Fondu au noir sur le cinéaste le plus novateur de la Nouvelle Vague, décédé le 13 septembre 2022 à l'âge de 91 ans dont la disparition marque la fin d'une époque…
Jean-Luc Godard ©Éditions Montparnasse
C'est au printemps 2001, à l'occasion de la sortie d’Éloge de l’amour, que Jean-Luc Godard m'a accordé cette interview dans laquelle il évoque la Seconde Guerre mondiale avec la complicité d'un certain nombre de personnalités. Pionnier de la vidéo depuis le début des années 70, il y poursuivait à cette occasion des recherches technologiques qui ont abouti treize ans plus tard à une approche révolutionnaire de la 3D dans Adieu au langage, Prix du jury au Festival de Cannes où il ne s'est pas rendu davantage que pour la présentation de son opus précédent, Film Socialisme.
Pour quelle raison avez-vous tourné une partie d’Éloge de l’amour en numérique en retouchant les couleurs ?
Jean-Luc Godard Tout simplement, parce qu’au cinéma, et en particulier en vidéo, j’aime bien les impressionnismes. Or malgré les moyens électroniques et notamment la palette graphique, ce qui est plutôt rassurant d’une certaine manière, c’est qu’on ne peut pas faire ce qu’on fait avec de l’aquarelle, de la gouache ou de la peinture à l’huile. Donc je cherche à faire du roman avec les couleurs, un peu comme un impressionniste, même si c’est un peu moins un tableau. Tout ce que je fais, c’est que je baisse un peu les noirs, ce qui ne plaît pas aux chaînes de télévision, mais que chacun peut faire chez lui s’il veut régler son téléviseur. Ou plutôt “pouvait faire”, puisque aujourd’hui on a des programmes et en appuyant sur des touches, ils vous mettent “style cinéma”, “style ceci” ou “style cela”, donc on peut tout faire, même avec du matériel simple. Moi je ne travaille pas avec un matériel très élaboré car ça coûterait très cher et que je passerais ma vie à essayer toutes les fonctions [rires].
Bande-annonce de Film Socialisme
Sur le tournage d’Éloge de l’amour, vous avez déclaré que l’utilisation de la caméra DV créait une sorte de confusion. Pourquoi ?
En 16 ou en 35 mm, il y
a quand même une certaine rigueur. Le fait que les bobines durent dix minutes
impose de penser en fonction de cette contrainte. Avec les petites caméras, il
n’y a plus besoin de ça donc il n’y a plus de rigueur du tout et on se croit
tout permis. On pense que c’est la petite caméra qui décide, or la personne qui
est derrière devrait être bien meilleure que ce qu’elle est. Dostoïevski ou
Pascal auraient pu utiliser une petite caméra numérique parce qu’ils étaient
extraordinairement rigoureux, mais pas les metteurs en scène d’aujourd’hui.
Qu’est-ce qui vous a décidé à utiliser cette
fameuse petite caméra ?
C’était pour établir un
contraste avec le noir et blanc. Avec cette petite caméra, j’ai tourné dans les
conditions de l’amateur. Ça ne me gênait pas parce que ça faisait un peu film
de famille. La rigueur venait de la construction et ça faisait un contraste.
Que ce soit une petite ou une grosse caméra, il y avait quatre ou cinq
personnes et ça suffisait.
Pourquoi avez-vous choisi de revenir au noir et blanc ?
C’est le noir et blanc
ordinaire qu’il y avait autrefois et avec lequel j’ai commencé, puisque j’utilise
toujours la même pellicule Kodak, la Double X, que les labos savent encore plus
ou moins développer. C’était donc un tournage normal, même s’il fallait
accepter d’éclairer, ce que je n’aime pas beaucoup.
Bande-annonce d’Éloge de l'amour
Qu’est devenu le personnage dont vous aviez initialement confié le rôle à Jean d’Ormesson ?
La séquence a été
supprimée parce que ça venait en trop. Il n’y en avait plus besoin. C’était
fini.
À quel moment avez-vous pris cette décision ?
