Accéder au contenu principal

Francisco Vargas : La mémoire fertile

Francisco Vargas Quevedo © DR

Né en 1968 au Mexique, Francisco Vargas Quevedo n’a réalisé qu’un seul long métrage de fiction à ce jour : Le violon (2005) -lui-même précédé d’une version beaucoup plus brève- qui a valu à son interprète principal un Prix d’interprétation masculine dans le cadre de la section officielle cannoise Un Certain Regard et a été récompensé dans de nombreux festivals internationaux dont celui de San Sebastian. Après des études théâtrales dans le cadre de l’Institut national des beaux-arts, Vargas intègre le Centre de formation cinématographique en réalisation et en direction de la photo, puis devient producteur à la radio, avec une prédilection pour la sauvegarde du patrimoine musical de son pays. Il signe ensuite deux courts métrages, Hay momentos (1998) et Conejo (1999), ainsi qu’un documentaire intitulé Tierra caliente… Se mueren los que la mueven (2004).


Comment est née l’idée du Violon ?
Francisco Vargas Avec Le violon, j’ai cherché la simplicité, depuis la forme narrative jusqu’au schéma de production. Le violon prend sa source dans l’intensité du conflit, des personnages, de l’histoire. C’est pour cela que j’ai proposé que la forme narrative soit la plus simple possible : sans effets, sans éléments techniques sophistiqués, sans rien qui puisse alourdir les coûts de production. Si on devait définir Le violon, je dirais que c’est un film fabriqué à la main. C’est cela qui a permis un mode de production le plus économique possible. Un film qui malgré sa grande qualité formelle est surtout compétitif par la force de son histoire. Au Mexique, il reste très difficile de faire des films et cela surtout dans le cadre d’une industrie du cinéma bridée. Pour les réalisateurs qui débutent, les opportunités sont très comptées. C’est pour cela que nous avons produit le film avec un petit budget. À la fois pour que cette expérience nous permette de produire plus facilement les projets à venir, mais aussi pour que d’autres réalisateurs bénéficient de notre expérience et pour qu’il y ait plus de films produits.

Quelle est la difficulté principale que vous ayez rencontrée au cours de cette aventure ?
Une des choses les plus difficiles à réussir est d’arriver à rester fidèle au projet, à respecter l’essence du film à toutes les étapes. Il ne faut pas oublier que ce film cherche à faire passer un message, à montrer une réalité, une problématique vécue par beaucoup de personnes. Même à Cannes, on ne doit pas oublier l’origine du film. D’un autre côté, Le violon a été une aventure passionnante qui m’a donné beaucoup de satisfaction à chaque étape. Mais il m’a quand même fallu cinq longues années pour le terminer. La principale difficulté, depuis le commencement, a été de trouver le financement. Bien qu’il soit difficile de trouver quelqu’un qui s’engage avec un nouveau réalisateur, et parie sur lui, beaucoup de personnes se sont investies dans le film. Elles ont souvent travaillé beaucoup plus qu’elles n’ont gagné. Si je devais refaire le film, je le ferais avec des moyens justes, sans gaspillage, mais qui permettraient aux personnes de se concentrer pleinement sur le projet sans avoir besoin de travailler par ailleurs pour payer le loyer ou la nourriture. Et ensuite, pendant leurs temps libres, ces personnes pourraient se dédier au film qu’ils aiment et souhaitent réaliser, comme cela a été le cas du Violon.

Comment assumez-vous votre double casquette de producteur et de réalisateur ?
En tant que réalisateur et producteur du Violon, j’ai appris beaucoup de choses et l’une d’entres elles est qu’il faut savoir s’adapter à un projet. Chaque projet est différent, chacun répond à des besoins différents, et il faut tout le temps s’adapter. Cependant, l’enseignement le plus grand est que, indépendamment des circonstances, le plus important, est de toujours respecter l’essence du film. On peut être accessible de beaucoup de façons, mais sans jamais trahir l’histoire que l’on raconte. Il faut toujours lutter pour cela et respecter l’impulsion et le sens du film. Je commence à peine mais je sens que chaque film a sa propre vie et qu’il faut toujours le respecter, essayer de le comprendre et suivre son cours. Un film est comme le cours d’une rivière qui a son propre sens, sa propre forme, un rythme à lui, à chaque fois différent. Il faut le suivre, le soutenir, lui donner une forte impulsion pour suivre le courant et arriver à la fin sans trahir son sens.

