Nabil Ayouch © Stone Angels
Né en 1969, le réalisateur marocain Nabil Ayouch s’est fait remarquer sur le plan international dès ses deux premiers longs métrages, Mektoub (1997) et Ali Zaoua, prince de la rue (2000), qui ont représenté l’un et l’autre son pays dans la course à l’Oscar du meilleur film étranger. Il a signé par la suite Whatever Lola Wants (2007), une comédie musicale, puis My Land (2011), un documentaire très personnel. Avec Les chevaux de Dieu (2012), il s’attaque à un sujet tabou : la montée de l’intégrisme, à travers l’histoire vraie de deux frères impliqués dans un attentat suicide perpétré par des terroristes islamistes à Casablanca en mai 2003. Contrairement à ce qu’il annonçait à l’époque dans l'interview ci-dessous, ce producteur prolifique impliqué dans de multiples institutions professionnelles marocaines a opté depuis pour un autre film controversé, au point de se voir censuré dans son pays, après sa présentation par la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, Much Loved (2015). Il y évoque la vie d’un groupe de prostituées confrontées notamment à de puissants Saoudiens à la morale à géométrie variable. Sortie le 16 septembre.
Dans quel contexte Les chevaux
de Dieu a-t-il été produit et tourné ?
Un contexte particulier. Le film a été tourné en
décors réels, dans un bidonville, avec des acteurs non professionnels. J’ai
découvert un micro-système replié sur lui-même, fait de misère, de violence
mais aussi d’échanges que ne permet plus la verticalité des grandes villes.
Quelle est la principale difficulté que
vous ayez rencontrée au cours de cette aventure ?
Ce bidonville a été très complexe à
aborder. Il fallait qu’on se fonde dans le décor pour ne pas perturber certains
équilibres. En même temps, on a très vite constaté que ce film était perçu
comme une source de revenus supplémentaires pour la moitié des habitants. Ce
qui nous mettait au centre de toutes les attentions. Pas évident à gérer.
Quelle conception vous faites vous de
votre métier de réalisateur ?
Aucune. Je suis réalisateur car j’ai
des choses à exprimer. Et mon seul devoir est de dire ce que je pense.
Quel est le stade de la réalisation qui
vous comble le plus ?
J’aime particulièrement le montage.
L’écriture est un travail de solitaire et le tournage est souvent très rude.
Alors que la nouvelle écriture qui se dessine au montage est pleine d’une autre
énergie qui naît du recul qu’on a pris par rapport à son travail. J’apprécie également
les échanges avec mon monteur car ils contredisent tellement de certitudes.
Y’a-t-il un cinéaste, un acteur ou un
artiste qui vous ait plus particulièrement donné envie de faire du cinéma ?
Charlie Chaplin. C’est un immense
cinéaste, en avance sur son temps, mais aussi un bâtisseur.
Comment vous situez-vous par rapport à
la tradition cinématographique marocaine ?
J’ai du mal à me situer par rapport à
un ancrage géographique. Mais je pense que j’ai eu la chance d’arriver entre
deux générations de cinéastes marocains, à un moment où le public commençait à
peine à se réconcilier avec son cinéma national.
Bande annonce des Chevaux de Dieu (2012)
De quelle manière intégrez-vous les
contingences techniques et technologiques dans votre démarche et pensez-vous
qu’elles soient adaptées à votre conception du cinéma ?
Je n’y pense pas au moment où je
conçois le projet car pour moi la technique n’est qu’un outil au service d’une
idée et je pars toujours du principe que tout est possible in fine. Quand vient
la phase de mise en œuvre, je consulte des compétences techniques qui me
mettent face à un principe de réalité que j’essaye d’intégrer. Pas facile.
Quels sont vos projets ?
Un film érogène et charnel sur
l’absence de désir dans un couple.
Comment imaginez-vous le cinéma du
futur et en attendez-vous quelque chose de particulier, à la fois en tant que
professionnel et que spectateur ?
Je ne l’imagine pas, je le vis. Et
j’attends que le cinéma continue à me faire rêver avec des images, des mots,
des idées.
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand
en mai 2012
Bande annonce de Much Loved (2015)
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