Le jour où il devait
venir [rires]. Je lui ai dit : « Je
suis désolé, mais le film est terminé. »
De
quelle façon avez-vous travaillé sur l’écriture de ce film ?
Il y avait un résumé,
une sorte de continuité, et puis les dialogues. Ils sont parfois là en dernière
minute, d’autres fois depuis un moment. On a une trentaine de pages et on
travaille à partir de ça. Si j’ajoute ou que je change des choses, je les
fournis au fur et à mesure à tout le monde. L’improvisation vient comme au théâtre.
Il y a la disposition des allées et venues, comme ça s’est toujours fait.
Pourquoi
le tournage d’Éloge de l’amour s’est–il
déroulé en deux périodes distinctes ?
Parce que je n’avais pas
encore tout trouvé. En général, les interviews avec les jeunes gens et les plus
vieilles gens se sont déroulées en 1999. Je n’avais pas les acteurs pour le
reste et j’ai engagé Putzulu au cours de l’été. Je l’avais vu dans Les passagers de Jean-Claude Guiguet, où
j’avais trouvé qu’il avait une certaine droiture, une certaine honnêteté. Or c’était
ça qu’il fallait.
L’usage du noir et blanc et l’importance de Montparnasse évoquent
irrésistiblement À bout de souffle. S’agit-il
d’un hommage ?
Je me souviens en effet
y avoir tourné quelques plans d’À bout de
souffle mais c’est le jour du tournage que je me suis rendu compte que j’étais
déjà au même endroit quarante ans plus tôt. C’était l’arrivée de Belmondo à
Paris et l’on avait aussi filmé Notre-Dame et un plan de Saint-Michel.
Vous avez monté votre film en virtuel comme c’est
désormais l’usage ?
Non, j’ai monté tout à l’ancienne.
On a transféré nous-mêmes les images DV en 35 mm. Le virtuel suppose trop de
manipulations à mon goût. On exécute surtout un travail comptable. La main ne sert
pas à grand-chose et tel que c’est organisé, on ne bouge pas. Moi, j’aime bien
avoir le temps de rembobiner. Dans ce qu’ils appellent le virtuel, on ne va
jamais en arrière, on y est tout de suite. Le temps d’aller en arrière, qui était
nécessaire surtout par rapport au sujet du film, se devait d’être vécu réellement.
Il est précieux Le moment du mixage son va souvent trop vite à mon goût. On n’a
pas le temps de se souvenir de ce qu’on a fait. Or c’est souvent deux jours que
je me dis qu’il faut refaire ceci ou cela. Pour Éloge de l’amour, j’ai attendu d’avoir terminé le tournage pour me
consacrer au montage car pendant l’interruption de trois quatre mois entre les
deux périodes, j’ai tourné comme acteur dans Après la réconciliation d’Anne-Marie Miéville.
Un jour, justement, vous avez regretté qu’on n’ait
pas la possibilité dans le cinéma, contrairement à la peinture ou à la
sculpture, de s’arrêter pour prendre du recul…
Si on fait le montage
sur des machines virtuelles, on est entraîné par la vitesse et les calculs. En
traditionnel, au contraire, on peut monter soi-même, comme le faisait déjà
Orson Welles, donc on avance à son propre rythme. Évidemment, il faut très bien
s’entendre avec sa monteuse. Quand on travaille à deux, on est derrière et on a
le temps de penser. Or, moi, je préfère penser en rangeant les boîtes, en
nettoyant la machine ou en graissant la Steinbeck [table de montage], même si ces vieilles bécanes feraient sans
doute rire les “numérisateurs” [rires].
Qu’est-il advenu de la voix off de
Juliette Binoche ?
À un moment donné, j’ai
pensé que ça aurait avalisé la réalité de cette personne-là. Car, en plus, elle
tourne des films américains et elle a eu un Oscar. Et puis, après, je me suis
dit qu’il suffisait de dire simplement qu’elle allait téléphoner. Mais que ce
soit Juliette Binoche ou Sharon Stone, c’était pareil.
Juliette Binoche, c’est pourtant vous qui
l’avez révélée dans Je vous salue Marie ?