Bande annonce du Violon (2005)

Quel est l’étape de la production qui vous plaît le plus ?
Mon cœur est dans toutes les étapes, depuis le scénario jusqu’à la sortie du film. J’aime m’investir dans tout le processus. Pour moi, un film comporte toujours une partie artisanale. Même s’il y a des centaines de personnes investies dans la réalisation, c’est un plaisir d’être dans tout le processus. Chaque étape est très importante. J’ai toujours pensé qu’il fallait tirer le meilleur du scénario, du tournage, de la post production, et ainsi de suite jusqu’à la sortie... Je pense que tous ceux qui travaillent sur un film forment une “famille”. Chacun met une partie de lui même dans le film. Si cela ne se passe pas comme ça, c’est un film qui ne m’intéresse pas. C’est pour cela que j’ai mis tout mon coeur à toutes les étapes, avec toute la famille.

De quels bonus l’édition DVD du Violon se composera-t-elle ?
Dans le DVD, nous allons inclure le making of, des entretiens, des informations qui n’ont pas seulement à voir avec des anecdotes du film mais aussi des informations sur les luttes de revendication de beaucoup de peuples d’Amérique Latine par le biais de documents historiques, de photos, etc. Du matériel qui enrichira le contexte du sujet du Violon : la guerre, la lutte pour les droits de l’homme, la justice, la liberté, la démocratie… Nous allons faire un DVD qui ne sera pas limité au film. J’espère que ces bonus donneront l’impression aux gens d’avoir entre les mains un « objet » qui leur offre plus qu’un simple DVD que l’on peut louer, laisser et oublier. Il me semble que cela fait aussi partie du travail qu’il y a à faire.

Quels sont vos projets ?
Je suis en train de travailler sur une histoire d’amour tragique. Une histoire qui traite de la complexité des relations de couple. En suivant la vie de deux personnes âgées à la fin de leur vie, j’essaie de donner à réfléchir sur le grand amour qui les unit mais aussi sur ce sentiment de solitude et d’autodestruction avec lequel ces deux êtres humains ont passé leur vie sans s’en rendre compte. C’est une histoire d’amour, de solitude et de désespoir.

Qu’attendez-vous de la sélection de votre film au Festival de Cannes ?
C’est un vrai bonheur pour moi de participer au Festival de Cannes : c’est à la fois la reconnaissance du travail de toute l’équipe qui a travaillé sur ce projet et la possibilité pour celui-ci de devenir accessible à un public plus large. On fait toujours un film avec le rêve qu’il soit vu par le plus grand nombre de personnes possible, et Cannes lui donne cette chance. Quand j’étais petit, j’adorais écouter les histoires de mon arrière grand-mère, écouter la radio, lire, ou voir un film et grâce à cela connaître un peu mieux un lieu inconnu que je n’aurais jamais pu atteindre ou connaître sans cela. C’est ce qui me touche à Cannes : savoir que l’histoire du Violon a la possibilité d’atteindre les contrées les plus éloignées. Qu’un morceau de la réalité de mon pays puisse être connu à l’autre bout du monde ; que l’on puisse la partager, la sentir, la penser et savoir comment on y vit, comment on y pense, quels problèmes on y rencontre et ressentir ce qu’on y ressent…

Quel autre métier auriez-vous pu pratiquer si vous n'aviez pas travaillé dans le cinéma ?
Si je n’avais pas été cinéaste, je crois que j’aurais été heureux de raconter des histoires sur une place pleine de gens. J’ai à l’esprit l’image du vieux conteur, de l’ancien troubadour médiéval. Aller d’un lieu à l’autre et “voler” des histoires pour les emmener voyager plus loin, pour les raconter à d’autres, les faire sentir et vivre grâce à l’imagination. Les films que j’aime sont ceux qui réussissent cela, et c’est ce que j’aimerais faire, que ce soit au cinéma ou dans n’importe quelle autre activité.
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand

en mai 2005

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la violence. En outre, c’était

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract