Lucía Puenzo © DR
Fille
du réalisateur argentin de L’histoire officielle (1985), Lucía Puenzo est née en 1976. Après un apprentissage en tant que scénariste pour la télévision et une contribution au script du dernier film de son père à ce jour, La puta y la ballena (2004), elle s’est faite un prénom grâce à son premier long métrage, XXY (2007), lauréat du Grand Prix de la Semaine de la critique au Festival de Cannes, couronné par la suite d’un Goya. Le deuxième,
El Niño Pez (2009), est l’adaptation d’un
roman que la cinéaste a écrit une dizaine d’années plus tôt dans lequel elle s’attache
aux amours ancillaires de deux jeunes femmes dont l’une est incarnée par son
actrice fétiche, Inés Efron. Elle a signé entre-temps, plusieurs romans, traduits en français par Anne Plantagenet et édités chez Stock, trois courts métrages et un autre film inspiré d’un de ses livres, Wakolda : Le médecin de famille (2013).
Dans
votre roman, le narrateur était un chien. Pourquoi avez-vous changé de point de
vue en le portant à l’écran ?
Lucía Puenzo
J’ai toujours aimé les chiens et celui qui racontait cette histoire s’exprimait
en argot, tout en manifestant à la fois de l’humour et du cynisme. Mais le
faire parler dans le film risquait d’édulcorer la force des sentiments humains
qui s’expriment dans cette histoire.
Avez-vous
décidé dès l’origine de confier le rôle principal de votre nouveau film à Inés
Efron que vous avez révélée dans XXY ?
Pas du tout ! En fait, le casting
durait depuis déjà sept mois quand elle a auditionné pour le rôle. Je m’étais
refusée à penser à elle, tant le personnage de Lala, la bourgeoise qu’elle
campe dans El Niño Pez, était
physiquement différent de celui qu’elle incarnait dans XXY. C’est pourquoi j’ai insisté pour qu’elle se coupe les cheveux
afin de lui donner un côté plus masculin.
Vous
sentez-vous intégrée dans le cinéma argentin d’aujourd’hui ?
Je me sens proche de certains autres
cinéastes de ma génération, mais l’influence familiale a été déterminante. Mon
père, Luis Puenzo, n’a pas tourné depuis 2004, mais c’est lui qui m’a
encouragée. Non seulement il a produit mes films, mais il est en train de
monter une nouvelle école de cinéma. Par ailleurs, j’ai deux frères qui sont
réalisateurs de pub et le troisième est chef opérateur.
Vous
êtes à la fois romancière et cinéaste. Quelle différence faites-vous entre ces
deux façons de raconter des histoires ?
Mes romans sont plus gais que mes films.
J’en ai publié quatre et je suis en train d’achever le cinquième,
mais j’ai toujours tenu à dissocier ces deux activités. C’est pourquoi L’enfant poisson, le roman
dont est tiré El Niño Pez, ne sortira
en France qu’en 2010. En règle générale, je m’intéresse moins à l’intrigue qu’aux
personnages Quand j’écris un livre, je ne fais pas de plan et j’aime être
confrontée à ce trou noir que constitue la page blanche, alors que quand je
travaille sur un film, j’ai besoin de m’appuyer sur une structure solide.
Quels
sont vos projets ?
Il est question que je réalise un film de
terreur produit par l’écrivain Stephen King, The Merciful Women, sur les chasseurs de baleines en Patagonie.
Propos
recueillis par
Jean-Philippe
Guerand
en
avril 2009
Dans quelles circonstances Le médecin de famille a-t-il été tourné ?
Avant d’être mon
troisième long métrage, après XXY et El Niño Pez, Le médecin de famille a d’abord été mon cinquième roman, Wakolda. J’ai passé près d’un an
à écrire à la fois le roman et le scénario, submergée que j’étais par les
motivations complexes qui ont incité le gouvernement argentin à ouvrir ses
frontières à tant de Nazis en fuite, au point d’aller jusqu’à promulguer une
loi leur permettant de conserver leur véritable identité, tandis que des villes
entières -à l’instar de Bariloche- sont allées jusqu’à leur réserver un accueil
chaleureux… Je me suis toujours demandée quelles pouvaient bien être les motivations
qui ont conduit des centaines de familles argentines à devenir complices de ces
hommes et à tolérer ces colonies allemandes repliées sur elles-mêmes qui se sont implantées
en Patagonie, y compris pour certaines avant même le déclenchement de la Seconde Guerre
mondiale. Plus étonnantes encore ont été les réactions de nombreux adolescents
issus de ces communautés lorsqu’ils ont pris conscience de la monstruosité des
gens qu’ils côtoyaient tous les jours. Une fois le scénario achevé, le casting
s’est avéré également un travail de longue haleine, tout particulièrement
lorsqu’il s’est agi de dénicher les interprètes des deux personnages
principaux : Mengele et Lilith. J’avais besoin d’un acteur capable de
parler couramment espagnol et parfaitement allemand, et dont la physionomie
générale évoque celle de Mengele… J’ai trouvé toutes ces qualités réunies chez
Alex Brendemühl. Il fallait également que je trouve une fille qui soit
particulièrement petite pour son âge, mais assez âgée pour prêter ses yeux et
sa voix à mon histoire… Florencia Bado ne possédait pas la moindre expérience
de comédienne, mais j’ai été immédiatement été fascinée par l’intensité et la fraîcheur qui se dégageaient d’elle, dès notre première rencontre.