À l’époque je me disais
qu’une actrice américaine ne l’aurait jamais fait et comme Juliette avait
commencé avec moi, elle était tout à fait d’accord sur le principe.
On pense à cette scène de Sauve qui peut (la vie) dans laquelle
Jacques Dutronc annonce à ses élèves que Marguerite Duras est dans la pièce à côté,
mais on ne la voit jamais…
En fait, elle était
vraiment là, mais elle ne voulait pas être filmée. C’était peut-être à cause de
son goût pour la voix off. Elle est venue pour ne pas être dans le champ [rires].
Pourquoi
avoir choisi Spielberg comme incarnation du Satan hollywoodien ?
Parce qu’il est très
connu, qu’il a réalisé La liste de
Schindler et que j’avais lu quelque part que la veuve d’Oskar Schindler
vivait dans la misère en Argentine malgré tout l’argent qu’a rapporté le film.
Spielberg est un nom symbolique.
Comment vous situez-vous par rapport au cinéma
français d’aujourd’hui ?
La difficulté de notre tâche
fait que notre passion doit emprunter d’autres chemins que ceux qu’elle
parcourait il y a une trentaine d’années. Ça s’est rétréci. Le paysage a changé :
il y a plus d’autoroutes et moins de chemins de traverse. C’est ce qu’on
partage avec ce qu’ils appellent “les pays en voie de développement”. On est en
quelque sorte les plus privilégiés d’une région où l’on meurt de faim. Mais on
peut moins donner sa pleine mesure, alors qu’on serait en âge de pouvoir le
faire, parce qu’on doit se battre pour plus de choses et que c’est très
difficile pour nous.
Éloge de l’amour est un film que vous avez mis plus de temps à faire que les
autres. Pourquoi ?
Il y a eu trois ou
quatre scénarios différents sous le même titre dont il est resté quelques
petites traces dans le film terminé. En fait, je n’arrivais pas à trouver le
chemin. Il n’y avait pas de doute parce que je cherchais mais le film est passé
sous d’autres formes.
De quelle manière s’organise votre travail avec le
producteur Alain Sarde ?
C’est un travail
de complicité et d’amitié. Il nous trouve un peu d’argent grâce à sa position
dans le cinéma français, mais ce n’est pas un mécène. Il présente le film sous
son nom, pas sous celui de sa société qui appartient en fait à Canal +. C’est
un appui amical qui s’exprime sous la forme de possibilités de financement.
Concernant
la Shoah, pourquoi préférez-vous parler du “droit” que du “devoir” de mémoire ?
Je trouve que c’est
mieux poser le problème. La mémoire est un droit. C’est au ministre de l’Éducation
Nationale de faire apprendre l’histoire. Personnellement, je suis né en 1930,
mais on ne m’a jamais parlé de l’Holocauste dans ma famille. Alors, petit à
petit, j’ai dû faire mon éducation tout seul.
Comment expliquez-vous qu’on ne vous en ait pas parlé ?
Je ne sais pas ce qu’en
pensaient mes parents. Quant à mes grands-parents maternels, ils étaient plutôt
vichyssois. En y repensant après, j’ai ressenti un droit de savoir que j’avais
le devoir d’examiner.
À propos de La liste
de Schindler que vous citez, quelle est votre point de vue sur la représentation
de l’Holocauste au cinéma ?
On
ne peut pas dire l’indicible, c’est juste du texte. Shoah de Lanzmann a beaucoup
apporté par sa façon de faire dire les choses avec acharnement, aussi pénibles
soient-elles. Mais avant il y a eu beaucoup de films sur ce sujet dont certains
sont allés à Cannes et qu’on a oubliés. C’était peut-être trop tôt. Il y en a
un récent qui s’appelle Drancy Avenir [réalisé
par Arnaud des Pallières en 1997] qui était très intéressant mais qui n’a
pas fait trois mille entrées. Et puis, il y en a d’autres qui ont mieux marché
parce qu’ils avaient une façon de dire rassurante. Quant à Benigni, ça le
regarde s’il trouve que la vie était belle à Auschwitz !
Pourquoi
vous dites à un moment donné que « les résistants ont été jeunes puis
vieux, jamais adultes » ?
