis en terrain inconnu. Ce sont surtout les rapports avec les autres qui ne sont pas très autonomes. S’ils n’ont rien à faire, ils s’ennuient. Pour moi, ça doit se passer quand j’arrive le matin. Je dis « On va faire ça » et le temps qu’ils préparent, ça me fait une heure de tranquillité au cours de laquelle j’ai le temps d‘affiner ma pensée et de dire « Non, on va plutôt faire ça ».

Après la conférence de presse cannoise de King Lear, votre producteur Menahem Golan avait déclaré que vous ne devriez pas faire des films mais plutôt des conférences de presse…
Pourquoi pas ! J’aurais beaucoup mieux aimé qu’il me paie pour faire des conférences de presse et après j’aurais eu de l’argent pour faire autre chose que Le roi Lear.

King Lear n’est jamais sorti commercialement sur les écrans français. Est-ce pour vous une frustration ?
King Lear appartient à la MGM. Il est passé un peu aux Etats-Unis mais n’est jamais sorti en France. J’ai une relative fierté paradoxale d’avoir réussi à survivre ces dernières années avec des films qui ne sont pas sortis. J’aurai tout connu dans le cinéma et j’en suis assez content. J’ai tourné pour Darty, pour le musée d’Art moderne et aussi Allemagne neuf zéro qui est passé à la télé, mais qui n’est jamais sorti en salles.

Vous avez commencé à vous intéresser au cinéma assez tardivement. Comment vous est venue cette vocation ?
J’ai vraiment découvert le cinéma à dix-sept ans, mais ça ne me semblait pas si tardif. Jusqu’au bac, comme je n’étais pas mauvais en maths, j’ai pensé que j’étudierais les sciences et que je deviendrais ingénieur ou géomètre. Et puis, j’ai décroché très vite. C’est la lecture de La revue du cinéma qui m’a laissé entrevoir un nouveau monde. Jusque-là, on m’avait parlé de la littérature, de la musique, du sport, mais pas vraiment du cinéma. Enfant, j’allais voir les films qui passaient au cinéma de la petite ville où j’habitais. En fait, on n’avait le droit d’y aller que le dimanche.

Y a-t-il un film qui vous ait marqué plus particulièrement ?
Non, aucun. La revue du cinéma, c’était surtout la notion d’un continent artistique dont je n’avais pas entendu parler, par des explorateurs qui le décrivaient.

Le Festival de Cannes a-t-il encore un sens pour vous ?
Là, pour ce film, si ça peut aider à le faire connaître, c’est très bien.

Woody Allen a déclaré un jour qu’il n’accepterait d’être en compétition dans un festival que si tous les films traitaient du même sujet. Qu’en pensez-vous ?
Ça serait intéressant. Il y a quelques années, je voulais adapter 1275 âmes de Jim Thompson. Or Bertrand Tavernier avait eu la même idée en même temps et je lui ai proposé qu’on fasse chacun sa version en partageant les droits. Mais il a refusé et il en a tiré Coup de torchon.

Vous n’avez jamais été tenté de vous attaquer à un remake ?
Si. Maintenant c’est passé, mais il y a sept ou huit ans, j’ai eu envie de faire un remake plan par plan des Dames du Bois de Boulogne, avec d’autres acteurs. Et puis, finalement j’ai abandonné. C’était une idée qui revenait de temps en temps quand je ne savais pas quoi faire. Il y a des moments où je me dis : « Qu’est-ce que je vais faire ? J’sais pas quoi faire… »

…Comme Anna Karina dans Pierrot le fou ?
Oui, mais maintenant c’est moins le cas. Là, j’ai un vague projet dont j’ai trouvé le titre. Or souvent, une fois que je l’ai trouvé, le titre est comme une boussole. Celui-ci s’intitule Les Paks avec, entre parenthèses, Ce qui reste de l’être humain. Parce qu’on ne peut pas appeler un film comme ça et qu’il faut respecter le titre. Les Paks, ça fait film de science-fiction, mais il y est en fait question du Pacs en France à travers l’histoire de deux couples homosexuels, l’un d’hommes, l’autre de femmes, qui adoptent chacun un enfant. Puis dans la cour d’école, il se trouve que ces enfants, une fille et un garçon, deviennent bons amis.

Quand aurez-vous l’impression que la boucle est bouclée ?
Au moment où je sentirai que je n’ai plus les possibilités. Parce que l’élan et le côté physique comptent énormément pour un metteur en scène de cinéma. Si Manoel de Oliveira peut continuer à tourner, comme Vittorio de Sica en son temps, c’est parce qu’il vient sur le tournage quand tout est prêt.

Les journalistes Claude Baignères et Remo Forlani, l'éditrice Françoise Verny… Pourquoi avez-vous choisi ces personnalités médiatiques comme interprètes plutôt que des acteurs ?
J’aime les mélanges. Ce sont les immigrés et les autochtones. Mais c’est vieux comme le monde, ou plutôt depuis que le cinéma existe. Dans Journal d’un curé de campagne, Bresson avait pris son docteur. Quand Claude Baignères, qui est critique au Figaro, accepte de faire l’acteur, ce n’est pas rien. C’est un don qu’il me fait avec son propre corps. Je n’attends pas de lui qu’il me mette trois étoiles dans son journal ! Remo Forlani et lui correspondaient parfaitement à l’idée que je me fais de ces gens qui ont été jeunes avant guerre. Leos Carax, dans King Lear, c’était Juliette Binoche qui m’avait demandé si je pouvais lui rendre le service de lui faire passer trois semaines parce qu’il allait mal et j’ai inventé quelque chose pour lui.
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand
en avril 2001



Bande-annonce d’Adieu au langage



Mot d’excuse de Jean-Luc Godard à Gilles Jacob et Thierry Frémaux
pour ne pas être venu présenter au festival de Cannes 2014
Adieu au langage et son sketch des Ponts de Sarajevo 



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