Quelle est la principale difficulté que vous ayez
rencontrée au cours de cette aventure ?
Le tournage s’est
déroulé presque exclusivement en Patagonie, en plein désert, sous la neige, en hiver,
par des températures inférieures à zéro, avec de jeunes enfants, des bébés et
il s’agissait pour une bonne part d’un Road Movie… Nous avons reconstitué une
période de notre histoire qui me fascine depuis toujours. Je pense qu’être
producteur de son propre film est une expérience que n’importe quel réalisateur
se devrait de vivre au moins une fois dans sa carrière : ça m’a aidé à
comprendre à quel point cet aspect du travail est ingrat. Ça m’a également
permis de décider à quel poste je souhaitais ou ne souhaitais pas imputer le
budget dont je disposais.
Quelle conception vous faites vous de votre métier de
réalisateur ?
Le médecin de famille a
ressemblé à un véritable cours magistral de production pour moi. Il s’agissait
de ma deuxième expérience concrète en tant que productrice. A certaines étapes,
la réalisatrice se devait de prendre le pas sur la scénariste et sur la
productrice… mais la plupart du temps, ils s’entendaient tous merveilleusement
bien dans mon esprit. Quoi qu’il en soit, j’ai apprécié de retrouver ensuite le
silence qui entoure l’écriture de romans et de scénarios pendant quelques mois,
de ne plus réfléchir qu’avec des mots et plus des chiffres pendant quelque
temps. Assumer les fonctions de scénariste, réalisatrice et productrice sur
cette coproduction entre l’Argentine, la France, l’Espagne et la Norvège a
nécessité de ma part un investissement à plein temps pendant près de deux ans.
Quel est le stade de la réalisation qui vous tient le
plus à cœur ?
Les moments que je
préfère sont ceux au cours desquels j’écris le scénario, je travaille au
montage et les semaines au cours desquelles se déroule le tournage proprement
dit. L’écriture et le montage sont à mes yeux des démarches assez proches, la
seule différence résidant dans la nature même du matériau à partir duquel vous
travaillez : il s’agit de mots au cours de l’écriture et d’images au
moment du montage, mais le processus est identique. J’aime également la période
du tournage : une bonne partie de mon équipe est la même sur tous mes
films et je les considère à la fois comme des amis et comme des alliés. C’est
notamment le cas de Nicolás Puenzo, mon plus jeune frère, qui est le chef opérateur
du Médecin de famille, Nous avons éprouvé
beaucoup de plaisir à collaborer ensemble sur ce film.
Vous sentez-vous des affinités particulières avec certains
cinéastes argentins, qu’ils soient de votre génération ou non ?
Le grand nombre de
bons films argentins produits au cours de la dernière décennie n’est pas
vraiment un mystère : Les réalisateurs de ma génération ont eu la chance
de pouvoir tourner leurs films parce que les cinéastes plus âgés, dont fait
partie mon propre père [Luis Puenzo, le
réalisateur de “L’histoire officielle”], se sont battus au milieu des
années 90 afin de faire voter une loi sur le cinéma, conscients qu’ils étaient que les films argentins ne pourraient pas continuer à être produits dans des conditions acceptables sans l’affirmation d’une réelle volonté politique dans ce sens.
Comment intégrez-vous les
nouvelles technologies dans votre démarche de réalisatrice ?
Tout le monde pense
que les effets numériques sont réservés aux films à gros budget. J’ai eu la
chance de bénéficier des services de 3DNetwork, une société à demeure qui est
spécialisée dans la fabrication des effets spéciaux, et qui est en fait une
filiale de notre maison de production, Historias Cinematográficas. Pour XXY, nous avions besoin qu’un ferry débarque
dans un port abandonné et en reparte. Tout a été réalisé en numérique : le
ferry, les voitures et même les gens qu’on aperçoit au cours de ces séquences. Nous
avons réalisé autant de trucages pour El
Niño Pez -y compris un enfant poisson !- et plus encore dans Le médecin de famille, où nous avons dû reconstituer
la ville de Bariloche telle qu’elle était en 1960, ce qui aurait été totalement
irréalisable sans cette possibilité. De mon point de vue, les nouvelles
technologies nous permettent également de réfléchir à des manières différentes
de raconter les histoires qui s’offrent à nous, ce qui constitue une exploitation aux
antipodes de l’usage que peut en faire une société comme Pixar, par exemple.
Quelle importance accordez-vous au Festival de
Cannes ?
XXY a remporté le Grand
Prix de la Semaine de la critique au Festival de Cannes 2007 et je suis
persuadée que c’est ce premier déclic qui a permis au film de connaître une
carrière très longue et couronnée de succès. Revenir à Cannes avec mon troisième long
métrage, c’est offrir au Médecin de famille le
plus beau des cadres qui soient pour une première mondiale.
Quels sont vos projets ?
Je viens de terminer un nouveau roman, Les invisibles, et travaille
actuellement sur deux nouveaux scénarios : La mujer infinita, qui s’inspire de la vie de la photographe
italienne Tina Modotti et que j’espère pouvoir filmer au Mexique, et
un autre script commandité par un producteur brésilien, Dementiaville, qui devrait se tourner en Colombie.
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand
en mai 2013
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