En lisant quelques livres sur cette époque, j’ai eu le
sentiment qu’il y a eu un moment d’illusion lyrique comme en 68. En 1942-1943, à
Alger, certains se sont dit que ça ne marcherait pas, que les partis
revenaient, que de Gaulle les acceptait par rapport aux Etats-Unis. C’est cette
phrase que dit la grand-mère et qu’a écrite d’Astier de La Vigerie : « L’argent
était tombé au rang de moyen. » Il en fallait pour acheter une arme, du
pain. C’était un moyen, ce n’était plus une fin. Mais ça n’a duré que trois
ans.
Pourquoi
les époux Samuel ont-ils conservé leur nom de résistance, Bayard, et ne répondent-ils
pas à cette question que leur pose leur petite-fille ?
Pourquoi ont-ils gardé
leur nom de bataille, Bayard, plutôt que leur patronyme de naissance ? Ça
m’étonne. Donc si j’en voyais un, je lui demanderais qu’il m’explique. Il y en
a deux ou trois qui sont connus, notamment Lucie Aubrac qui s’appelle en réalité
Samuel [comme le couple formé dans le
film par Françoise Verny et Jean Davy], Marcel Dassault qui s’appelait
Bloch ou Jean-Pierre Melville qui se nommait Grumbach. Sans doute est-ce parce
que la guerre n’avait rien changé en France à l’époque et que ceux qui
portaient un nom juif cherchaient à le remplacer. Alors je me suis demandé si
chez les résistants, c’était juste cette peur de garder un nom juif ou s’il y
avait d’autres raisons, plus personnelles. Il n’y a ni reproche ni critique de
ma part. Beaucoup des juifs français qui sont revenus des camps s’estimaient d’abord
français, puis de religion juive, comme moi je suis de religion protestante. C’est
après que le singularisme de la judéité s’est fait et eux ne tenaient pas à en
faire quelque chose de spécial, ce qui peut expliquer qu’ils aient profité de
leur nom de guerre. L’idée de l’Holocauste est venue beaucoup plus tard, puis c’est
Lanzmann qui a lancé le nom de la Shoah, si l’on peut dire.
Votre
vision du cinéma semble de plus en plus pessimiste. Est-ce juste une impression ?
Aujourd’hui, ça ne sert
plus à rien. Le pessimisme, c’était il y a dix ans. Pour moi, je retrouve un
moment que j’ai connu il y a environ quarante-cinq ans où c’était difficile de
faire un film. À l’époque, ce n’était pas admis parce qu’on ne faisait pas
partie du milieu cinématographique qui était presque comme un syndicat fermé,
ce qui ne veut pas dire qu’ils étaient tous syndiqués. C’était comme le cirque :
si l’on était extérieur, ça ne se faisait pas comme ça. Et d’une certaine manière,
c’est la même chose autrement. Il n’y a pas à être pessimiste ou optimiste. Au
contraire. Mais venant avec l’âge et les difficultés, on se dit que l’espérance
st toujours là. Il n’est pas encore interdit par le ministère de l’Intérieur de
faire un film en 35 mm ou de monter en traditionnel, de même qu’il n’est pas
obligatoire de tourner avec Sharon Stone. Tout est possible, même si tout n’est
pas accepté, mais c’était déjà le cas à l’époque. À un moment, moi en tout cas,
j’ai cru qu’on rentrait dans ce sérail. François Truffaut, lui, y est parvenu.
Je ne le connaissais pas très bien, mais c’était un enfant de la rue qui a fait
de la prison et qui a déserté. Moi, quand j’ai déserté, je suis simplement passé
d’un pays à un autre. Il n’y a pas eu de drame. Alors, après, je pense qu’il
avait le désir d’être accepté par les grandes familles du cinéma. Je crois qu’il
a été le premier et le seul Français accepté à Hollywood. Chabrol y est rentré
complètement lui aussi. Rivette est marginal, Straub aussi, Garrel aussi.
Pourtant ils continuent parce que l’espérance est là.
Pourquoi avez-vous renoncé à adapter Truismes ?
C’était trop difficile.
Il s’agissait d’une fausse bonne idée. Et puis, pour un projet comme celui-là,
il faut être deux ou trois dont un producteur qui en soit vraiment un et qui
veuille la chose. Si un vrai producteur, quel qu’il soit, sur la place de
Paris, disait « Je veux faire Truismes
et je veux que ce soit vous qui le fassiez », peut-être que cela serait
fait. Tout seul, non. Et puis je m’étais dit, ce qui était une erreur, que j’achetais
les droits et, comme le livre a eu du succès, si ça ne marchait pas, je
revendrais mon option [rires]. Du
coup, ma société de production a perdu cinq cent mille francs et Marie
Darrieussec en a gagné cinq cent mille !
Que
pensez-vous des possibilités qu’offre désormais le DVD en mettant à la portée
de tous scènes coupées, reportages sur les tournages, commentaires et autres
bonus, ?
Si l’on montre les à côté
des films, il faut faire un vrai travail d’historien. J’y avais d’ailleurs pensé
pour les Histoires du cinéma mais ça
ne s’est pas concrétisé car Gaumont ne voulait pas les éditer en DVD.
À
l’époque des Cahiers du Cinéma, votre
doctrine consistait à n’écrire que sur les films que vous aimiez. Or, au plus
fort de la polémique qui a opposé critiques et metteurs en scène, Luc Besson
suivi par Patrice Leconte a affirmé qu’« un film est un objet gentil ».
Qu’en pensez-vous ?
Je ne vois pas ce que ça
veut dire. Sinon que le cinéma est comme le Club Med : il y a les Gentils
Organisateurs et les Gentils Membres [rires].
« Un tournage est une bataille », déclarait Robert
Bresson aux journalistes Jean-Luc Godard et Jacques Doniol-Valcroze à l’époque
de la sortie de Pickpocket.
Partagez-vous ce point de vue.
Pour moi un peu, oui,
parce que je n’arrive pas toujours à me faire bien comprendre de l’équipe et je
continue à chercher. Mais mes derniers films ont moins été des batailles. Soit
parce que j’ai mis de l’eau dans mon vin, soit parce que je me comporte mieux,
même si je suis en terrain inconnu. Ce sont surtout les rapports avec les
autres qui ne sont pas très autonomes. S’ils n’ont rien à faire, ils s’ennuient.
Pour moi, ça doit se passer quand j’arrive le matin. Je dis « On va faire ça »
et le temps qu’ils préparent, ça me fait une heure de tranquillité au cours de
laquelle j’ai le temps d‘affiner ma pensée et de dire « Non, on va plutôt faire
ça ».
Après la conférence de presse cannoise de King Lear, votre producteur Menahem
Golan avait déclaré que vous ne devriez pas faire des films mais plutôt des
conférences de presse…
Pourquoi pas !
J’aurais beaucoup mieux aimé qu’il me paie pour faire des conférences de presse
et après j’aurais eu de l’argent pour faire autre chose que Le roi Lear.
King
Lear
n’est jamais sorti commercialement sur les écrans français. Est-ce pour vous une
frustration ?
King Lear appartient à la MGM. Il est passé un peu
aux Etats-Unis mais n’est jamais sorti en France. J’ai une relative fierté
paradoxale d’avoir réussi à survivre ces dernières années avec des films qui ne
sont pas sortis. J’aurai tout connu dans le cinéma et j’en suis assez content.
J’ai tourné pour Darty, pour le musée d’Art moderne et aussi Allemagne neuf zéro qui est passé à la télé,
mais qui n’est jamais sorti en salles.
Vous avez commencé à vous intéresser au
cinéma assez tardivement. Comment vous est venue cette vocation ?
J’ai
vraiment découvert le cinéma à dix-sept ans, mais ça ne me semblait pas si
tardif. Jusqu’au bac, comme je n’étais pas mauvais en maths, j’ai pensé que j’étudierais
les sciences et que je deviendrais ingénieur ou géomètre. Et puis, j’ai décroché
très vite. C’est la lecture de La revue du cinéma qui m’a laissé entrevoir un
nouveau monde. Jusque-là, on m’avait parlé de la littérature, de la musique, du
sport, mais pas vraiment du cinéma. Enfant, j’allais voir les films qui
passaient au cinéma de la petite ville où j’habitais. En fait, on n’avait le
droit d’y aller que le dimanche.
Y a-t-il un film qui vous ait marqué plus particulièrement ?
Non, aucun. La revue du cinéma, c’était surtout la
notion d’un continent artistique dont je n’avais pas entendu parler, par des
explorateurs qui le décrivaient.
Le Festival de Cannes a-t-il encore un
sens pour vous ?
Là, pour ce film, si ça
peut aider à le faire connaître, c’est très bien.
Woody Allen a déclaré un jour qu’il n’accepterait
d’être en compétition dans un festival que si tous les films traitaient du même
sujet. Qu’en pensez-vous ?
Ça serait intéressant.
Il y a quelques années, je voulais adapter 1275
âmes de Jim Thompson. Or Bertrand Tavernier avait eu la même idée en même
temps et je lui ai proposé qu’on fasse chacun sa version en partageant les
droits. Mais il a refusé et il en a tiré Coup
de torchon.
Vous n’avez jamais été tenté de vous attaquer à un remake ?
Si. Maintenant c’est
passé, mais il y a sept ou huit ans, j’ai eu envie de faire un remake plan par
plan des Dames du Bois de Boulogne,
avec d’autres acteurs. Et puis, finalement j’ai abandonné. C’était une idée qui
revenait de temps en temps quand je ne savais pas quoi faire. Il y a des
moments où je me dis : « Qu’est-ce que je vais faire ? J’sais
pas quoi faire… »
…Comme Anna Karina dans Pierrot
le fou ?
Oui,
mais maintenant c’est moins le cas. Là, j’ai un vague projet dont j’ai trouvé
le titre. Or souvent, une fois que je l’ai trouvé, le titre est comme une
boussole. Celui-ci s’intitule Les Paks
avec, entre parenthèses, Ce qui reste de
l’être humain. Parce qu’on ne peut pas appeler un film comme ça et qu’il
faut respecter le titre. Les Paks, ça
fait film de science-fiction, mais il y est en fait question du Pacs en France à
travers l’histoire de deux couples homosexuels, l’un d’hommes, l’autre de
femmes, qui adoptent chacun un enfant. Puis dans la cour d’école, il se trouve
que ces enfants, une fille et un garçon, deviennent bons amis.
Quand aurez-vous l’impression que la
boucle est bouclée ?
Au moment où je sentirai
que je n’ai plus les possibilités. Parce que l’élan et le côté physique
comptent énormément pour un metteur en scène de cinéma. Si Manoel de Oliveira
peut continuer à tourner, comme Vittorio de Sica en son temps, c’est parce qu’il
vient sur le tournage quand tout est prêt.
Les journalistes Claude
Baignères et Remo Forlani, l'éditrice Françoise Verny… Pourquoi avez-vous choisi ces personnalités médiatiques
comme interprètes plutôt que des acteurs ?
J’aime les mélanges. Ce
sont les immigrés et les autochtones. Mais c’est vieux comme le monde, ou plutôt
depuis que le cinéma existe. Dans Journal
d’un curé de campagne, Bresson avait pris son docteur. Quand Claude Baignères,
qui est critique au Figaro, accepte
de faire l’acteur, ce n’est pas rien. C’est un don qu’il me fait avec son
propre corps. Je n’attends pas de lui qu’il me mette trois étoiles dans son
journal ! Remo Forlani et lui correspondaient parfaitement à l’idée que je
me fais de ces gens qui ont été jeunes avant guerre. Leos Carax, dans King Lear, c’était Juliette Binoche qui
m’avait demandé si je pouvais lui rendre le service de lui faire passer trois
semaines parce qu’il allait mal et j’ai inventé quelque chose pour lui.
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand
en avril 2001
Bande-annonce d’Adieu au langage
Mot d’excuse de Jean-Luc Godard à Gilles Jacob et Thierry Frémaux
pour ne pas être venu présenter au festival de Cannes 2014
Adieu au langage et son sketch des Ponts de Sarajevo
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